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– Oui, oui, c’est bien ma signature.

– Alors, dit Lorin, si c’est ta signature, rends-la-moi.

– Non pas, dit le greffier en la déchirant en mille morceaux, non pas! ces sortes de cartes ne peuvent servir qu’une fois.

Lorin resta un moment irrésolu.

– Ah! tant pis, dit-il; mais, avant tout, il faut que je le tue.

Et il s’élança hors du greffe.

Maurice avait suivi Lorin avec une émotion facile à comprendre; dès que Lorin eut disparu:

– Il est sauvé! dit-il à Geneviève avec une exaltation qui ressemblait à la joie; on a déchiré sa carte, il ne pourra plus rentrer; puis, d’ailleurs, pût-il rentrer, la séance du tribunal va finir: à cinq heures, il reviendra, nous serons morts.

Geneviève poussa un soupir et frissonna.

– Oh! presse-moi dans tes bras, dit-elle, et ne nous quittons plus… Pourquoi n’est-il pas possible, mon Dieu! qu’un même coup nous frappe, pour que nous exhalions ensemble notre dernier soupir!

Alors ils se retirèrent au plus profond de la salle obscure, Geneviève s’assit tout près de Maurice et lui passa ses deux bras autour du cou; ainsi enlacés respirant le même souffle, éteignant d’avance en eux-mêmes le bruit et la pensée, ils s’engourdirent, à force d’amour, aux approches de la mort.

Une demi-heure se passa.

LV Pourquoi Lorin était sorti

Tout à coup un grand bruit se fit entendre, les gendarmes débouchèrent de la porte basse; derrière eux venaient Sanson et ses aides, qui portaient des paquets de cordes.

– Oh! mon ami, mon ami! dit Geneviève, voilà le moment fatal, je me sens défaillir.

– Et vous avez tort, dit la voix éclatante de Lorin:

Vous avez tort, en vérité,

Car la mort, c’est la liberté!

– Lorin! s’écria Maurice au désespoir.

– Ils ne sont pas bons, n’est-ce pas? Je suis de ton avis; depuis hier, je n’en fais que de pitoyables…

– Ah! il s’agit bien de cela. Tu es revenu, malheureux!… tu es revenu!…

– C’étaient nos conventions, je pense? Écoute, car, aussi bien, ce que j’ai à dire t’intéresse ainsi que madame.

– Mon Dieu! mon Dieu!

– Laisse-moi donc parler, ou je n’aurai pas le temps de conter la chose. Je voulais sortir pour acheter un couteau rue de la Barillerie.

– Que voulais-tu faire d’un couteau?

– J’en voulais tuer ce bon M. Dixmer.

Geneviève frissonna.

– Ah! fit Maurice, je comprends.

– Je l’ai acheté. Voici ce que je me disais, et tu vas comprendre combien ton ami a l’esprit logique. Je commence à croire que j’aurais dû me faire mathématicien au lieu de me faire poète. Malheureusement il est trop tard maintenant. Voici donc ce que je me disais; suis mon raisonnement: «M. Dixmer a compromis sa femme; M. Dixmer est venu la voir juger; M. Dixmer ne se privera pas du plaisir de la voir passer en charrette, surtout nous l’accompagnant. Je vais donc le trouver au premier rang des spectateurs: je me glisserai près de lui; je lui dirai: «Bonjour, monsieur Dixmer», et je lui planterai mon couteau dans le flanc.

– Lorin! s’écria Geneviève.

– Rassurez-vous, chère amie, la Providence y avait mis bon ordre. Imaginez-vous que les spectateurs, au lieu de se tenir en face du Palais, comme c’est leur habitude, avaient fait demi-tour à droite et bordaient le quai. «Tiens, me dis-je, c’est sans doute un chien qui se noie, pourquoi Dixmer ne serait-il pas là.» Un chien qui se noie ça fait toujours passer le temps. Je m’approche du parapet, et je vois tout le long de la berge un tas de gens qui levaient les bras en l’air et qui se baissaient pour regarder quelque chose à terre, en poussant des hélas! à faire déborder la Seine. Je m’approche… Ce quelque chose… devine qui c’était…

– C’était Dixmer, dit Maurice d’une voix sombre.

– Oui. Comment peux-tu deviner cela? Oui, Dixmer, cher ami, Dixmer, qui s’est ouvert le ventre tout seul; le malheureux s’est tué en expiation sans doute.

– Ah! dit Maurice avec un sombre sourire, c’est ce que tu as pensé?

Geneviève laissa tomber sa tête entre ses mains; elle était trop faible pour supporter tant d’émotions successives.

– Oui, j’ai pensé cela, attendu qu’on a retrouvé près de lui son sabre ensanglanté; à moins que toutefois… il n’ait rencontré quelqu’un…

Maurice, sans rien dire, et profitant du moment où Geneviève, accablée, ne pouvait le voir, ouvrit son habit et montra à Lorin son gilet et sa chemise ensanglantés.

– Ah! c’est autre chose, dit Lorin.

Et il tendit la main à Maurice.

– Maintenant, dit-il en se penchant à l’oreille de Maurice, comme on ne m’a pas fouillé, attendu que je suis rentré en disant que j’étais de la suite de M. Sanson, j’ai toujours le couteau, si la guillotine te répugne.

Maurice s’empara de l’arme avec un mouvement de joie.

– Non, dit-il, elle souffrirait trop.

Et il rendit le couteau à Lorin.

– Tu as raison, dit celui-ci; vive la machine de M. Guillotin! Qu’est-ce que la machine de M. Guillotin? Une chiquenaude sur le cou comme l’a dit Danton. Qu’est-ce qu’une chiquenaude?

Et il jeta le couteau au milieu du groupe des condamnés.

L’un d’eux le prit, se l’enfonça dans la poitrine, et tomba mort sur le coup.

Au même moment, Geneviève fit un mouvement et poussa un cri. Sanson venait de lui poser la main sur l’épaule.

LVI Vive Simon!

Au cri poussé par Geneviève, Maurice comprit que la lutte allait commencer.

L’amour peut exalter l’âme jusqu’à l’héroïsme; l’amour peut, contre l’instinct naturel, pousser une créature humaine à désirer la mort; mais il n’éteint pas en elle l’appréhension de la douleur. Il était évident que Geneviève acceptait plus patiemment et plus religieusement la mort depuis que Maurice mourait avec elle; mais la résignation n’exclut pas la souffrance, et sortir de ce monde, c’est non seulement tomber dans cet abîme qu’on appelle l’inconnu, mais c’est souffrir en tombant.

Maurice embrassa d’un regard toute la scène présente, et d’une pensée toute celle qui allait suivre:

Au milieu de la salle, un cadavre de la poitrine duquel un gendarme, en se précipitant, avait arraché le couteau, de peur qu’il ne servît à d’autres.