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Alors,Bouzille, affolé, se prit à s’enfuir, levant lesbras au ciel, filant droit devant lui dans la campagne, ne sachantmême pas où il allait…

Ques’était-il passé, cependant, et comment Bouzillechangeant la position du disque, l’avait-il ouvert au lieu dele fermer, puisque Fandor l’avait vu ouvert ?

Lejournaliste, en réalité, avait étévictime d’une erreur bien compréhensible, et queBouzille, s’il avait été moins étourdi,eût pu certainement expliquer lui-même.

Fandor,engagé dans la courbe, et apercevant le disque par-dessus lesbranchages des arbres, l’avait, en réalité, vu deprofil. Il avait donc cru tout naturellement que le signal donnait lavoie libre. Fandor ne s’était pas rendu compte qu’enréalité le signal était fermé, qu’ilbarrait la voie, mais qu’on ne pouvait s’en apercevoirqu’à condition d’être sur la partie de lavoie qui, redevenue droite, était en quelque sorte parallèleà la portion de la ligne qu’apercevait Fandor.

Quelétait donc le résultat de la manœuvre ordonnéepar Fandor et réussie par Bouzille ?

Letrain rapide qui emportait Fantômas, au lieu de stopper devantle signal, l’avait franchi à toute allure, il allaitrejoindre et tamponner le train de marchandises, il allait surtoutécraser Fandor.

Quedevenait, en effet, le journaliste étendu sur la voie,s’apercevant que le train ne ralentissait pas, et se sentantimmobilisé, incapable de s’enfuir ?

Fandor,à cet instant horrible, fermait instinctivement les yeux. Lamort lui apparaissait si certaine, le frôlait de si près,semblait à ce point inévitable, qu’il jugeaitinutile de tenter de lui échapper.

Quefaire, d’ailleurs ?

Deuxsecondes encore et c’en était fini ; la penséerapide de Fandor se reporta sur Juve qu’il ne verrait plus, surHélène… sur sa femme, qu’il ne presseraitplus jamais dans ses bras…

Etc’était soudain une chose effroyable ! Dans unfracas de tonnerre, dans un bruit épouvantable, la locomotivefonçait sur le jeune homme… Jérôme Fandorvit l’énorme masse le frôler à le toucher…Il eut l’impression de l’écrasement inévitable,du broiement mortel.

Desrougeoiements, en même temps, incendiaient ses prunelles. Unebrûlure vive le tenaillait à la jambe, la vapeurl’étouffait, le bruit augmentait encore…

Fandorperçut toutes ces sensations à la fois, avec unerapidité telle que son esprit ne pouvait même pas lesnoter. Toutefois, à l’instant même, il se disait :

— Mais,je ne suis donc pas mort ?

Etil connaissait l’étonnement affolant de n’éprouver,à part quelques brûlures, aucune douleur, aucunesouffrance…

— Jedeviens fou, pensa Fandor.

Levacarme était toujours sur sa tête, il ouvrit les yeux…

Etsoudain, Jérôme Fandor comprit ce qui venait de sepasser ; il devina à quel miracle il devait réellementla vie :

Àl’instant où la locomotive allait l’atteindre,Fandor, en une convulsion suprême de tout son être,s’était roidi.

Instinctivement,il s’était allongé autant qu’il l’avaitpu ; il s’était aplati, collé au sol,s’étendant entre les deux rails. Les roues de lalocomotive ne l’avaient point heurté. Sans êtrefrôlé, il avait passé sous l’énormemachine, brûlé seulement par les étincelles etles escarbilles échappées du foyer, brûléencore par la vapeur fusant des pistons, mais sauf néanmoins…

JérômeFandor comprit tout cela. Il le comprit en voyant que le train, longcomme tous les trains rapides, continuait à passer au-dessusde sa tête. Les wagons défilaient les uns à lasuite des autres, au-dessus de lui, sans le blesser…

— Décidément,j’ai de la chance, pensa Jérôme Fandor qui, déjà,retrouvait son sang-froid.

Quesurvenait-il cependant ?

JérômeFandor, à ce moment d’angoisse, était assezmaître de lui pour noter le ralentissement soudain du convoi.Des freins criaient ; des wagons s’entrechoquaient ;à coup sûr, le train stoppait.

