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Étenduà plat ventre, il appuyait son oreille sur le rail, ilécoutait de toute son âme…

Etcertes, Jérôme Fandor n’avait pas besoin d’avoirl’oreille bien fine pour être renseigné.

Lerail tout entier vibrait… À coup sûr, le trainn’était pas loin… À coup sûr encoreil arrivait, lancé à son maximum de vitesse, fonçantdroit devant lui, dans tout le brutal élan des machineslâchées et déployant toutes leurs forces…

— Ledisque !… le disque !… râla Fandor.

Ileut un dernier regard pour le disque : le signal n’avaitpoint bougé, il était toujours ouvert…

— Fichtre !grommela Fandor. La partie est perdue !…

Or,à cet instant, brusquement, le disque tourna sur lui-même.

Certes,Fandor eût vu s’écrouler le sol, entendu dans lesplaines voisines le fracas d’une salve d’artillerie,qu’il eût été moins ému.

Àl’instant où il croyait tout perdu, la partie était-elledonc gagnée ?

Àl’instant où il pensait que Bouzille ne mettrait jamaisle disque à l’arrêt, le chemineau réussissait-ildonc la manœuvre ordonnée ?

Fandorle crut, et son cœur se prit à battre à grandscoups.

Àl’instant même, d’ailleurs, un coup de siffletformidable retentissait…

Fandorcessait de considérer le signal pour guetter instinctivementl’extrémité de la ligne par où devaitdéboucher le train.

Lerapide ne se fit pas attendre.

Soudain,Fandor l’aperçut, tout empanaché de fumée,saluant le signal de la sirène, et fonçant sur lui dansun élan formidable.

Lejournaliste prit le revolver à la main.

— Allons,songeait-il. Le mécanicien a dû voir le signal d’arrêt.Sûrement, il a renversé la vapeur, le train vas’immobiliser, stopper à quelques pas de moi, il ne fautpas que Fantômas puisse m’échapper, cettefois-ci !

EtJérôme Fandor connut alors quelques secondes defiévreuse anxiété.

Cinqcents mètres tout ou plus le séparait du rapide.

Fandorne pensait tout d’abord qu’à l’issue de lalutte engagée contre Fantômas, puis, brusquement unenouvelle crainte le prenait :

Ahça ! qu’est-ce que cela signifiait ? Le trainne ralentissait pas !

Leconvoi, loin de s’arrêter, paraissait forcer son allure,et avançait à une rapidité folle… Encorequelques secondes, et il dépassait Fandor, si toutefois lejournaliste avait le temps de se jeter de côté, s’ilne périssait pas broyé sous sa masse.

Ledrame se jouait en effet avec une folle rapidité.

JérômeFandor n’avait pas eu le temps de concevoir le danger qu’ilcourait, que ce danger devenait immédiat, qu’il devenaitterrible, qu’il était certain, qu’il semblaitinévitable…

— Bigre !…jura le journaliste.

Fandorfit un effort, il voulut se relever, il tomba : la douleur de sablessure était telle qu’il ne pouvait plus se traîner…

Dansces conditions, que faire ?

Àdeux cents mètres, le train fonçait sur lui…

— Jesuis perdu, râla le journaliste.

Illeva les bras en l’air, il tenta de crier, il voulut agiter sonmouchoir…

Hélas,pourrait-on le voir !… Le train pourrait-il mêmestopper à temps ! Fandor savait bien que non…

Vouédès lors à une mort certaine, JérômeFandor pendant quelques secondes fixa la locomotive qui semblaitavaler les rails de fer, et les happer dans sa gueule rouge…

— Foutu,je suis foutu !… répétait-il encore.

Puisil se laissa tomber sur le sol, tout de son long, anéanti,râlant encore pourtant :

— Maiscomment le mécanicien n’a-t-il pas stoppé puisquele disque est à l’arrêt ?

QuittantJérôme Fandor, Bouzille s’était élancéde toute la vitesse de ses vieilles jambes dans la direction dudisque qu’il fallait fermer, ainsi que le lui avait recommandéson compagnon.

Bouzilleétait l’homme de toutes les entreprises et de toutes lescombinaisons où il pouvait y avoir, sans trop de risques,quelque argent à gagner.

Àl’occasion, Bouzille ne refusait point de fréquenterFantômas ni de rendre service à ceux de sa bande. Ildisait avec philosophie qu’il fallait bien que tout le mondevive et qu’après tout, comme on ne l’avait jamaisvolé, il ne pouvait pas savoir si les autres étaientaussi des voleurs, de même qu’il ignorait s’ilsétaient des assassins, puisqu’ils ne l’avaientjamais tué.

