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On entendit une imprécation terrible; puis les deux corps roulèrent jusque hors de la voûte.

Un seul se releva; c’était Maurice, Maurice couvert de sang, mais du sang de son ennemi.

Il retira son sabre à lui, et, à mesure qu’il le retirait, il semblait avec la lame aspirer le reste de vie qui agitait encore d’un frissonnement nerveux les membres de Dixmer.

Puis, lorsqu’il se fut bien assuré que celui-ci était mort, il se pencha sur le cadavre, ouvrit l’habit du mort, prit le portefeuille et s’éloigna rapidement.

En jetant les yeux sur lui, il vit qu’il ne ferait pas quatre pas dans la rue sans être arrêté: il était couvert de sang.

Il s’approcha du bord de l’eau, se pencha vers le fleuve et y lava ses mains et son habit.

Puis il remonta rapidement l’escalier en jetant un dernier regard vers la voûte.

Un filet rouge et fumant en sortait et s’avançait ruisselant vers la rivière.

Arrivé près du Palais, il ouvrit le portefeuille et y trouva le laissez-passer signé du greffier du Palais.

– Merci, Dieu juste! murmura-t-il.

Et il monta rapidement les degrés qui conduisaient à la salle des Morts.

Trois heures sonnaient.

LIV La salle des morts

On se rappelle que le greffier du Palais avait ouvert à Dixmer ses registres d’écrou, et entretenu avec lui des relations que la présence de madame la greffière rendait fort agréables.

Cet homme, comme on le pense bien, entra dans des terreurs effroyables lorsque vint la révélation du complot de Dixmer.

En effet, il ne s’agissait pas moins pour lui que de paraître complice de son faux collègue, et d’être condamné à mort avec Geneviève.

Fouquier-Tinville l’avait appelé devant lui.

On comprend quel mal s’était donné le pauvre homme pour établir son innocence aux yeux de l’accusateur public; il y avait réussi, grâce aux aveux de Geneviève, qui établissaient son ignorance des projets de son mari. Il y avait réussi, grâce à la fuite de Dixmer; il y avait réussi surtout, grâce à l’intérêt de Fouquier-Tinville, qui voulait conserver son administration pure de toute tache.

– Citoyen, avait dit le greffier en se jetant à ses genoux, pardonne-moi, je me suis laissé tromper.

– Citoyen, avait répondu l’accusateur public, un employé de la nation qui se laisse tromper dans des temps comme ceux-ci mérite d’être guillotiné.

– Mais on peut être bête, citoyen, reprit le greffier, qui mourait d’envie d’appeler Fouquier-Tinville monseigneur.

– Bête ou non, reprit le rigide accusateur, nul ne doit se laisser endormir dans son amour pour la République. Les oies du Capitole aussi étaient des bêtes, et cependant elles se sont réveillées pour sauver Rome.

Le greffier n’avait rien à répliquer à un pareil argument; il poussa un gémissement et attendit.

– Je te pardonne, dit Fouquier. Je te défendrai même, car je ne veux pas qu’un de mes employés soit même soupçonné; mais souviens-toi qu’au moindre mot qui reviendra à mes oreilles, au moindre souvenir de cette affaire, tu y passeras.

Il n’est pas besoin de dire avec quel empressement et quelle sollicitude le greffier s’en alla trouver les journaux, toujours empressés de dire ce qu’ils savent, et quelquefois ce qu’ils ne savent pas, dussent-ils faire tomber la tête de dix hommes.

Il chercha partout Dixmer pour lui recommander le silence; mais Dixmer avait tout naturellement changé de domicile et il ne put le retrouver.

Geneviève fut amenée sur le fauteuil des accusés; mais elle avait déjà déclaré, dans l’instruction, que ni elle ni son mari n’avaient aucun complice.

Aussi, comme il remercia des yeux la pauvre femme quand il la vit passer devant lui pour se rendre au tribunal!

Seulement, comme elle venait de passer, et qu’il était rentré un instant dans le greffe pour y prendre un dossier que réclamait le citoyen Fouquier-Tinville, il vit tout à coup apparaître Dixmer, qui s’avança vers lui d’un pas calme et tranquille.

Cette vision le pétrifia.

– Oh! fit-il, comme s’il eût aperçu un spectre.

– Est-ce que tu ne me reconnais pas? demanda le nouvel arrivant.

– Si fait. Tu es le citoyen Durand, ou plutôt le citoyen Dixmer.

– C’est cela.

– Mais tu es mort, citoyen?

– Pas encore, comme tu vois.

– Je veux dire qu’on va t’arrêter.

– Qui veux-tu qui m’arrête? Personne ne me connaît.

– Mais je te connais, moi, et je n’ai qu’un mot à dire pour te faire guillotiner.

– Et moi, je n’ai qu’à en dire deux pour qu’on te guillotine avec moi.

– C’est abominable, ce que tu dis là!

– Non, c’est logique.

– Mais de quoi s’agit-il? Voyons, parle! dépêche-toi, car, moins longtemps nous causerons ensemble, moins nous courrons de danger l’un et l’autre.

– Voici. Ma femme va être condamnée, n’est-ce pas?

– J’en ai grand’peur! pauvre femme!

– Eh bien, je désire la voir une dernière fois pour lui dire adieu.

– Où cela?

– Dans la salle des Morts!

– Tu oseras entrer là?

– Pourquoi pas?

– Oh! fit le greffier comme un homme à qui cette seule pensée fait venir la chair de poule.

– Il doit y avoir un moyen? continua Dixmer.

– D’entrer dans la salle des Morts? Oui, sans doute.

– Lequel?

– C’est de se procurer une carte.

– Et où se procure-t-on ces cartes?

Le greffier pâlit affreusement et balbutia:

– Ces cartes, où on se les procure, vous demandez?

– Je demande où on se les procure, répondit Dixmer; la question est claire, je pense.

– On se les procure… ici.

– Ah! vraiment; et qui les signe d’habitude?

– Le greffier.

– Mais le greffier, c’est toi.

– Sans doute, c’est moi.

– Tiens, comme cela tombe! reprit Dixmer en s’asseyant; tu vas me signer une carte.