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— Tu le connais, toi ?

— Oui. Il m’en a parlé à l’époque de l’affaire Marie-Antoinette. La collection est destinée à Lisa bien sûr mais à condition qu’elle me soit confiée. Au cas où elle refuserait, ce seraient mes enfants qui en hériteraient. Ce qui revient au même.

— Sauf si on a réussi à t’éliminer d’une façon ou d’une autre… Conclusion…

— … je suis dans une effroyable mélasse et pour l’instant je ne vois pas du tout comment en sortir ! soupira Aldo en appuyant sa tête au dossier de son fauteuil.

— D’abord tu pourrais dire : nous ! Et pour l’amour de Dieu, tâche de ne pas te laisser envahir par une déprime qui vient du fait que tu dois avoir encore besoin de repos…

On frappa à la porte mais contrairement à ce qu’attendait Adalbert, c’est-à-dire Cyprien venu chercher le plateau, ce fut Marie-Angéline qui fit son apparition. Elle considéra le tableau, poussa un soupir et finalement suggéra :

— Notre marquise aimerait bien que l’un de vous – au moins ! – descende pour l’aider à consoler ce pauvre Guy qui est plongé dans un vrai désespoir !

— Allons bon ! Lui aussi ? s’alarma Adalbert en se levant. Tu as entendu Aldo ? Il est temps de te secouer !

— Il faut savoir ce que tu veux ! Il y a deux minutes tu disais que j’avais besoin de repos ! On vous suit, Angelina ! Et pardonnez-moi ! J’ai honte de me comporter comme je le fais !

— Les nouvelles de Vienne ne vous ont pas donné beaucoup de raisons de danser de joie mais au lieu de faire bande à part, il vaudrait peut-être mieux rassembler nos idées et en débattre tous ensemble, non ? Pour ma part j’en ai quelques-unes…

Les yeux rougis de son vieil ami furent la première chose qu’Aldo vit en regagnant le rez-de-chaussée. Sans un mot il alla le prendre dans ses bras puis :

— Pardonnez-moi, mon cher Guy ! J’ai honte de moi : je vous laisse la maison sur le dos avec, en plus, le crève-cœur d’avoir à délivrer le message le plus cruel qu’on vous ait jamais confié. Je vous avoue que j’ai été pris au dépourvu et que j’ai mal réagi mais nous allons examiner en famille la situation qu’on nous impose.

— C’est surtout par un avocat international qu’il va falloir la faire examiner ! dit Pierre Langlois arrivé depuis cinq minutes et qui sirotait tranquillement un café près d’un oranger en pot. C’est le document le plus aberrant qu’il m’ait été donné de lire.

Aldo le regarda avec une sorte de soulagement et parvint à sourire :

— Je ne sais pas quelle magie vous a fait surgir mais en vous voyant je me sens l’âme d’Aladin en face du génie de la lampe !

— Doucement ! Je ne suis pas là pour exécuter vos ordres ! Quant à la magie, c’est un simple coup de téléphone de Mme de Sommières. Cela posé, comment vous sentez-vous ?

— Plus solide que je ne l’aurais cru. C’est moralement que ça pèche ! Mais puisque le ciel vous envoie…

— Pas le ciel, rectifia Marie-Angéline qui tenait à la vérité : notre marquise !

— De toute façon, je serais venu… Mais pour l’amour de Dieu cessez de me regarder de cet œil d’espoir ! Je ne suis là que pour vous annoncer un problème de plus…

— Si vous le disiez d’abord à moi ? proposa Adalbert après avoir jeté un vif regard en direction de son ami.

— Pas question ! coupa celui-ci qui alluma une cigarette en réussissant à ne pas trembler. Allez-y, commissaire !

— Une communication de Warren : Kledermann a disparu !

Il n’y eut pas d’exclamations. Rien qu’un silence atterré que brisa Adalbert :

— On évoquait cette hypothèse il n’y a pas un quart d’heure. Avez-vous des précisions ?

— Plutôt courtes ! Il a quitté avant-hier le Savoy pour passer le week-end à Hever, dans le Kent, chez l’un de ses rares amis, lord Astor of Hever… et il n’y est jamais arrivé…

— Comment est-ce possible ?

— De la façon la plus bête du monde : lord Astor a envoyé la voiture chercher son ami au Savoy, une magnifique Rolls armoriée et tout, Kledermann est monté dedans et hop il a disparu ! On a retrouvé plus tard le véhicule dans un champ et, dans un bois, le chauffeur et le valet de pied ficelés à des arbres, les yeux bandés, en petite tenue et à moitié morts de froid. C’est un chasseur et son chien qui les ont découverts. Le chasseur les a déliés et a entrepris de les réchauffer tandis que l’épagneul retournait au logis avec dans son collier un appel à l’aide. Bien entendu les secours sont intervenus et les deux hommes ont pu raconter leurs malheurs. Oh, rien de très original : le coup classique de l’embuscade. Comme vous le savez le Kent est une région ravissante, pittoresque, idéale pour tendre un piège avec ses chemins creux, ses vieux arbres, ses rochers.

