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— À merveille ! Commencez donc, mon ami, par nous faire un café ! Il paraît que c’est une de vos réussites ?

Et c’est ainsi que Mme de Sommières et Marie-Angéline du Plan-Crépin firent leur entrée à la villa Hadriana !

Enchantée d’elle-même, Tante Amélie prit possession avec grâce de sa chambre – la plus spacieuse de la maison, préparée et fleurie pour elle et d’où l’on découvrait la ville de Lugano et la rive occidentale du lac inondée de soleil. Un cabinet de toilette la séparait du logis de Plan-Crépin et, du balcon sur lequel ouvraient leurs fenêtres, on avait une excellente vue sur les jardins et la terrasse de la Malaspina, mais aucune sur l’arrière dissimulé par un épais bouquet d’arbres.

— Il faudra aller se rendre compte sur place, murmura Marie-Angéline pour elle-même. Heureusement le mur n’est pas très haut !

— Avant de partir en exploration, venez plutôt défaire les valises ! À moins que vous ne préfériez sortir juste le nécessaire ! Je vous avoue franchement que j’ai de moins en moins envie de m’éterniser dans cette baraque alors que j’aperçois là-bas l’ex-villa Merlina devenue un agréable hôtel dont j’ai gardé le souvenir !

— Nous sommes déjà venue ici ?

— Oh, il y a longtemps ! C’était bien avant que vous n’arriviez !…

— Nous étions seule ?

— Non. J’étais avec… (elle émit un toussotement)… des amis. Que j’ai perdu de vue depuis des décennies !

Et soudain nerveuse, elle rentra dans sa chambre, laissant Marie-Angéline trouver une réponse à l’énorme point d’interrogation qui venait de fleurir dans son cerveau. Se pouvait-il que sa marquise ?… Mais non ! Qu’est-ce qu’elle allait chercher ? Néanmoins, elle ne put s’empêcher de se livrer à un rapide calcul entre le départ du défunt marquis vers les sphères célestes et sa propre arrivée. Il s’était écoulé un grand nombre d’années dont elle ne savait pratiquement rien si ce n’est que l’on avait mené une vie mondaine dont on avait gardé – à travers l’Europe d’ailleurs ! – quantité d’amis.

Elle en resta là de ses cogitations. À l’intérieur elle entendit Mme de Sommières se moucher puis :

— Alors ? Vous les défaites ces valises ? À moins que vous ne préfériez reprendre le prochain train ! Au fond, c’est peut-être ce qui serait préférable…

— Je viens, je viens ! se hâta-t-elle de répondre en se précipitant sur les bagages qu’elle défit en un temps record, tenant essentiellement à séjourner dans cette maison qui parlait trop à son imagination pour l’abandonner si vite ! Ce qui ne serait peut-être pas si facile. Sans en avoir fait mention, elle redoutait en effet la cohabitation entre Combeau-Roquelaure et celle qu’il appelait le « vieux chameau » il n’y avait pas si longtemps. Et si maintenant s’y ajoutait un « souvenir » qu’elle n’osait pas qualifier, la tâche serait rude et il allait falloir s’accrocher !

Cependant, le déjeuner que Wishbone s’était dépêché de commander par téléphone à un traiteur de Lugano se déroula dans une urbanité qui lui rendit espoir… jusqu’à ce que Boleslas apporte le dessert et un seau à glace d’où dépassait le goulot doré d’une bouteille. Tout sourires, Cornélius se leva pour la déboucher lui-même et remplir les coupes :

— Et à présent, dit-il en se tournant vers son invitée principale, nous allons boire à l’heureuse arrivée de Mme la marquise et de Mlle du… Angelina ainsi qu’à un séjour que…

Il s’interrompit net. Non seulement Mme de Sommières ne prit pas sa coupe mais la fixait d’un œil qui n’augurait rien de bon :

— Qu’est-ce que cela ? grimaça-t-elle en désignant d’un doigt indigné le liquide jaune qui moussait dans le cristal.

— champagne, voyons ! fit-il décontenancé. champagne italien…  of course !

— Mon cher ami, vous avez toutes les excuses possibles de faire une si lourde confusion et vous voudrez bien accepter les miennes si je vous parais impolie mais vous ne me ferez jamais avaler ça !

