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— Non ! Mais il y a trop de dégâts maintenant !

— Sauf la mort, il n’en est pas d’irréparables ! Alors laisse donc Plan-Crépin enfourcher son destrier ! Jusqu’à présent elle fait plutôt du bon boulot !

Ayant ainsi clos le débat, elle ouvrit les robinets pour faire couler son bain et rentra dans sa chambre, pensant que Plan-Crépin, offensée, s’était retirée sous sa tente comme Achille pour y digérer son algarade. À sa surprise, elle la trouva assise sur le lit et pleurant silencieusement…

C’était un spectacle positivement inattendu parce que rarissime ! Mme de Sommières se sentit touchée, vint s’asseoir à côté d’elle et passa un bras autour de ses épaules :

— Allons, Plan-Crépin ! Vous n’allez pas larmoyer parce que je vous ai un peu rudoyée ? Cela tient au mauvais sang que je me fais pour ce que Lisa appelle… ou appelait le « gang Morosini ». Je n’ai pas envie de vous voir vous lancer en aveugle dans une aventure… risquée ! Je sais ! Vous allez me dire « qui ne risque rien n’a rien »… Mais il se peut que le temps nous soit en effet compté ! Alors, allez donc mener votre croisade avec la cuisinière de la princesse Damiani ! C’est pour demain pensez-vous ?

Marie-Angéline se moucha, renifla et émit :

— Ce serait le mieux, non ? Il faut…

— Vous l’avez déjà dit ! Je vous préviens seulement que si, à sept heures du soir, vous n’êtes pas rentrée, j’appellerai Langlois ! Et maintenant filez et envoyez-moi Louise ! conclut-elle en lui appliquant un coup sec sur la tête…

Quand, le lendemain matin, elle la rejoignit à la messe de six heures, Marie-Angéline admira en connaisseur le plan ourdi par Eugénie Guenon parce qu’il était des plus enfantins et servi par une favorable circonstance : la princesse Damiani partait passer quelques jours dans le château d’une amie. Elle n’avait besoin que de sa femme de chambre et de son chauffeur, ce qui laissait du temps libre à Eugénie. Laquelle comptait en profiter pour descendre bavarder avec la concierge du 10, Élodie Branchu, respectable épouse d’un agent de police dont le péché mignon était la pâtisserie en général et, en particulier, certain gâteau à la frangipane et au chocolat que sa voisine réussissait à miracle.

— Je vais lui en préparer un ce matin et j’irai le lui porter sur le coup de quatre heures pour le déguster en sa compagnie et la tasse de thé qu’elle ne manquera pas de m’offrir. Au fond, de quoi avez-vous besoin ?

— De pouvoir entrer et sortir de l’immeuble sans me faire remarquer. Or…

— … on ne peut ouvrir le portail en fer forgé que de l’intérieur et chez la concierge, et une concierge qui monte bonne garde pour être digne de son époux ! Un vrai Cerbère ! Mais rassurez-vous, ma chère demoiselle : une fois entrée je repousserai la porte sans aller jusqu’au déclic et chez Mme Branchu je m’installerai de façon à boucher autant que possible la vue de la loge. Ça vous laissera entre une heure et une heure et demie. Ça vous suffira ?

— Je pense, oui… mais si quelqu’un de l’immeuble entre ou sort pendant ce temps ?

— Ça m’étonnerait : la dame indienne qui occupe deux étages avec sa smala de domestiques est en Angleterre. Quant au vieux général du quatrième il ne sort jamais de chez lui. Il n’y a que ses bouquins et ses soldats de plomb qui l’intéressent. Seulement vous n’allez pas pouvoir vous servir de l’ascenseur qui fait un bruit de tous les diables ! En outre, le grand escalier est très visible de la loge !

— De toute façon je prendrai celui de service. Je ne vous remercierai jamais assez madame Guenon…

— Pensez donc ! C’est tout naturel ! Vous savez, on n’aime pas beaucoup ce Grindel dans notre quartier sauf sa concierge, Dieu sait pourquoi ! qui lui trouve toutes les qualités.

— À ce point-là ?

— Vous n’avez pas idée ! Mais j’y pense : comment allez-vous faire pour entrer chez lui ?… Oh, je vous demande pardon, je ne voudrais pas être indiscrète !

— Pas du tout, voyons, et c’est la raison pour laquelle je vais prendre l’autre escalier.

