Juve crispa sa lèvre, durement il déclara :
— C’est fini Fantômas, plus de délai, plus de trêve. Répondez. Vous avez cinq minutes pour me dire où se trouve Fandor et pour me le prouver. Si vous n’obéissez pas…
Fantômas demanda :
— Si je n’obéis pas ?…
— Alors, déclara Juve résolument, je vous démasque l’un et l’autre… vous êtes tous deux à ma merci, je n’aurai pas de pitié…
— Juve, Juve, suppliait lady Beltham, accordez-nous encore…
— J’ai déjà trop attendu madame, j’ai trop pactisé avec ma conscience. Que Fantômas parle… il n’a plus que quatre minutes…
Ils se considérèrent atterrés. Lady Beltham s’était laissée choir sur le plancher de la pièce. Fantômas dans un effort suprême de volonté, s’efforçait de se redresser sur son lit, mais il était encore trop faible, il retomba anéanti.
— Fandor, balbutia-t-il, je ne sais pas où est Fandor…
Juve, très pâle considérait sa montre, comptait les secondes qui s’écoulaient…
Rompant le silence, un violent coup de sonnette retentit.
— Qui est-ce ? demanda lady Beltham, jetant sur Juve un regard fou.
— C’est la justice, madame… allez lui ouvrir…
— Juve… supplia encore lady Beltham…
Le policier avait donné ses ordres, la grande dame s’exécuta.
— Une dernière fois, Fantômas, insista Juve, voulez-vous, oui ou non, me dire où est Fandor ?…
Le bandit ne répondit point, mais ayant élevé, à la hauteur de ses lèvres, sa main droite à l’annulaire de laquelle se trouvait une bague, il fit jouer avec ses dents un ressort… et absorba le liquide contenu dans le bijou…
Le mouvement avait été si précipité que Juve n’avait pu le prévenir.
Fantômas eut un tressaillement par tout le corps, ses yeux s’illuminèrent d’une étrange lueur.
— C’est fini, Juve, déclara-t-il, vous avez triomphé de Fantômas et Fantômas meurt ! Mais vous n’avez pas voulu croire à sa parole, Juve, et vous avez eu tort…
Lady Beltham, revenue depuis quelques instants, avait vu le geste de Fantômas. Elle comprenait que Juve avait été inflexible, et que son amant infortuné avait préféré franchir le pas suprême plutôt que de tomber aux mains de la justice.
Sans souci de ce qui pourrait advenir d’elle, lady Beltham se précipita sur le corps de son amant, couvrant ses lèvres de baisers désespérés.
Devant Juve, cependant, s’était dressé quelqu’un.
— Michel, s’écria le policier, en apercevant le nouveau venu…
C’était, en effet, Michel, le collègue de Juve, l’inspecteur de la Sûreté parisienne qui, hors d’haleine, était arrivé jusqu’à la maison isolée de Waterloo, dont il avait appris l’adresse par un pli cacheté que Juve avait laissé pour lui à son domicile.
— Juve, haletait Michel, j’ai pour vous une grande nouvelle, j’apporte une dépêche. Une dépêche de Fandor…
L’inspecteur tendait à son ami un télégramme tout froissé dont la suscription indiquait l’adresse de Juve à Paris :
« Juve, sauvez-moi, je suis aux mains de Fantômas et chaque jour qui passe je me perds, je me dégrade, je me tue, venez, il le faut. »
C’était signé « Fandor »…
Juve avait lu tout haut et, Fantômas avait entendu les mots extraordinaires qu’articulait le policier.
Réagissant encore contre la torpeur morbide qui l’envahissait, le sinistre bandit, s’arrachant aux étreintes passionnées de lady Beltham, hurla :
— Juve, d’où vient ce télégramme ? Fandor aux mains de Fantômas, c’est impossible, ou plutôt si, je vais comprendre, je vais savoir… dites… d’où vient ce télégramme ?…
— De Pretoria… du Transvaal… ce télégramme vient d’Afrique du Sud…
Et Fantômas eut un rire d’halluciné. Il articula péniblement, cependant que son regard peu à peu se révulsait :
— C’est la victoire, c’est la vérité… je comprends tout, Juve. Rendez-vous ici même, dans trois jours. De grâce, n’oubliez pas, ayez confiance et nous le sauverons… Fantômas vous donne sa parole… Juve, à dans trois jours !