Puis se tournant vers Hubert plié en deux par le fou rire :

— Inutile de chercher qui vous a conseillé cette détestable plaisanterie. Du champagne, hein ? Chez les gens civilisés et les Français dignes de ce nom, on appelle ce breuvage de l’asti spumante ! Et je refuse d’y être condamnée durant mon séjour ! Plan-Crépin ! Puisque vous en avez tellement envie, vous restez ici, mais vous refaites mes valises et vous me retenez une chambre au Splendide Royal Hôtel où je vous attendrai le temps qu’il faudra ! Je refuse toute cohabitation avec un personnage qui, à plus de quatre-vingts ans, se livre encore à des blagues de potache ! Cela n’entame en rien l’amitié que je vous porte et dont je vais abuser en vous demandant de me faire servir une tasse de votre excellent café sur la terrasse ! Allez, Plan-Crépin ! Exécution !

Et, d’un pas royal, elle alla s’asseoir dans l’un des fauteuils en rotin au-dessus duquel Boleslas s’empressa d’ouvrir un parasol. Un silence de mort salua son départ.

Les trois autres semblaient changés en statues de sel. Le professeur se reprit le premier :

— Je croyais qu’elle avait le sens de l’humour ? grogna-t-il en se levant pour faire l’ours encagé. Décidément elle ne changera jamais ! Elle est et restera toujours un…

Instantanément Plan-Crépin fut debout, furieuse :

— Un mot de plus et on s’en va ! Ce genre d’humour, je ne le comprends pas plus que notre marquise ! D’autant qu’elle n’est venue que pour vous faciliter la vie ! En outre, vous avez osé vous servir, pour cette lamentable plaisanterie, de la chaleureuse hospitalité de notre ami Wishbone qui croyait vraiment lui faire plaisir !

Celui-ci eut pour elle un regard désolé :

— C’est réel ! Je voulais lui faire plaisir parce que je suis tellement plein d’admiration pour elle ! Et voilà que maintenant elle va me détester !

— N’ayez aucune crainte ! Vous pouvez être certain qu’elle a parfaitement compris et ne vous associe en rien à cette stupidité, rassura la vieille fille en posant une main apaisante sur son épaule. Quant à vous, monsieur le professeur de Combeau-Roquelaure, vous savez ce qu’il vous reste à faire ? Mais… où allez-vous comme ça ?

En effet, au lieu d’aller vers la terrasse, il se dirigeait résolument vers la porte derrière laquelle il disparut. Pour reparaître deux minutes plus tard armé d’un plateau sur lequel trônait un seau à rafraîchir contenant une bouteille de champagne, d’origine cette fois, et des verres tulipe. Une serviette sur le bras et, sans regarder personne, il traversa la salle d’un pas solennel, une partie de la terrasse pour finalement mettre genou en terre à côté de l’offensée :

— Pardonnez-moi ! implora-t-il. Vous êtes peut-être un vieux chameau mais moi je suis un vieil imbécile ! Voulez-vous boire avec moi le verre de la réconciliation ?

Elle braqua sur lui le petit face-à-main aux émeraudes qui s’accordait si bien avec le vert de ses yeux, laissa passer quelques secondes puis, moqueuse :

— Savez-vous que c’est un véritable exploit, à votre âge, d’avoir réussi à vous agenouiller chargé de ce plateau et sans rien casser ? Voyons ce que cela va donner en vous relevant ! Si vous y parvenez, je vous pardonne !

L’effort qu’il développa pour retrouver un équilibre vertical l’empourpra et il se mit à tanguer dangereusement. Son fardeau aussi. Ce que voyant, Plan-Crépin accourut à son secours et enleva le plateau qu’elle posa sur une table.

— Ce serait dommage qu’il arrivât malheur à celui-là ! fit-elle. C’est du Dom Pérignon !

— Évidemment ! Il mérite le respect ! Merci, cousin !

En appuyant ses deux mains sur son genou plié, Hubert avait réussi à se relever. Alors Tante Amélie lui tendit la sienne :

— Signons la paix ! sourit-elle. Nous sommes ici pour apprendre ce qui se passe au juste chez les voisins et pas pour nous faire la guerre. Vous en êtes d’accord, Hubert ?

— Ne vous tourmentez pas pour ça, Amélie ! On a de quoi signer quelques armistices : j’en ai fait rentrer trois caisses pour fêter votre arrivée, belles dames ! conclut-il en élevant son verre.