— L’examen de la voiture n’a rien appris à la police ? s’enquit Aldo.

— Absolument rien ! soupira Langlois. Ces gens-là sont au fait des dernières techniques de laboratoire et travaillent avec des gants, des masques et tout l’attirail. Lord Astor a récupéré une Rolls aussi anonyme – si je peux me permettre cette banalité à propos d’une aussi auguste mécanique ! – que si elle sortait de chez le constructeur. Je crois qu’il n’y avait même pas un grain de poussière ! Naturellement Warren a mis l’Angleterre tout entière sous surveillance.

— L’embêtant avec ce pays, observa Adalbert, c’est que la côte n’est jamais loin et que ce pauvre Kledermann peut à cette heure être n’importe où : en Belgique, en Hollande, au Danemark, etc.

— Curieux comme on connaît mal les gens ! déplora Guy Buteau ! Pour moi, Moritz Kledermann m’est toujours apparu comme une manière de statue à peu près inamovible dominant Zurich et même la Suisse du haut de ses montagnes, assis sur une énorme fortune, un ou deux palais et l’Éune des plus fabuleuses collections de joyaux qui soit au monde et je ne l’imaginais pas courant les chemins aventureux et, en l’occurrence, les routes buissonnières du Kent pour aller visiter un ami. Il me semblait qu’à cette altitude-là et en dehors de son pays il ne pouvait avoir que des relations. Au fait, ce château de Hever me rappelle quelque chose, mais quoi ?

— Pas quoi ! Qui ? corrigea prudemment Plan-Crépin. C’était la maison familiale d’Anne Boleyn. C’est de cette maison qu’elle est partie pour ce parcours fulgurant et insensé qui l’a menée au trône puis à l’échafaud de la Tour de Londres après avoir tout chamboulé en Angleterre, y compris la religion, en laissant je ne sais combien de morts… et une petite Élisabeth qui sera sa plus grande souveraine.

— Quant à l’amitié avec Astor, elle s’explique sans doute par leur commune passion des joyaux, compléta Aldo. Ce sont les Astor anglais qui possèdent le Sancy…

— Quoi qu’il en soit, conclut Langlois en se levant, vous voilà prévenus ! J’ose espérer que Kledermann est toujours vivant. Et en ce qui vous concerne, Morosini, et comme suite à ce que j’ai appris ici, il importe plus que jamais de vous protéger ! Selon moi, ce document insensé que je viens de lire signe seulement une volonté de se débarrasser de vous au plus vite puisque le moins fatigant, consistant à vous expédier rejoindre vos ancêtres dans leur joli cimetière San Michele à Venise, a échoué. Cependant vous n’avez pas encore retrouvé la pleine forme alors acceptez de rester à couvert et laissez-nous travailler, Warren et moi ! Surtout ne nous mettez pas des bâtons dans les roues ! Puis, avec un brusque éclat de colère : Parce que nous nous sommes juré, l’un comme l’autre, d’avoir la peau de cette ordure ! Alors on se tient tranquilles ! Compris ?

Il salua les deux femmes et se dirigeait à pas pressés vers la porte quand Adalbert s’enquit, curieusement suave :

— Auriez-vous… par hasard… des nouvelles du cousin Gaspard ?

— Il a regagné sa banque et son domicile de l’avenue de Messine… J’ajoute afin d’éviter de perdre encore un peu de temps qu’il s’est rendu d’assez bonne grâce à ma convocation et n’a vu aucun inconvénient à répondre à mes questions. Je vous résume ses réponses : Moritz Kledermann l’a en effet chargé de réunir le million de dollars et de le faire porter à l’endroit qu’on lui indiquerait au dernier moment en spécifiant que donner la moindre information à la police serait signe d’arrêt de mort de sa cousine. Grindel a confié le sac à celui de ses employés en qui il avait le plus confiance mais l’a suivi dans la plus discrète de ses voitures. Suivre les bandits ne lui posait – paraît-il ! – pas de problèmes, sa vue exceptionnelle lui permettant d’y voir la nuit aussi bien que le jour. Il a donc assisté de loin à l’arrivée de la princesse en gare de Lyon et à son embarquement dans une limousine noire qu’il a pu suivre à distance suffisante pour ne pas se faire repérer, puis il a attendu sa cousine devant le château. Très inquiet, il a assisté à l’assaut entamé par les autorités du coin et allait se joindre à eux quand les prisonniers sont sortis. Il a vu celle qu’il attendait, l’a appelée et s’est hâté de l’emmener loin de ce cauchemar. Il voulait faire halte à Paris pour qu’elle puisse se reposer parce que son état le tracassait mais elle l’a supplié de la conduire à Zurich auprès de son père. C’est en arrivant qu’elle a commencé à souffrir des douleurs de l’enfantement…