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Sentant l’accablement l’envahir, il décida de remettre au lendemain l’examen du problème, quand il ne serait plus seul à en débattre. Alors d’abord rentrer à l’hôtel, boucler ses bagages et prendre le premier train pour Paris !

Il se réinstallait dans son taxi quand, ouvrant la vitre de séparation, le chauffeur demanda d’une voix traînante :

— Je ne sais pas si vous avez remarqué, Monsieur, mais on a été suivis à l’aller…

— Vous êtes sûr ? Et qu’est-ce que c’était ?

— Un taxi que je ne connais pas. Quand on est arrivés au château, il s’est arrêté un peu plus loin et il est resté là un bon moment. J’aurais bien été voir, mais comme personne n’est descendu, je n’ai pas osé. Il a fait demi-tour et il est reparti quand on vous a vu revenir à la maison du gardien. J’ai relevé son numéro, si ça peut vous être utile, ajouta-t-il en lui tendant un morceau de papier.

— Vous êtes un homme précieux. Je vous remercie beaucoup… mais pourquoi le faites-vous ? Vous ne me connaissez pas, et ce pourrait être quelqu’un de la police ?

— Dans un taxi ? Jamais de la vie ! Chez nous, la police a l’air de ce qu’elle est. On ne peut pas se tromper ! Quant à ce que je viens de vous dire, j’l’ai fait parce que… quelqu’un qui va porter des fleurs à une pauvre princesse morte, ce ne peut être qu’une personne bien. Vous comptez rester au Métropole ?

— Je pensais partir ce soir mais je vais remettre à demain si vous pouvez m’avoir le renseignement.

Il sortit une carte de visite, inscrivit le numéro de sa chambre et la tendit à cet homme obligeant avec un billet triplant à peu près le prix de la course.

— Ben dites donc ! C’est un plaisir de vous promener… mon prince ! Vous aurez ça avant dix heures ce soir ! Parole d’honneur !

En sortant sa carte, Aldo avait retrouvé celle remise par la baronne Waldhaus. Bien qu’il eût renoncé à quitter Bruxelles dans la soirée, il n’était pas question de la rejoindre. Aussi, en arrivant à l’hôtel, il alla chez le fleuriste, avisa une sorte de buisson d’azalées roses, renouvela ses regrets en quelques mots et expédia le tout à Mme Timmermans puisque c’était chez elle qu’on l’avait invité. Après quoi, il se fit retenir une place dans le train du matin, une table au restaurant, puis se rendit au bar boire une ou deux fines à l’eau. Il en avait le plus grand besoin. D’où pouvait sortir son suiveur ? À moins que…

Il fut à peine surpris quand à la fin du repas – absolument parfait ! – on lui apporta le billet promis par le chauffeur. Le seul détail des violettes piquées sur un manchon suffisait à identifier la « jeune dame » blonde portant un beau manteau de fourrure ! Il eut même envie de rire : celle-là était obstinée mais au moins elle n’était pas dangereuse ! Il l’oublierait très vite !

Prudent néanmoins, il prévint le portier qu’il allait se coucher et ne voulait être dérangé par aucune communication extérieure. Cela fait, il s’accorda quelques heures de bienheureux repos et dormit comme une souche.

Le retour à Paris fut agréable. Le temps avait changé dans la nuit et un soleil tout neuf caressait les campagnes picardes que traversait le grand express. Superstitieux comme ses compatriotes, Aldo y vit un encouragement céleste. Des idées neuves lui étaient venues au réveil : une annonce répétée dans les principaux journaux européens, par exemple, suffisamment discrète pour ne pas exciter les convoitises. Il pourrait en outre faire jouer ses relations afin de toucher certaines chancelleries, certains confrères… sans compter son ami Gordon Warren à Scotland Yard. Il lui fallait à tout prix apprendre, en premier lieu, au bénéfice de qui s’était fait le partage des nombreux joyaux de l’impératrice Charlotte. Quoi qu’il en soit, en sautant sur le quai de la gare du Nord, à Paris, il se sentait revigoré. Presque optimiste…

Cette belle illusion ne résista pas à la lecture du journal qu’il acheta à un jeune vendeur avant d’aller prendre un taxi. On venait de repêcher dans la Seine le corps de Lucien Servon, le majordome fugitif de Gilles Vauxbrun…

Du coup, au lieu de rentrer rue Alfred-de-Vigny, il se fit conduire quai des Orfèvres.