— Le monte-charge peut-être ?

— Même pas ! J’ai de bonnes jambes et grimper cinq étages ne me fait pas peur… Et puis les portes des cuisines sont toujours plus faciles à ouvrir que les autres !

C’était on ne peut plus juste mais, surtout, Adalbert lui avait donné au retour d’Égypte deux ou trois leçons de serrurerie et lui avait même fait cadeau d’un fort utile passe-partout ! Mais cela il n’était pas indispensable de le confier à cette bonne Eugénie ! Qu’elle remercierait par ailleurs avec un petit présent et le récit de son aventure. Assaisonné à sa façon, bien entendu.

Dans l’après-midi de ce même jour, Marie-Angéline, assise sur un banc du côté impair de l’avenue de Messine et à l’ombre d’un marronnier, surveillait, mais sans en avoir l’air, le trottoir d’en face en faisant semblant de lire un livre dont, si on lui avait demandé ce qu’il contenait, elle eût été incapable de le dire tant le cœur lui battait fort dans la poitrine.

Elle était à ce poste depuis un quart d’heure quand elle vit Eugénie Guenon sortir du numéro 12 habillée comme pour l’église, un chapeau noir orné de myosotis et de roses pompon en équilibre sur son chignon et portant, tel le Saint-Sacrement, un plat sur lequel une serviette recouvrait le fameux gâteau qui, d’après son importance, devrait être suffisant pour six ou sept gourmands ! Apparemment le mari agent de police en aurait sa part ce soir…

Quand elle eut vu le tout disparaître derrière l’élégant portail, elle traversa la rue au passage clouté et rejoignit sans se presser le numéro 10, poussa la porte, se glissa dans l’ouverture, repoussa le battant, jeta un coup d’œil à la porte vitrée de la loge derrière laquelle le large dos d’Eugénie se silhouettait cependant que deux voix volubiles s’élevaient en duo. Puis se courbant pour franchir l’endroit délicat elle fila vers le fond de la voûte ouverte sur la cour intérieure. Au bas de l’escalier de service elle s’accorda de souffler un instant pour laisser à ses nerfs le temps de se calmer puis, d’un pas rapide, elle grimpa ses cinq étages…

Arrivée à destination, elle examina la porte et sourit. Comme toutes ses semblables c’était une porte solide, faite de bon bois, munie d’une serrure de bonne qualité : une grande pour la clef et une plus petite pour le verrou. Ce fut cette dernière qui posa un problème à l’apprentie cambrioleuse. Son passe-partout fonctionnait à merveille pour la première mais elle hésita à l’introduire dans la seconde de crainte de ne plus pouvoir le retirer. L’énervement la gagna : c’était trop bête aussi ! Échouer au but parce qu’un propriétaire plus méfiant que la normale avait jugé utile de défendre sa cuisine presque autant que son salon !

Elle examina l’idée d’aller prendre l’escalier principal pour tenter sa chance de l’autre côté quand lui revint en mémoire l’un des précieux enseignements d’Adalbert. Elle se releva – pour réfléchir elle s’était assise sur une marche ! –, alla passer sa main sur le dessus du chambranle de la porte… et retint une exclamation de joie : il s’y trouvait la clef adéquate grâce à quoi elle reprit confiance dans son entreprise. La minute suivante, elle pénétrait dans une vaste cuisine bien aménagée avec à gauche une resserre pour les provisions et à droite un office où l’on rangeait les nappes, l’argenterie, la verrerie et divers accessoires. Cet office donnait directement sur la salle à manger.

Elle allait s’y engager quand elle entendit le téléphone sonner dans deux endroits différents : la galerie d’entrée sans doute mais aussi dans les profondeurs de l’appartement. Une fois… deux fois… trois fois ! Elle luttait encore contre l’envie de répondre – au cas où ce serait quelque chose d’intéressant ? – quand elle perçut une voix masculine :

— Allô ?… Oui, oui, c’est moi !

Doux Jésus ! Gaspard Grindel ! Mais qu’est-ce qu’il fabriquait là ?… Elle remit à plus tard de s’interroger sur la question pour foncer sans bruit s’emparer de l’écouteur de l’entrée… et fit la grimace, l’oreille offensée par la voix furieuse et incontestablement italienne qui déversait dans l’appareil un chapelet d’injures que l’on n’endura pas longtemps :