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— J’ignore ! Probablement la bonne !

— On peut repartir ! J’en ai assez vu pour le moment, reprit le policier après un silence attentif. Si j’ai pigé ce qu’a dit le patron, la collection Kledermann doit se trouver là-dedans ?

— Quand Grindel a quitté l’avenue de Messine, il emportait deux sacs de voyage qu’il a casés dans la malle arrière d’une voiture grise sans le moindre signe distinctif ! On ne voit pas ce que ça pourrait être d’autre ! fit Adalbert qui s’arrêta pile et se rangea de nouveau.

— Qu’est-ce qui te prend ?

— La Citroën grise, derrière ! Elle va entrer dans le jardin des Bruyères.

En effet, une voiture, le nez à la grille, obstruait l’avenue derrière eux. Grindel en sortit pour aller ouvrir mais déjà Sauvageol sautait à terre, son Kodak à la main et un peu courbé afin de rester à l’abri des voitures en stationnement, mais revint tout aussi vite.

— On peut y aller ! dit-il en tirant un carnet de sa poche pour y griffonner des chiffres. J’ai le numéro de la voiture. Un numéro suisse d’ailleurs ! De Zurich ! C’était Grindel ou l’autre ?

— Grindel lui-même ! renseigna Aldo. On dirait que vous avez une sacrée chance, inspecteur !

— Oh, j’en suis convaincu ! acquiesça-t-il en rangeant son calepin et son appareil avec un large sourire. C’est peut-être parce que j’y crois ? Ça aide, vous savez ? Vous n’en manquez pas non plus !

— J’y croyais mais depuis quelque temps…

— Règle numéro 1 : ne jamais douter ! Même dans les pires circonstances ! Exemple : le type qui vous a tiré dessus à Chinon aurait dû vous tuer… mais il vous a raté ! De peu mais raté tout de même et ça fait toute la différence !

— Mon garçon, approuva Adalbert, vous avez une philosophie qui me plaît ! Si on allait déjeuner au bord de l’eau ? Il fait un temps superbe !

— Merci infiniment ! fit Sauvageol en riant, mais pour moi ce sera le Quai des Orfèvres !

Et pour les deux compères, la rue Alfred-de-Vigny où les attendait une Plan-Crépin déjà surexcitée :

— Alors ? Quoi de neuf ?

— Pas grand-chose, déplora Aldo. On a fait une balade au bois de Vincennes, Sauvageol a photographié la maison et on a vu entrer Grindel avec la voiture grise, une Citroën dont il a noté le numéro…

— Et vous appelez ça pas grand-chose ? Mais sapristi, je me demande…

— Rien du tout !… Tante Amélie, peut-on vous l’emprunter pour une heure ou deux cet après-midi ?

— Plan-Crépin ? Avec bonheur, mon ami ! J’en profiterai pour m’accorder une sieste. Elle est tellement énervée qu’elle déteint sur moi !

— Où veux-tu aller ? demanda Adalbert.

— À l’Opéra ! Ça te va ?

On n’alla pas tout à fait jusque-là mais au coin du boulevard des Capucines et de la place de l’Opéra où s’élevait sur plusieurs étages le luxueux magasin Lancel dont la vue fit sourire Marie-Angéline qui avait compris.

— C’est à quel étage les bagages ?

— On va le savoir tout de suite !

C’était au troisième où un petit ascenseur les déposa presque dans les bras d’un jeune vendeur élégant qui s’enquit de leurs désirs. Et ce fut Plan-Crépin qui se chargea de la réponse :

— Nous voulons voir vos sacs de voyage.

Ils en eurent bientôt un large éventail, de tailles et de formes différentes mais elle n’hésita pas, désignant un modèle au profil de polochon fait de forte toile havane renforcée de cuir plus clair :

— Voilà celui que nous cherchons !

— Et il nous en faudrait deux ! compléta Aldo.

— Si vous voulez bien m’excuser, je vais aller voir à la réserve ! fit le jeune homme avec empressement.