Letrain n’avait pas encore, en effet, complètement dépasséJérôme Fandor, toujours tapi sous les roues, qu’ils’immobilisait définitivement.

Alorsle jeune homme écouta.

Desgens descendaient des wagons ; un conducteur du train sautaitd’un fourgon qui dominait précisément lemalheureux journaliste.

Àcet instant, des voix criaient :

— Qu’est-cequ’il y a ? que se passe-t-il ?

Lesvoyageurs du rapide, évidemment surpris par ce coup de freinviolent qui avait immobilisé le convoi, s’interrogeaientles uns les autres.

JérômeFandor, anxieusement, attendit.

Brusquement,il se prit à tressaillir :

Unhomme, dont il voyait tout juste, en-dessous des wagons, l’extrémitédes jambes, un homme qui avait un pantalon bleu, souillé degraisse, un homme qui devait être le chauffeur ou lemécanicien, accourait :

JérômeFandor entendit crier :

— Fautchercher sur la voie. Bon Dieu de malheur ! dans la courbe, j’aivu un type qui faisait des signaux, sûrement qu’il yavait quelque chose… Ah ! sapristi, j’ai pas publoquer à temps, on a dû lui passer dessus !

JérômeFandor entendit cela et sourit.

Ilétait de plus en plus maître de lui. Tranquillement, lejournaliste murmurait :

— Parfaitement,le mécanicien m’a aperçu !… Eh bien,c’est tout ce que je voulais ! Il s’agit maintenantqu’on ne me revoie pas à nouveau, et, puisque le trainest arrêté, que je réussisse à y prendreplace.

Àcontre-voie, rampant, souffrant horriblement, JérômeFandor sortit d’en dessous du train.

ChapitreXI

Erreur policière

Sortirde dessous le train était évidemment facile, et dumoment que Jérôme Fandor avait le courage voulu pourvaincre la terrible douleur que lui occasionnait son entorse, rien nepouvait l’empêcher de quitter la périlleusecachette où il se trouvait sans d’ailleurs l’avoirvoulu.

Toutefois,si Fandor arrivait, au prix d’une horrible souffrance, àquitter le dessous du train, il n’était pas alors aubout de ses peines. Il fallait maintenant qu’il prit place dansle convoi, il fallait encore qu’il put y passer inaperçu,et cela dans l’intérêt de l’enquêtequ’il menait, afin de ne point donner l’éveil àFantômas qui, très certainement, devait se trouver dansl’un des compartiments du rapide.

Fandorse rendait fort bien compte de ces difficultés, et ne se lesdissimulait pas.

— Jouonsserré ! se dit-il. La partie est d’importance, etma peau pourrait bien en être l’enjeu !…

Fandorne pouvait pas en effet garder la moindre illusion à ce sujet.La lutte qu’il menait contre Fantômas depuis l’instantoù il s’était jeté à sa poursuitedans la gare d’Anvers, était une lutte sans trêve,sans merci.

Fantômas,très certainement, avait voulu le séparer de Juve.Fantômas y avait réussi, mais le bandit devait êtreexaspéré par les dangers qu’il avait courus, parla chasse que lui avait donnée Fandor, chasse au cours delaquelle il avait été victorieux sans doute, mais quicependant lui avait fait courir de redoutables dangers.

— SiFantômas m’aperçoit, se dit Fandor, mon tailleurest un homme fichu… Jamais je ne lui paierai ma note, car jeserai mort avant !

Fandor,éclopé comme il l’était, ne pouvant bougerqu’au prix d’intolérables souffrances, n’étaitguère en état d’affronter le Maître del’épouvante, de lutter contre lui, et surtout d’entriompher. Si les deux hommes devaient en venir aux prises, Fandor, àmoins d’un prodige, était vaincu d’avance, etdevait payer de sa vie sa téméraire audace.

Lejournaliste, toutefois, ne raisonnait pas. Il n’avait pointl’habitude de discuter son devoir, ou de calculer avec ledanger… et du moment qu’il estimait devoir poursuivreFantômas, il le poursuivrait n’importe comment, n’importequand, loyalement, en ennemi déclaré et qui fait uneguerre sans pitié.

— Risquonsle coup, se dit Fandor, avisons…