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La visiteuse se demanda s’il était arrivé à Lisa de visiter ce séjour enchanteur et opta pour la négative : une femme de goût comme elle aurait poussé les hauts cris avant de s’enfuir en courant. À moins qu’elle n’ait été dans l’état bizarre où on l’avait réduite. Et encore !

Elle aurait volontiers fouillé le bureau mais il était probable que seul le contenu du coffre pouvait être révélateur, et en dehors du fait qu’elle était dans l’impossibilité de l’ouvrir mieux valait laisser à la police le soin de l’inventorier.

Enfin, pensant que le temps courait peut-être plus vite qu’elle ne le croyait, elle regarda sa montre. Il lui restait une dizaine de minutes et ces dames devaient finir leur gâteau. Elle descendit donc, franchit l’angle de la cour et ce n’est qu’en arrivant en vue du portail qu’elle se demanda si Grindel avait refermé ou si, trop content d’avoir trouvé la porte entrouverte, il avait pris soin de la laisser dans le même état. Mais elle ne s’attarda pas à cogiter et décida de courir sa chance. Un rapide signe de croix et elle s’élança sur la pointe des pieds, aperçut le large dos d’Eugénie toujours déployé, toucha la porte et constata avec soulagement qu’elle bougeait. En trois secondes elle fut dehors et se mit à courir comme si une meute la poursuivait. Cet exercice attira l’attention d’un taxi en maraude qui se maintint à sa hauteur :

— Taxi, ma p’tite dame ? Vous avez l’air bien pressée, interpella-t-il.

Elle s’arrêta net, le regarda et comme, sans quitter son siège, il lui ouvrait la portière, elle se décida :

— Bonne idée ! apprécia-t-elle. Conduisez-moi Quai des Orfèvres !

— Chez les flics ? fit-il un brin surpris.

— C’est ça : chez les flics ! Et dare-dare !

Il démarra sans discuter.

— C’est tout d’même pas là qu’vous habitez ? rigola-t-il.

— Non, mais c’est là que je vais ! Et dépêchez-vous !

Pour lui faire clairement comprendre qu’elle n’en dirait pas davantage, elle se cala au fond de la banquette, passa une main dans la dragonne et tourna la tête de l’autre côté. Déçu mais désireux de lui montrer ses talents, il démarra sur les chapeaux de roue. Par chance, c’était un véritable virtuose du volant et un quart d’heure plus tard il stoppait devant l’entrée de la police judiciaire. Marie-Angéline voulut le régler mais il objecta :

— Vous préférez pas qu’je vous attende ? À moins qu’on vous y garde et que vous n’avez pas la tête à ça ! C’est pas facile de trouver un confrère par ici et c’est l’heure de pointe !

Elle n’eut pas le loisir de répondre : l’un des factionnaires se penchait à la portière en touchant son képi.

— On ne stationne pas ! Vous désirez quelque chose, madame ?

— Voir le commissaire principal Langlois. S’il est présent évidemment !

— Je ne l’ai pas vu partir !

— En ce cas, attendez-moi, chauffeur !

— Je serai en face ! fit-il ravi.

L’instant suivant, la fière descendante des Croisés franchissait, non sans une certaine appréhension qu’elle s’efforçait de cacher, ce seuil que tant de célébrités du crime avaient franchi avant elle, grimpait au premier étage où un planton, assis derrière une petite table pourvue d’un téléphone, lui demanda ce qu’elle voulait.

Elle répéta sa demande qu’elle compléta en présentant sa carte de visite dont elle espérait beaucoup. Et le résultat dépassa ses espérances : à peine avait-elle vu son messager disparaître dans ce qui devait être le bureau du grand chef qu’elle en vit surgir celui-ci en personne :

— Si je m’attendais !… Mais entrez, entrez ! Et asseyez-vous !

Il semblait bien agité – et même plutôt amusé ! –, cet homme toujours tellement maître de lui ! Pratiquement propulsée dans un fauteuil, Plan-Crépin remit à une date ultérieure l’examen de cette grande pièce qu’Aldo et Adalbert connaissaient de longue date. On ne lui en laissa pas le temps.

