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— Évidemment, on a, mais Lecoq est un mordu du vélo qui voudrait courir le Tour de France. C’est aussi un têtu ! Maintenant à vous de jouer !

— Le malheur c’est qu’au cas où je préviendrais la police…

— Le prisonnier sera abattu ! ricana Langlois. La rengaine classique ! Pardonnez-moi si je vous choque, Morosini, mais à mon avis, Vauxbrun est déjà mort ! Et peut-être même le soir du mariage. Sinon, comment expliquer les déménagements successifs de la rue de Lille ? Ces gens-là savent qu’il ne reviendra pas leur demander des comptes.

— Qu’attendez-vous pour les arrêter ?

— Sous quel prétexte ? Vous savez bien que Mme Vauxbrun peut agir à sa guise… Mais nous nous égarons. Continuez !

De deux doigts, Aldo frotta ses yeux fatigués et soupira :

— Finalement, c’est certainement ce que j’ai de mieux à faire ! Je me trouve devant un obstacle à peu près infranchissable !

Il raconta ses pérégrinations : l’entrevue du bois de Boulogne, sa visite à Eva Reichenberg, son pèlerinage au château de Bouchout, laissant seulement de côté la petite baronne qui n’avait strictement rien à voir là-dedans. Il ajouta pour faire bonne mesure les idées qui lui étaient venues à Bruxelles et qui à présent lui semblaient dérisoires…

— Voilà où j’en suis, conclut-il, en recevant le verre de cognac. Quelques semaines seulement pour retrouver une collection d’éventails disséminée sans doute à travers l’Europe… Au fait, puisque Lecoq a vu la voiture noire, il a dû faire comme Marie-Angéline et relever le numéro ?

Langlois haussa les épaules :

— Je ne sais pas si vous allez goûter le sel de la chose mais c’est l’une de celles de l’ambassadeur de Belgique.

— On avait pris le numéro ou on avait volé la voiture ?

— Disons qu’on l’avait empruntée, en profitant de l’absence du ministre. Le chauffeur s’est aperçu le lendemain qu’une des voitures avait roulé pendant la nuit…

— Insensé ! Quelle audace !

— Cela vous surprend ?

— Pas vraiment. Au fait, avez-vous des nouvelles de Phil Anderson ?

— Oui… et en français ! Il a accusé réception de mon courrier, m’a prié de « secouer les mains » avec vous et annoncé qu’il se mettait à l’ouvrage. Rien de plus. Je pense qu’il faut attendre… Qu’avez-vous l’intention de faire à présent ?

— Prendre un bain en fumant un paquet de cigarettes. C’est comme ça que je réfléchis le mieux. On verra bien ce qui en sortira…

En arrivant rue Alfred-de-Vigny, Aldo ne trouva que les serviteurs. Mme la marquise et Mlle du Plan-Crépin assistaient à des funérailles à Saint-Philippe-du-Roule, ce qui signifiait qu’au retour Tante Amélie serait de fort méchante humeur : ce genre de cérémonie lui donnait toujours l’impression d’assister à la « couturière » d’un théâtre. Ce qui ne manqua pas :

— Les gens qui sont là se demandent visiblement quel âge vous pouvez avoir et si vous ne jouerez pas bientôt le premier rôle ! maugréa-t-elle en ôtant les grandes épingles à tête d’améthyste qui fixaient sur sa tête le plateau chargé de bouillonnés de mousseline violette qui lui servait de chapeau.

— Pourquoi y allez-vous alors ? Envoyez Marie-Angéline !

— Ils seraient trop contents. Ils penseraient que tous les espoirs sont permis et que je suis à l’agonie ! Mais passons, as-tu fait bon voyage ?

— Excellent, merci. Lisa vous embrasse. Ainsi que Marie-Angéline.

— Elle était là-bas ?

— Elle est venue m’y attendre mais je vous raconterai plus tard. Vous avez lu le journal ce matin ?

— Oui. Ce pauvre garçon ! Fallait-il qu’il désespère de la vie pour mettre fin à ses jours ! La Seine doit encore être glaciale !