— Il est d’une humeur de dogue ce matin, prévint le nouveau planton qui l’introduisit dans le bureau du « grand chef ». Vous êtes sûr de ne pas préférer revenir plus tard ?

— Ce ne sera pas une première pour moi. Je l’ai déjà vu furieux ! rassura Aldo en s’installant sur l’une des deux chaises qui faisaient face au bureau noir sur lequel un vase de barbotine débordant de primevères mettait une note réconfortante, à l’unisson du kilim d’un beau pourpre foncé, propriété de Langlois, qui réchauffait l’affligeant parquet de la République.

Dominant l’ensemble, le président, Gaston Doumergue, souriait benoîtement dans son cadre accroché au mur principal.

Un violent courant d’air suivi d’un claquement de porte remit Aldo sur ses pieds. Le fauve avait regagné sa cage et donnait de la voix :

— Le téléphone ! Vous connaissez ? Qu’est-ce qui vous prend de venir me déranger à cette heure-ci ?

— J’ignorais qu’il y en avait une où l’on pouvait s’y risquer sans danger ! Je veux seulement vous poser une question.

— Laquelle ?

Morosini lui étala le journal sous le nez :

— Ça. Suicide ou meurtre ?

— Meurtre ! On aurait bien voulu nous faire croire à un suicide mais ce qu’on lui a attaché aux pieds a dû se défaire. Le malheureux trempait dans l’eau depuis un bout de temps… Vous l’auriez su plus tôt si vous aviez été chez vous. Où êtes-vous encore allé ?

Le ton était raide. Aldo réagit derechef :

— C’est un interrogatoire ? Je vous préviens que c’est la dernière chose dont j’aie besoin.

— Vous savez que non, mais vous m’exaspérez, vous et les vôtres : il faut toujours que je réponde mais quand c’est moi qui pose les questions, je me heurte à la conspiration du silence. Vos « dames » sont aussi muettes que des huîtres !

— Tout dépend de ce que vous demandez. Entre parenthèses, elles n’aimeraient pas être comparées à des huîtres. Cela dit, que voulez-vous savoir ?

— D’abord, d’où venez-vous ?

— De Vienne, viaBruxelles, lâcha Aldo en reprenant possession de sa chaise.

— Qu’y faisiez-vous ? Mme von Adlerstein est malade ?

— Si c’était le cas, je ne vois pas ce que je serais allé fabriquer à Bruxelles. Non, je cours après cinq émeraudes fabuleuses dont j’ai appris ici même la sortie en Méditerranée…

— Celles que Vauxbrun est accusé d’avoir volées ?

— Non. Les vraies, celles que l’impératrice Charlotte a rapportées du Mexique sans le savoir. Et je ne vous cache pas…

— Un instant !… Pinson !

Le planton apparut aussitôt :

— Du café ! Et fort et avec deux tasses ! À la suite de quoi, vous veillerez à ce que je ne sois pas dérangé… et à ce que personne n’écoute aux portes ! Et au trot !

Il fut obéi dans un temps record qu’il occupa en allant explorer l’un des cahiers d’un grand cartonnier, d’où il tira un flacon poudreux et deux petits verres, ferma la porte à clef, servit son visiteur et revint s’asseoir en face de lui :

— Pour reprendre votre dernière phrase, il est urgent, je pense, que vous ne me cachiez plus rien. Vous pourriez commencer, par exemple, en me parlant du soir où une certaine voiture noire est venue vous chercher rue Alfred-de-Vigny ?

— Comment le savez-vous ? souffla Aldo, sidéré.

— Oh, c’est simple. L’inspecteur Lecoq avait reçu mission de veiller sur vous de façon à ne pas vous gêner. Comme vous ne bougiez pas, c’était relativement facile mais ce soir-là, Dieu sait pourquoi, il a prolongé sa faction et vous a vu partir. Il a enfourché sa bicyclette pour vous suivre mais la dernière fois qu’il l’a aperçue, la voiture filait en direction du Bois et de la porte Dauphine. J’ajoute qu’elle était trop rapide pour lui… et qu’un de ses pneus a crevé !

— Vos inspecteurs en sont encore au vélo ? Je croyais que depuis Clemenceau et ses Brigades du Tigre, vous aviez…