Chapardeurde nature et escroc d’occasion, Bouzille avait cependant pourFandor et pour Juve, et cela depuis longtemps une extraordinaireadmiration.

Bouzille,par une caractéristique bizarre de sa nature, étaitvaniteusement fier de pouvoir prétendre à l’amitiédes deux hommes et de pouvoir revendiquer des relations suivies, soitavec Juve, soit avec Fandor.

Bouzille,d’ailleurs, avait un culte pour Hélène,soi-disant fille de Fantômas, la femme de Fandor, et Bouzille,en conséquence, ne pouvait s’empêcher de penserque parfois le sinistre bandit qui s’appelait le Géniedu crime se conduisait bien méchamment.

Fortde toutes ces pensées et imbu de tous ces sentiments,Bouzille, en allant accomplir la mission dont l’avait chargéFandor, riait de tout son cœur.

— Vrai,c’est farce comme tout, expliquait-il. Y a pas moyen des’ennuyer un instant, y a pas moyen de tomber neurasthénique…Y n’arrive que d’l’inattendu et d’l’imprévu,toujours ; quand on travaille avec Fantômas, avec Juve ouavec Fandor, on peut se préparer au truc le plus rigolo…

Cardans l’esprit de Bouzille, les aventures qui se succédaientétaient infiniment amusantes et drôles.

Bouzilletrouvait très bizarre d’être parti en voiture avecFantômas et d’avoir fini par culbuter dans un passage àniveau alors que Fandor conduisait… Bouzille trouvait farce aupossible d’avoir pu empêcher Fandor de s’empoisonner…Bouzille enfin estimait qu’ils allaient accomplir, Fandor etlui, une merveilleuse prouesse, si réellement ils parvenaientà faire arrêter le rapide.

Bouzille,toutefois, toujours trottant, se rendait compte qu’il allaitfalloir agir avec une certaine attention.

— M’sieurFandor, monologuait-il, m’a dit comme ça de fermer ledisque… Bon… mais il ne m’a pas dit commentc’était que le disque était fermé…Bah, ça ne fait rien, je me débrouillerai…

Or,quelques instants plus tard, Bouzille faisait la grimace.

Suivantla voie en effet, il venait de dépasser la courbe, il arrivaità la partie du remblai où la ligne redevenait droite,droite à l’infini…

Or,si Bouzille apercevait à ce moment-là fortdistinctement le disque, il apercevait aussi, à moins decinquante mètres de lui, une petite maisonnette d’aiguilleurdans laquelle se trouvait très certainement le personnagechargé de commander le signal.

Bouzillefit la grimace, et cessa de courir…

— Oh !oh ! songeait le chemineau, voilà que ça secomplique… Ça, c’est des œufs de poule quisont des œufs de canard, autrement dit le blanc devient noir,et me v’là plus embêté qu’une pommede terre dans la friture !

Bouzillese rendait fort bien compte, en effet, qu’il étaitdésormais impossible d’agir ainsi que le lui avaitrecommandé Fandor.

Fermerle disque en démolissant le mécanisme, telle étaitla consigne qu’il avait reçue. Cette consigne devenaitinexécutable puisque, à quelques pas du signal, setrouvait précisément un employé, lequel nemanquerait pas d’intervenir, d’engager une lutte, etprobablement de vaincre Bouzille, qui, en raison de son âge, nepouvait guère prétendre à la force ou àl’agilité.

Bouzillese dit tout cela en quelques instants. Il se le dit en rechignant,par acquit de conscience, car en réalité son âmeétait impassible, et Bouzille ignorait le mauvais sang quironge, l’inquiétude qui angoisse.

— Bon,bon, rusons !… décida Bouzille.

Lechemineau, de son pas tranquille, encore qu’il songeâtque Fandor devait terriblement s’impatienter, avançajusqu’à la maisonnette de l’aiguilleur. Bouzilleouvrit la porte, mit poliment le chapeau à la main :

— Salut,pardon, excuse…

Bouzillevit l’homme sursauter. Assurément, l’aiguilleur nes’attendait pas à voir quelqu’un pénétrerdans sa cahute, assurément il s’inquiétait, neconnaissant pas Bouzille, ne devinant même pas en lui l’undes habitants de la région.