Le policier abasourdi par les dernières paroles du moribond s’était penché sur lui épiant son dernier souffle, son ultime regard, se demandant s’il parlait en ayant conscience de ses paroles, ou en proie au délire.
Mais il ne pouvait se répondre à lui-même, ni formuler la moindre hypothèse. Le monstre désormais était plongé dans le coma. Sa face devenait de plus en plus pâle, ses membres se raidissaient, son cœur cessait de battre.
— Il est mort, balbutia Juve, en regardant lady Beltham.
Mais celle-ci qui avait repris tout son calme et dont le visage impassible ne trahissait aucune émotion, se contenta de murmurer :
— Juve, il vous a dit : « À dans trois jours… »
***
Le sinistre épisode de la pendaison de Garrick venait à peine de s’achever dans le hangar qui terminait les vastes locaux de la prison de Pentonville, que le détective Shepard, qui attendait au greffe avec le Révérend William Hope, l’issue de l’exécution, se précipitait dans la courette intérieure où le bourreau devait procéder à l’inhumation du cadavre.
Les détectives n’avaient pas été autorisés à assister au supplice. Même William Hope, quoique ministre du culte, avait dû abandonner son pénitent au moment où le bourreau passait la fatale cravate autour du cou de ce dernier.
Seuls avaient été témoins le shérif désigné par le Roi, le bourreau, ses deux aides et le policeman prévu par la loi pour représenter la Société… le policeman qui n’était autre que le « 416 »… Juve.
Shepard et Hope, en pénétrant dans les tragiques bâtiments, éprouvèrent une émotion effroyable.
Bourreau et cadavre avaient disparu.
Anxieusement, ils interrogèrent les gardiens :
— Garrick ?
— Pendu haut et court, répondit Edward…
Et Shepard insista, montrant la tombe ouverte et toujours vide.
— L’inhumation ?
— Elle n’a pas eu lieu, détective, le bourreau à emporté le cadavre. C’était son droit. Le mort lui appartient…
Shepard considérait Hope en blêmissant.
Que voulait dire cette aventure, pourquoi le bourreau ne leur avait-il parlé de rien ?
Même s’il agissait selon son droit.
Un doute affreux s’emparait des détectives. Malgré leurs efforts et leurs précautions, l’acte horrible et définitif s’était-il produit ? L’ignominieuse mort avait-elle irrémédiablement frappé leur malheureux collègue, Tom Bob, condamné mais innocent ?
Inutile d’épiloguer. Il fallait agir.
Les deux détectives, comme des fous, quittèrent la prison et coururent au domicile de Joé Lamp.
Ils trouvèrent le bourreau nonchalamment installé dans son arrière-boutique, en face d’un thé copieux que lui avait préparé sa vieille servante, Dame Betty.
— Joé Lamp, questionna anxieusement Shepard, qu’avez-vous fait de Garrick ? Où est le corps ?
Le bourreau, ahuri de l’émotion qui se peignait sur les visages des détectives, répondit doucement en montrant quatre billets de banque :
— Le corps…, je l’ai vendu, comme c’était mon droit.
— À qui ? à qui ? interrogèrent ensemble Shepard et William Hope.
— Je l’ai vendu…
Mais le bourreau s’arrêta :
— Que vous importe ? les cadavres des suppliciés ne sont-ils pas ma propriété, et n’ai-je pas le droit…
Hors de lui Shepard empoigna le bourreau aux épaules :
— Parle, je t’ordonne de me parler, ou je t’étrangle…
La colère du détective était si terrible que le bourreau s’effraya :
— Là… là… doucement, dit-il, calmez-vous, monsieur Shepard.
Et soudain soumis, obéissant, Joé Lamp, communiqua aux deux détectives l’adresse du docteur Silver Smith, auquel, moyennant quatre cents livres, il avait vendu, cercueil compris, la dépouille de l’infortuné Garrick.
Joé Lamp, surpris de cet interrogatoire allait questionner les détectives, mais ceux-ci remontèrent précipitamment dans leur automobile…
Joé Lamp, troublé, revint à son thé interrompu, réfléchissant à l’incident qui venait de se produire.