— Il ne s’est pas suicidé : c’est un meurtre. Je suis passé chez Langlois avant de rentrer et il me l’a affirmé. Il paraît même qu’il est mort depuis un moment…

— Si j’ai compris, fit Plan-Crépin, on ne l’a laissé partir de la rue de Lille que pour le reprendre au piège un peu plus loin ? Il n’aurait jamais dû s’en aller et aurait mieux fait d’imiter la cuisinière : ouvrir ses yeux et ses oreilles, et ne pas piper mot… En tout cas, cela fournit un prétexte en or au commissaire Langlois pour retourner enquêter chez M. Vauxbrun ?

— Quel prétexte ? Servon est parti volontairement, au vu et au su de la maisonnée ! Ils sont blancs comme neige !

Dans l’après-midi, Aldo se rendit boulevard Haussmann dans les bureaux de Maître Lair-Dubreuil qui régnait alors sur le petit monde des commissaires-priseurs et se révélait incontournable dès qu’il s’agissait de joyaux historiques. Il le connaissait de longue date et c’était un réel plaisir pour le prince-expert de le rencontrer, même si leur dernière collaboration avait tourné à l’histoire de fous (12). Il n’en reçut pas moins un accueil chaleureux.

— Avez-vous encore déniché quelque bijou-catastrophe, cher ami ? lui dit cet homme paisible et volontiers renfermé, mais capable de s’enflammer dès qu’un diamant plus ou moins célèbre montrait le bout de son nez.

— Non, rassurez-vous ! Je voudrais seulement que vous me parliez de la succession de l’impératrice Charlotte du Mexique, décédée il y a un peu plus de trois ans. Vous me direz que vous n’êtes pas belge, mais elle possédait un véritable trésor en bijoux, dont certains remarquables, et je suis persuadé que vous vous y êtes intéressé d’une façon ou d’une autre.

— En effet, mais vous-même ?

— Je n’étais pas chez moi et pas davantage en France à cette époque et c’est mon fondé de pouvoir, M. Guy Buteau, qui y a porté son attention, mais ce qu’il a pu m’en dire, à mon retour, c’est qu’il n’y a pas eu de vente.

— Avez-vous consulté mes confrères bruxellois ?

— Non. Je les connais mal, sinon pas, et aucun ne vous vient à la cheville puisqu’il arrive que d’importantes ventes belges passent par vos mains.

Maître Lair-Dubreuil apprécia d’un sourire mais ne releva pas le propos :

— Malheureusement, je n’ai pas grand-chose à vous apprendre et M. Buteau avait raison : il n’y a pas eu de vente.

— Autrement dit, les héritiers de la princesse se sont partagé les joyaux entre eux. Sauriez-vous qui a eu quoi ?

Le commissaire-priseur se carra dans son fauteuil et fronça son nez comme s’il allait éternuer :

— Vous allez être surpris mais ce qu’ils ont eu à se partager fut maigre…

— Maigre ? C’est impossible !

— Oh, que si ! La fortune de cette malheureuse se montait à plusieurs millions. Elle a été confiée à son frère, le feu roi Léopold II de Belgique, ainsi que les joyaux les plus précieux qui ont été déposés dans le coffre d’une banque. À l’ouverture dudit coffre les nièces et les neveux s’attendaient à découvrir un trésor fabuleux, mais il n’y avait plus que quelques perles et des améthystes…

— C’est tout ? Mais où sont passés les diadèmes, les bijoux légués à Charlotte par sa grand-mère, la reine Marie-Amélie veuve de Louis-Philippe, la parure de saphirs offerte à l’occasion du mariage par l’archiduchesse Sophie sa belle-mère, le collier de gros diamants, cadeau de Léopold II (13)lui-même, sans compter les…

— Je sais tout cela, mon cher prince. Et vous aussi puisque vous n’ignorez sûrement pas que le roi Léopold a englouti des fortunes dans son projet sur le Congo. Celle de sa sœur n’y a pas échappé… et pas davantage ses bijoux. Remarquez qu’il pensait être dans son droit : l’entretien de l’ex-impératrice, son train de vie au château de Bouchout coûtaient cher. Il s’est dédommagé. Quant à l’argent, il pensait qu’il ne serait jamais mieux placé que dans la grandiose aventure congolaise. Quoi qu’il en soit, le fait est là : le contenu du coffre s’est volatilisé, dispersé peut-être aux quatre coins de l’Europe ou en Amérique. Mais permettez-moi à présent de me montrer indiscret…

— Entre nous, il n’y aura jamais d’indiscrétion.

— Pourquoi vous intéressez-vous à ces joyaux ? Ou, pour être plus précis, lequel cherchez-vous ?