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Calant la lampe sous son bras, Adalbert y appuya les deux mains sans obtenir aucun résultat. Elle ne bougea pas. Il pensa qu’elle était scellée et que le seul moyen était de la fracasser, mais c’était une véritable œuvre d’art contre laquelle la moindre violence était impensable… Elle était bordée sur tous les côtés d’une frise gravée représentant des oiseaux et des fleurs réalisés avec une délicatesse infinie. Jamais il ne pourrait se résoudre à la détruire !

Malheureux tout à coup, il posa la lampe à terre et passa ses mains le long de la frise dans l’espoir de trouver un point jouant le même rôle que la croix dans le rocher, mais rien ne vint…

Il s’assit sur le sol, laissant la lumière refaire le parcours de ses mains, lentement, très lentement… Il avait presque fini le tour quand il remarqua, en bas et dans un coin, une petite fleur de lotus penchée dont le pistil était composé d’une croix ansée renversée présentant un infime renflement. S’il y avait une chance, ce ne pouvait être qu’à cet endroit…

Tendant une main singulièrement nerveuse, il toucha le lotus. Sa gorge était sèche comme du papier buvard. Il appuya une fois, deux fois, déjà proche du désespoir parce que rien ne se produisait. À la troisième cependant le pistil s’enfonça, un déclic à peine audible se fit entendre et le panneau d’orichalque se mit à descendre…

Adalbert se releva mais dut s’adosser à la paroi rocheuse. Ses jambes vacillaient, son pouls s’accélérait et son cœur battait la chamade. Il crut un instant qu’il ne pourrait faire un pas de plus. Il tendit le bras, dirigeant le jet lumineux à l’intérieur de l’ouverture obscure. Des éclairs dorés s’allumèrent à mesure que la lampe balayait le lieu. Alors il retrouva son équilibre, ce qui lui permit de pénétrer plus avant. Il se figea, stupéfait, ébloui. Jamais il n’avait imaginé contempler un jour pareil spectacle… Ce tombeau ne ressemblait à aucun de ceux qu’il avait pu rencontrer au cours de sa carrière.

La salle qui se présentait à lui était ronde. Ses parois alternaient des demi-colonnes dont le style évoquait l’art dorique et de grandes plaques d’orichalque sur lesquelles étaient gravés des hiéroglyphes étranges qu’il ne pouvait déchiffrer parce que plus proches des Mayas que des Égyptiens. Adalbert ne s’y attarda pas. Et pas davantage sur la multitude d’objets – lit, coffres, objets d’art ou d’usage tous en or, émaillés ou sertis de turquoises ou d’émeraudes, tous disposés soigneusement de façon à recréer l’appartement d’une reine ou d’une jolie femme. Ils environnaient non un sarcophage mais une sorte d’autel sur lequel une forme blanche était étendue vers laquelle il dirigea le faisceau lumineux avec une crainte sacrée, et qu’il découvrit en se demandant s’il ne rêvait pas. Cela ressemblait à une châsse de verre insérée dans une armature d’or au sein de laquelle était couchée la forme blanche d’une femme, une vraie, pas une momie, aussi naturelle que si elle venait de s’étendre là pour s’endormir.

La peau légèrement ivoire, les longs cheveux noirs retenus par un diadème d’étoiles, d’émeraudes encadrant le trident de Poséidon taillé dans la même pierre. Les cils immenses, les délicates mains fines croisées sur la poitrine, la nacre des dents que laissait entrevoir l’esquisse d’un sourire, le corps enfin sobrement vêtu de lin plissé laissant deviner des formes exquises, tout était merveilleusement réel… Tout était à l’image même de Salima !

Elle faisait resurgir le conte de La  Belle au bois dormant, à cette différence près qu’elle n’avait pas traversé un seul siècle mais plusieurs milliers !

Bouleversé, Adalbert se laissa tomber à genoux sur les marches, luttant contre l’envie d’enlever le coffre de verre pour la toucher… peut-être pour poser un baiser sur les lèvres décolorées avec l’espoir fou d’y ramener le souffle de vie mais, s’il posa les mains sur la paroi translucide, il n’osa pas s’aventurer plus loin par crainte de la voir se racornir sous ses yeux, devenir semblable à ces formes momifiées allongées sur des bancs devant chaque pilier de la salle. C’étaient sans doute les serviteurs qui s’étaient enfermés là pour accompagner leur reine dans la mort… une reine dont on ne savait toujours pas le nom. Aucune inscription sur le socle d’or qui la soutenait ! Pour quoi faire, d’ailleurs, puisque ce tombeau fabuleux devait rester à jamais ignoré ?