— Mademoiselle du Plan-Crépin chez moi ? C’est un jour à marquer d’une pierre blanche ! fit-il en souriant. Mais je suppose que vous n’êtes pas venue uniquement pour me dire bonjour ! J’en serais ravi car nous avons rarement l’occasion de bavarder tous les deux… et vous savez que je regrette souvent de ne pas pouvoir vous engager ?

Dieu qu’il était charmant quand il le voulait ! Plan-Crépin ne douta pas un instant qu’il soit sincère mais s’inquiéta tout de même de sa réaction à l’écoute de sa confession. Et comme il supposait qu’elle apportait des nouvelles du tandem Aldo-Adalbert, elle prit une profonde respiration et répondit :

— Non. J’ai à vous donner des nouvelles d’un assassin !

Il tressaillit. Son sourire s’effaça, ses sourcils se froncèrent et son visage se ferma tandis qu’il retournait s’asseoir derrière son bureau.

— Lequel ?

— Gaspard Grindel ! Je l’ai vu il n’y a pas une heure !

— Et où, s’il vous plaît ?

— Dans son appartement de l’avenue de Messine où il avait dû venir chercher quelque chose. Quand il est parti il emportait deux sacs de voyage.

— Comment le savez-vous ? Vous l’avez vu ? Il vous a parlé ?

— Parlé non, vu oui… enfin pas entièrement. Je n’ai contemplé que ses pieds et ses jambes tandis qu’il s’adjugeait un ou deux verres de rhum dans sa cuisine !

— Et que faisiez-vous dans sa cuisine ?

— Moi ? Rien ! J’étais sous la table !

Voyant le front du policier se charger de nuages orageux et peu désireuse de pousser trop loin la plaisanterie, elle se hâta d’ajouter :

— Persuadée qu’il y avait quelque chose à trouver dans cet appartement, j’ai réussi à m’y introduire…

— Et de quelle façon, je vous prie ?

— Par la porte donnant sur l’escalier de service. J’ai observé qu’elles étaient nettement plus accessibles que les autres. Avec une épingle à cheveux on réalise de grands prodiges…

— Ah oui ? Tiens donc !

Le terrain devenait glissant et Plan-Crépin n’aimait pas l’air gourmand qu’il affichait. Elle choisit l’attaque :

— Écoutez, monsieur le commissaire, ce que j’ai à vous rapporter est plutôt difficile parce que je dois me rappeler chaque parole du dialogue dont j’ai été le témoin. Alors si vous m’interrompez tout le temps je n’y arriverai pas !

— Pardon !… Une seule question : entre qui et qui ce dialogue ?

— Entre Grindel et l’individu qui se prétend la réincarnation de César Borgia.

— Dans ce cas, allez-y !

Posément, en se donnant le temps de choisir ses mots – au moins au début ! –, Plan-Crépin raconta son aventure. Comment croyant explorer un appartement vide elle avait eu la surprise d’y découvrir le cousin et comment, en se servant du téléphone de la galerie d’entrée, elle avait pu surprendre l’accrochage verbal entre les deux hommes que sa fantastique mémoire lui permit de restituer intégralement et quasi mot à mot et comment, ensuite, elle s’était retrouvée sous la table de la cuisine.

Fidèle à sa promesse, Langlois l’écouta sans broncher mais avec un intérêt croissant :

— Incroyable ! exhala-t-il. Puis il se leva. Pourriez-vous répéter encore une fois cette conversation ? Mais moins vite, soyez gentille !

— Ça, c’est plus difficile ! Si je dois me souvenir de tout je dois aller vite !

Il sortit de son bureau et revint trois minutes plus tard accompagné d’un jeune homme d’environ vingt-cinq ans qu’il présenta :

— Voici Henri Vannier ! Comme vous pouvez le voir à la petite machine qu’il apporte, il est sténotypiste ! Aussi rapide que ceux de l’Assemblée nationale et il nous rend d’énormes services, puisque grâce à lui nous pouvons étudier tout à loisir les échanges verbaux les plus vifs. Installez-vous, Henri. Et quand vous serez prêt…

Le jeune homme posa son engin sur une table d’appoint, fit un sourire à Marie-Angéline qui le lui rendit et attendit la suite. Ce qui ne tarda pas… Plan-Crépin répéta à la même allure que précédemment le dialogue téléphonique et sans en varier d’un iota sous l’œil mi-amusé mi-admiratif de Langlois :