Il revint quelques minutes après portant les objets demandés. Pendant son absence, ses clients – il y en avait de nombreux à cet étage du magasin ! – n’avaient pas échangé une parole, se contentant d’errer à travers le rayon qui sentait bon les cuirs de qualité. Cette longue errance permit à Adalbert de tomber amoureux d’une mallette de crocodile noir dont le prix fit atteindre le ravissement au jeune vendeur quand il revint muni de la copie conforme du sac. Il les accompagna à la caisse avec la mine d’un chef de guerre amenant des rois captifs à son maître et, après les avoir salués, les quitta avec de visibles regrets…

— Je croyais que tu avais déjà une montagne de bagages ? remarqua Aldo tandis qu’ils regagnaient la voiture.

— Il en va des valises comme des hommes : elles s’usent ! Singulièrement la mallette qui m’accompagne toujours lorsque je prends ma chère Amilcar qui mérite le meilleur ! C’est en pensant à elle que je n’ai pas résisté à celle-là ! acheva-t-il sur un soupir ravi.

— Dans ce cas, tu devrais la faire rhabiller entièrement en croco ta « charrette » ! Ce serait encore plus chic !

— Quand vous aurez fini de parler chiffons on pourra peut-être aborder les affaires sérieuses ? s’indigna Marie-Angéline. Votre idée est excellente, Aldo, mais la réalisation me paraît compliquée ! D’abord nous ignorons le poids de chacun des sacs ! Ils m’ont paru assez lourds quand Grindel les a déposés devant mon nez pendant que j’étais sous la table, mais ce n’est qu’une impression !

— On peut s’en faire une idée approximative en pesant les bijoux de Tante Amélie enveloppés de daim. Ainsi que de l’espace qu’ils occupent.

Arraché à son plaisir de s’être offert un bel objet, Adalbert se décida enfin à s’intéresser au but de l’expédition :

— Dites donc, vous deux, vous n’auriez pas dans la tête l’envie de cambrioler les Bruyères blanches ? Ce serait du suicide !

— Et il n’en est pas question. En revanche, il devrait être possible, dès que nous connaîtrons le lieu du rendez-vous de ces deux fripouilles, de suivre Grindel et de procéder à l’échange des sacs pendant le voyage. Un seul naturellement puisque César ne réclame que la moitié…

— Aussi pourquoi en as-tu acheté deux ?

— Parce que c’est plus prudent. César peut réclamer le second. Inutile d’ergoter : de toute façon on n’en est pas là ! Mais revenons-en à la rencontre. Elle sera peut-être musclée… ou peut-être pas, mais ne mettra pas la vie de Moritz en danger. Il se peut que le pseudo-Borgia envoie Gaspard chercher l’autre sac…

— Ça m’étonnerait, dit Adalbert. Ce ne sont des enfants de chœur ni l’un ni l’autre et on risque d’avoir des surprises si, comme je l’espère, on réussit à assister à l’entrevue…

— Justement ! Si on parlait de celle-là ? reprit Plan-Crépin. Où pourrait-elle avoir lieu selon vous ?

— Si c’est César qui choisit, pourquoi pas Lugano ? Il y est chez lui.

— Trop ! Gaspard se méfiera et comme il a décidé de prendre l’offensive il proposera sûrement un endroit différent. D’autre peut, il voudra s’assurer que son « partenaire » exécutera sa part du contrat et, de préférence, en sa présence… et on ne m’ôtera pas du crâne, conclut Marie-Angéline, que Kledermann est séquestré quelque part dans la villa Malaspina.

— Je ne vous ai pas attendue pour y penser, dit Adalbert, mais je vous rappelle que nous avons là-bas un poste avancé qui, à part la présence d’une vieille folle, n’a même pas entraperçu César, que Sauvageol – qui lui est resté un moment – a fini par rentrer parce qu’à part ladite vieille folle il n’a jamais rien remarqué d’extraordinaire et que le bruit court, à présent, qu’ayant sans doute d’urgents besoins d’argent, César aurait vendu la Malaspina pour en faire une clinique. Donc…

— Donc il y a quelque chose qui nous échappe, enchaîna-t-elle têtue. Une malade mentale tellement surveillée qu’on lâche dans le jardin, la nuit, des dobermans aux crocs meurtriers ? Où est la nécessité ? L’empêcher de se promener sous les étoiles au risque de la réduire en bouillie ? Empêcher qu’on l’enlève ?

— Et pourquoi non après tout ? s’écria Aldo, agacé. Si j’en crois la description que l’on possède d’elle, cette femme vaut son pesant de diamants !

— C’est peut-être la Torelli ? La « vox populi » dit qu’elle est revenue. Et les diamants, elle n’en manque pas !