Il aurait aimé pouvoir lire les inscriptions des murs mais, encore qu’il discernât dans plusieurs d’entre elles des analogies avec les hiéroglyphes qui lui étaient tellement familiers, c’était insuffisant pour déchiffrer leur signification. Il aurait fallu l’équivalent de la pierre de Rosette qui avait livré à Champollion la clef de l’antique écriture. Or, à l’exception de ces plaques murales dont l’archéologue finit par penser quelles devaient composer un livre, il n’y avait aucun support d’écriture : pas le moindre rouleau de papyrus ni quoi que ce soit d’autre…

Adalbert pensa cependant qu’il avait du exister un lien entre l’époque atlante et la haute Antiquité égyptienne. Quelqu’un avait survécu à la catastrophe, quelqu’un savait qui avait pu transmettre une partie des secrets, qui avait peut-être recréé une écriture. Peut être ce Grand Prêtre Jua dans la tombe duquel Howard Carter avait trouvé l’Anneau ? À moins que celui là aussi ne soit trop récent. Alors ?

Alors, il avait dû exister un ou plusieurs chaînons manquants et l’énigme ne serait jamais résolue… comme demeurerait à l’état de légende la tombe de la Reine Inconnue, même si Adalbert lui-même cherchait à découvrir ce chaînon.

Il resta là un long moment à la contempler. Elle était si merveilleusement belle dans sa simplicité ! Le diadème d’émeraudes était sa seule parure au milieu d’un fantastique trésor car, des pierres non montées, il y en avait partout sur les meubles d’or, dans des coffrets, dans des coupes, jusque sur les marches du sarcophage de verre. De quoi susciter toutes les cupidités, toutes les bassesses, et point n’était besoin d’une grande imagination pour prévoir leur ignoble ruée dans ce sanctuaire si le secret s’éventait…

Le temps passait sans qu’il en eût conscience, perdu qu’il était dans son rêve éveillé. Ce fut sa lampe qui, en donnant des signes de fatigue, le rappela à la réalité. Alors il posa sur le coffre de verre le baiser qu’il ne pouvait donner et, sans rien emporter, sans rien toucher, il sortit du tombeau. La dalle d’orichalque se referma d’elle-même dès qu’il l’eut franchie.

En regagnant la caverne, il vit Aldo et Marie-Angéline qui l’attendaient, assis chacun sur un rocher. Ils avaient l’air de dormir. Aldo ne fumait même pas, sans doute pour ne pas laisser l’odeur du tabac révéler leur présence. Mais le visage encore ébloui d’Adalbert les frappa.

— Alors ? demandèrent-ils avec un bel ensemble.

— Je n’aurais jamais cru qu’il me serait donné de contempler une telle splendeur ! Tu veux aller voir ? ajouta-t-il en tendant l’Anneau à son ami, mais avec un semblant de réticence qu’Aldo comprit :

— Non ! Tu sais depuis combien de temps tu es descendu ?

— Je ne l’ai pas vu passer. C’est ma lampe qui m’a rappelé à la réalité.

— Cinq heures ! Nous commencions à penser qu’il faudrait peut-être vérifier si tu avais besoin d’aide… ou au moins de piles neuves ?

— Et vous, Marie-Angéline ?

Elle refusa d’un signe de tête sans rien dire, devinant que sa curiosité choquerait Adalbert. Il donnait tellement l’impression de revenir d’ailleurs !

— Que faisons-nous ? demanda Aldo.

— D’abord, il faut remercier et saluer le vieil homme et puis nous rentrons !

Adalbert alla retirer la croix et le rocher se referma derrière lui silencieusement mais, s’il accepta l’enveloppe de soie que lui tendait Plan-Crépin, il ne la lui rendit pas. Elle ne put retenir la curiosité qui la dévorait :

— Vous avez l’intention de revenir demain et d’entreprendre…