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– Louis Guérin!» murmura Maximilien qui avait légèrement pâli.

Puis il se retourna vers moi, sourit, et, poussant un soupir, me dit:

«Ah! maintenant je comprends tout!»

Cependant Louis Guérin, car c’était lui en effet, avait descendu les marches de pierre. Emporté par un élan de reconnaissance bien naturel, le brave garçon s’était jeté aux genoux de Maximilien Heller et avait pris sa main, qu’il embrassait et qu’il couvrait de ses larmes.

«C’est vous! répétait-il, c’est vous qui m’avez sauvé!

– Relevez-vous, mon ami, relevez-vous, je vous prie, dit Maximilien d’une voix douce et en abaissant vers Guérin ses yeux où se lisait un tranquille sourire.

– Allons, Guérin, fis-je en intervenant à mon tour, calmez-vous, et veuillez, je vous prie, nous présenter votre femme.»

Le paysan se releva, essuya ses yeux rougis, franchit le seuil de la ferme et disparut dans l’intérieur de la maison.

Lorsque nous fûmes demeurés seuls, je me tournai vers Maximilien, qui, pensif, semblait faire sur lui-même un grand effort afin de ne pas laisser paraître l’émotion qu’il ressentait.

«Eh bien?» lui dis-je.

Il me serra la main, puis détourna un peu la tête, et ce seul mot faiblement articulé sortit de ses lèvres:

«Merci!»

Cependant Guérin reparut bientôt accompagné d’une fraîche et jolie paysanne de dix-huit ans dont il tenait la main entre les siennes.

Elle s’avança vers nous toute rougissante et en baissant les yeux.

Le bon Guérin lui lit signe de s’enhardir et de tourner à Maximilien un compliment préparé sans doute depuis longtemps.

Mais Jeanne restait confuse devant nous, rougissant de plus belle et n’osant parler.

Puis, tout à coup, elle prit bravement son parti, s’avança vers Maximilien, et, avec un geste charmant de grâce et de naïveté, lui tendit ses belles joues fraîches, sur lesquelles le philosophe, qui avait, je vous jure, complètement dépouillé son air farouche, déposa deux bons baisers.

Lorsque la première expansion de la joie et de la reconnaissance du pauvre Guérin fut un peu calmée, je le priai de nous faire visiter son petit domaine.

Il prit le bras de sa femme, sur lequel il s’appuya, car les jambes du brave garçon tremblaient sous lui, et nous fit voir successivement toutes ses richesses: l’étable, où deux belles vaches ruminaient gravement, la basse-cour et ses bruyants habitants, la laiterie, le pressoir, où une immense cuve attendait la prochaine récolte de pommes, enfin tous ces biens, inestimables pour lui, qu’il devait à la générosité de Maximilien Heller.

Il ne cessa, pendant tout ce temps, de témoigner à mon ami la reconnaissance la plus vive et la plus touchante. Il s’interrompait souvent, au milieu de ses descriptions enthousiastes et de l’énumération de ses projets d’avenir, pour s’écrier:

«Et quand je pense, mon bon Monsieur, que c’est à vous que je dois cela! Sans vous, mon Dieu! mon Dieu! qu’est-ce que je serais devenu?»

Puis il cachait sa tête dans ses mains, lorsque ce lugubre souvenir de son arrestation et des nuits passées en prison revenait dans son esprit comme un fantôme terrifiant.

En voyant ces modestes richesses, en entendant la naïve expression de ce bonheur si pur et si vif tout ensemble, je remerciai du fond du cœur Dieu qui avait inspiré à Maximilien Heller une si belle pensée de dévouement et de générosité.

Maximilien partageait sans doute l’émotion que je ressentais, car son visage avait une expression souriante et heureuse que je ne lui avais jamais vue.

Comme nous revenions vers la ferme par un étroit chemin, le jeune paysan et sa femme marchant devant nous les bras entrelacés, Maximilien s’arrêta tout à coup, me prit la main qu’il serra avec force, et d’une voix profondément altérée et, pour ainsi dire, humide de larmes:

«Ah! mon ami, me dit-il, cela fait du bien!… cela console!… Et moi aussi, je puis vous dire: Merci! car vous m’avez sauvé!»

(1871)

[1] Liste des martyrs, et par extension de ceux qui ont soufferts de quelque chose