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– Écoutez donc, cher frère, il y a trois cents ans passés que cette phrase a été écrite, hasarda madame du Barry, et il faut faire la part de ce qu’au Palais on appelle, je crois, la prescription.

– N’importe, n’importe, dit Jean, je suis convaincu que si Sa Majesté entendait madame exposer son affaire, comme elle vient de le faire devant nous…

– Oh! je la convaincrais, n’est-ce pas, monsieur? j’en suis sûre.

– Et moi aussi.

– Oui, mais comment me faire entendre?

– Il faudrait pour cela que vous me fissiez l’honneur de me venir voir un jour à Luciennes; et comme Sa Majesté me fait la grâce de m’y visiter assez souvent…

– Oui, sans doute, ma chère; mais tout cela dépend du hasard.

– Vicomte, dit la comtesse avec un charmant sourire, vous savez que je me fie assez au hasard. Je n’ai point à m’en plaindre.

– Et cependant le hasard peut faire que de huit jours, de quinze jours, de trois semaines, madame ne se rencontre pas avec Sa Majesté.

– C’est vrai.

– En attendant, son procès se juge lundi ou mardi.

– Mardi, monsieur.

– Et nous sommes à vendredi soir.

– Oh! alors, dit madame du Barry d’un air désespéré, il ne faut plus compter là-dessus.

– Comment faire? dit le vicomte paraissant rêver profondément. Diable! diable!

– Une audience à Versailles? dit timidement madame de Béarn.

– Oh! vous ne l’obtiendrez pas.

– Avec votre protection, madame?

– Oh! ma protection n’y ferait rien. Sa Majesté a horreur des choses officielles, et dans ce moment-ci elle n’est préoccupée que d’une seule affaire.

– Celle des parlements? demanda madame de Béarn.

– Non, celle de ma présentation.

– Ah! fit la vieille plaideuse.

– Car vous savez, madame, que, malgré l’opposition de M. de Choiseul, malgré les intrigues de M. de Praslin, et malgré les avances de madame de Grammont, le roi a décidé que je serais présentée.

– Non, non, madame, je ne le savais pas, dit la plaideuse.

– Oh! mon Dieu, oui, décidé, dit Jean.

– Et quand aura lieu cette présentation, madame?

– Très prochainement.

– Voilà… le roi veut que la chose ait lieu avant l’arrivée de madame la dauphine, afin de pouvoir emmener ma sœur aux fêtes de Compiègne.

– Ah! je comprends. Alors madame est en mesure d’être présentée? fit timidement la comtesse.

– Mon Dieu, oui. Madame la baronne d’Aloigny… Connaissez-vous madame la baronne d’Aloigny?

– Non, monsieur. Hélas! je ne connais plus personne: il y a vingt ans que j’ai quitté la cour.

– Eh bien! c’est madame la baronne d’Aloigny qui lui sert de marraine. Le roi la comble, cette chère baronne; son mari est chambellan; son fils passe aux gardes avec promesse de la première lieutenance; sa baronnie est érigée en comté; les bons sur la cassette du roi sont permutés contre des actions de la ville, et le soir de la présentation elle recevra vingt mille écus comptant. Aussi elle presse, elle presse!

– Je comprends cela, dit la comtesse de Béarn avec un gracieux sourire.

– Ah! mais j’y pense!… s’écria Jean.

– À quoi? demanda madame du Barry.

– Quel malheur! ajouta-t-il en bondissant sur son fauteuil, quel malheur que je n’aie pas rencontré huit jours plus tôt madame chez notre cousin le vice-chancelier.

– Eh bien?

– Eh bien! nous n’avions aucun engagement avec la baronne d’Aloigny à cette époque-là.

– Mon cher, dit madame du Barry, vous parlez comme un sphinx, et je ne vous comprends pas.

– Vous ne comprenez pas?

– Non.

– Je parie que madame comprend.

– Pardon, monsieur, mais je cherche en vain…

– Il y a huit jours, vous n’aviez pas de marraine?

– Sans doute.

– Eh bien! madame… Je m’avance peut-être trop?

– Non, monsieur, dites.

– Madame vous en eût servi; et ce qu’il fait pour madame d’Aloigny, le roi l’eut fait pour madame.

La plaideuse ouvrait de grands yeux.

– Hélas! dit-elle.

– Ah! si vous saviez, continua Jean, quelle grâce le roi a mise à lui accorder toutes ces faveurs. Il n’a pas été besoin de les lui demander, il a été au-devant. Dès qu’on lui eut dit que la baronne d’Aloigny s’offrait pour être marraine de Jeanne: «À la bonne heure, a-t-il dit, je suis las de toutes ces drôlesses qui sont plus fières que moi, à ce qu’il paraît… Comtesse, vous me présenterez cette femme, n’est-ce pas? A-t-elle un bon procès, un arriéré, une banqueroute?…»

Les yeux de la comtesse se dilataient de plus en plus.

– «Seulement, a ajouté le roi, une chose me fâche.»

– Ah! une chose fâchait Sa Majesté?

– Oui, une seule. «Une seule chose me fâche, c’est que pour présenter madame du Barry, j’eusse voulu un nom historique.» Et en disant ces paroles, Sa Majesté regardait le portrait de Charles Ier par Van Dyck.

– Oui, je comprends, dit la vieille plaideuse. Sa Majesté disait cela à cause de cette alliance des du Barry-Moore avec les Stuarts dont vous parliez tout à l’heure.

– Justement.

– Le fait est, dit madame de Béarn avec une intention impossible à rendre, le fait est que les d’Aloigny, je n’ai jamais entendu parler de cela.

– Bonne famille cependant, dit la comtesse, qui a fourni ses preuves, ou à peu près.

– Ah! mon Dieu! s’écria tout à coup Jean en se soulevant sur son fauteuil à la force du poignet.

– Eh bien! qu’avez-vous? fit madame du Barry ayant toutes les peines du monde à s’empêcher de rire en face des contorsions de son beau-frère.

– Monsieur s’est piqué peut-être? demanda la vieille plaideuse avec sollicitude.

– Non, dit Jean en se laissant doucement retomber, non, c’est une idée qui me vient.

– Quelle idée! dit la comtesse en riant, elle vous a presque renversé.

– Elle doit être bien bonne! fit madame de Béarn.