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– Excellente!

– Dites-nous-la, alors.

– Seulement, elle n’a qu’un malheur.

– Lequel?

– Elle est impossible à exécuter.

– Dites toujours.

– En vérité, j’ai peur de laisser des regrets à quelqu’un.

– N’importe, allez, vicomte, allez.

– Je pensais que, si vous faisiez part à madame d’Aloigny de cette observation que faisait le roi en regardant le portrait de Charles Ier…

– Oh! ce serait peu obligeant, vicomte.

– C’est vrai.

– Alors n’y pensons plus.

La plaideuse poussa un soupir.

– C’est fâcheux, continua le vicomte comme se parlant à lui-même, les choses allaient toutes seules; madame, qui a un grand nom et qui est une femme d’esprit, s’offrait à la place de la baronne d’Aloigny. Elle gagnait son procès, M. de Béarn fils avait une lieutenance dans la maison, et, comme madame a fait de grands frais pendant les différents voyages que ce procès l’a contrainte de faire à Paris, on lui donnait un dédommagement. Ah! une pareille fortune ne se rencontre pas deux fois dans la vie!

– Hélas! non, hélas! non, ne put s’empêcher de dire madame de Béarn, étourdie par ce coup imprévu.

Le fait est que, dans la position de la pauvre plaideuse, tout le monde eût dit comme elle, et, comme elle, fût resté écrasé dans le fond de son fauteuil.

– Là, vous voyez, mon frère, dit la comtesse avec un accent de profonde commisération, vous voyez que vous avez affligé madame. N’était-ce pas assez à moi que de lui prouver que je ne pouvais rien demander au roi avant ma présentation?

– Oh! si je pouvais faire reculer mon procès!

– De huit jours seulement, dit du Barry.

– Oui, de huit jours, dit madame de Béarn; dans huit jours madame sera présentée.

– Oui, mais le roi sera à Compiègne dans huit jours; le roi sera au milieu des fêtes; la dauphine sera arrivée.

– C’est juste, c’est juste, dit Jean; mais…

– Quoi?

– Attendez donc; encore une idée.

– Laquelle, monsieur, laquelle? dit la plaideuse.

– Il me semble… Oui… non… Oui, oui, oui!

Madame de Béarn répétait avec anxiété les monosyllabes de Jean.

– Vous avez dit oui, monsieur le vicomte, dit-elle.

– Je crois que j’ai trouvé le joint.

– Dites.

– Écoutez ceci.

– Nous écoutons.

– Votre présentation est encore un secret, n’est-ce pas?

– Sans doute; madame seule…

– Oh! soyez tranquille! s’écria la plaideuse.

– Votre présentation est donc un secret. On ignore que vous avez trouvé une marraine.

– Sans doute: le roi veut que la nouvelle éclate comme une bombe.

– Nous y sommes, cette fois.

– Bien sûr, monsieur le vicomte? demanda madame de Béarn.

– Nous y sommes! répéta Jean.

Les oreilles s’ouvrirent, les yeux se dilatèrent, Jean rapprocha son fauteuil des deux autres fauteuils.

– Madame, par conséquent, ignore comme les autres que vous allez être présentée, et que vous avez trouvé une marraine.

– Sans doute. Je l’ignorais si vous ne me l’eussiez pas dit.

– Vous êtes censée ne pas nous avoir vus; donc, vous ignorez tout. Vous demandez audience au roi.

– Mais madame la comtesse prétend que le roi me refusera.

– Vous demandez audience au roi, en lui offrant d’être la marraine de la comtesse. Vous comprenez, vous ignorez qu’elle en a une. Vous demandez donc audience au roi, en vous offrant d’être la marraine de ma sœur. De la part d’une femme de votre rang, la chose touche Sa Majesté. Sa Majesté vous reçoit, vous remercie, vous demande ce qu’elle peut faire pour vous être agréable. Vous entamez l’affaire du procès, vous faites valoir vos déductions. Sa Majesté comprend, recommande l’affaire, et votre procès, que vous croyiez perdu, se trouve gagné.

Madame du Barry fixait sur la comtesse des regards ardents. Celle-ci sentit probablement le piège.

– Oh! moi, chétive créature, dit-elle vivement, comment voulez-vous que Sa Majesté…?

– Il suffit, je crois, dans cette circonstance, d’avoir montré de la bonne volonté, dit Jean.

– S’il ne s’agit que de bonne volonté…, dit la comtesse hésitant.

– L’idée n’est point mauvaise, reprit madame du Barry en souriant. Mais peut-être que, même pour gagner son procès, madame la comtesse répugne à de pareilles supercheries?

– À de pareilles supercheries? reprit Jean. Ah! par exemple! et qui les saura, je vous le demande, ces supercheries?

– Madame a raison, reprit la comtesse espérant se tirer d’affaire par ce biais, et je préférerais lui rendre un service réel, pour me concilier réellement son amitié.

– C’est, en vérité, on ne peut plus gracieux, dit madame du Barry avec une légère teinte d’ironie, qui n’échappa point à madame de Béarn.

– Eh bien! j’ai encore un moyen, dit Jean.

– Un moyen?

– Oui.

– De rendre ce service réel?

– Ah çà! vicomte, dit madame du Barry, vous devenez poète, prenez garde! M. de Beaumarchais n’a pas dans l’imagination plus de ressources que vous.

La vieille comtesse attendait avec anxiété l’exposition de ce moyen.

– Raillerie à part, dit Jean. Voyons, petite sœur, vous êtes bien intime avec madame d’Aloigny n’est-ce pas?

– Si je le suis!… Vous le savez bien.

– Se formaliserait-elle de ne point vous présenter?

– Dame! c’est possible.

– Il est bien entendu que vous n’irez pas lui dire à brûle-pourpoint ce que le roi a dit, c’est-à-dire qu’elle était de bien petite noblesse pour une pareille charge. Mais vous êtes femme d’esprit, vous lui direz autre chose.

– Eh bien? demanda Jeanne.

– Eh bien! elle céderait à madame cette occasion de vous rendre service et de faire fortune.