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– Et moi, madame, répondit la plaideuse charmée, je ne sais quels termes employer pour vous exprimer toute ma reconnaissance du gracieux accueil que vous me faites.

– Madame, fit à son tour la comtesse avec une révérence respectueuse, c’est mon devoir envers une dame de votre qualité que de me mettre à sa disposition, si je pouvais lui être bonne à quelque chose.

Et les trois révérences accomplies de part et d’autre, la comtesse du Barry indiqua un fauteuil à madame de Béarn, et en prit un pour elle-même.

Chapitre XXXI Le brevet de Zamore

– Madame, dit la favorite à la comtesse, parlez, je vous écoute.

– Permettez, ma sœur, dit Jean demeuré debout, permettez que j’empêche madame d’avoir l’air de vous solliciter; madame n’y pensait pas le moins du monde; M. le chancelier l’a chargée d’une commission pour vous, voilà tout.

Madame de Béarn jeta un regard plein de reconnaissance sur Jean et tendit à la comtesse le brevet signé par le vice-chancelier, lequel brevet érigeait Luciennes en château royal, et confiait à Zamore le titre de son gouverneur.

– C’est donc moi qui suis votre obligée, madame, dit la comtesse après avoir jeté un coup d’œil sur le brevet, et si j’étais assez heureuse pour trouver une occasion de vous être agréable à mon tour…

– Oh! ce serait facile, madame! s’écria la plaideuse avec une vivacité qui enchanta les deux associés.

– Comment cela, madame? Dites, je vous prie.

– Puisque vous voulez bien me dire, madame, que mon nom ne vous est pas tout à fait inconnu…

– Comment donc, une Béarn!

– Eh bien! vous avez peut-être entendu parler d’un procès qui laisse vagues les biens de ma maison.

– Disputés par MM. de Saluces, je crois?

– Hélas! oui, madame.

– Oui, oui, je connais cette affaire, dit la comtesse. Sa Majesté en parlait l’autre soir chez moi à mon cousin, M. de Maupeou.

– Sa Majesté! s’écria la plaideuse, Sa Majesté a parlé de mon procès?

– Oui, madame.

– Et en quels termes?

– Hélas! pauvre comtesse! s’écria à son tour madame du Barry en secouant la tête.

– Ah! procès perdu, n’est-ce pas? fit la vieille plaideuse avec angoisse.

– S’il faut vous dire la vérité, je le crains bien, madame.

– Sa Majesté l’a dit!

– Sa Majesté, sans se prononcer, car elle est pleine de prudence et de délicatesse, Sa Majesté semblait regarder ces biens comme déjà acquis à la famille de Saluces.

– Oh! mon Dieu, mon Dieu, madame, si Sa Majesté était au courant de l’affaire, si elle savait que c’est par cession à la suite d’une obligation remboursée!… Oui, madame, remboursée; les deux cent mille francs ont été rendus. Je n’en ai pas les reçus certainement, mais j’en ai les preuves morales, et si je pouvais devant le parlement plaider moi-même, je démontrerais par déduction…

– Par déduction? interrompit la comtesse, qui ne comprenait absolument rien à ce que lui disait madame de Béarn, mais qui paraissait néanmoins donner la plus sérieuse attention à son plaidoyer.

– Oui, madame, par déduction.

– La preuve par déduction est admise, dit Jean.

– Ah! le croyez-vous, monsieur le vicomte? s’écria la vieille.

– Je le crois, répondit le vicomte avec une suprême gravité.

– Eh bien! par déduction, je prouverais que cette obligation de deux cent mille livres, qui, avec les intérêts accumulés, forme aujourd’hui un capital de plus d’un million, je prouverais que cette obligation, en date de 1400, a dû être remboursée par Guy Gaston IV, comte de Béarn, à son lit de mort, en 1417, puisqu’on trouve de sa main, dans son testament: «Sur mon lit de mort, ne devant plus rien aux hommes, et prêt à paraître devant Dieu…»

– Eh bien? dit la comtesse.

– Eh bien! vous comprenez: s’il ne devait plus rien aux hommes, c’est qu’il s’était acquitté avec les Saluces. Sans cela, il aurait dit: «Devant deux cent mille livres», au lieu de dire: «Ne devant rien.»

– Incontestablement il l’eût dit, interrompit Jean.

Mais vous n’avez pas d’autre preuve?

– Que la parole de Gaston IV, non, madame, mais c’est celui que l’on appelait l’irréprochable.

Tandis que vos adversaires ont l’obligation.

– Oui, je le sais bien, dit la vieille, et voilà justement ce qui embrouille le procès.

Elle aurait dû dire ce qui l’éclaircit; mais madame de Béarn voyait les choses à son point de vue.

– Ainsi, votre conviction, à vous, madame, c’est que les Saluces sont remboursés? dit Jean.

– Oui, monsieur le vicomte, dit madame Béarn avec élan, c’est ma conviction.

Eh mais! reprit la comtesse en se tournant vers son frère d’un air pénétré, savez-vous, Jean, que cette déduction, comme dit madame de Béarn, change terriblement l’aspect des choses?

– Terriblement, oui, madame, dit Jean.

– Terriblement pour mes adversaires, continua la comtesse; les termes du testament de Gaston IV sont positifs: «Ne devant plus rien aux hommes.»

– Non seulement c’est clair, mais c’est logique, dit Jean. Il ne devait plus rien aux hommes; donc, il avait payé ce qu’il leur devait.

– Donc, il avait payé, répéta à son tour madame du Barry.

– Ah! madame, que n’êtes-vous mon juge s’écria la vieille comtesse.

– Autrefois, dit le vicomte Jean, dans un cas pareil, on n’eût pas eu recours aux tribunaux, et le jugement de Dieu eût vidé l’affaire. Quant à moi, j’ai une telle confiance dans la beauté de la cause, que je jure, si un pareil moyen était encore en usage, que je m’offrirais pour le champion de madame.

– Oh! monsieur!

– C’est comme cela; d’ailleurs, je ne ferais que ce que fit mon aïeul du Barry-Moore, qui eut l’honneur de s’allier à la famille royale de Stuart, lorsqu’il combattit en champ clos pour la jeune et belle Edith de Scarborough, et qu’il fit avouer à son adversaire qu’il en avait menti par la gorge. Mais, malheureusement, continua le vicomte avec un soupir de dédain, nous ne vivons plus dans ces glorieux temps, et les gentilshommes, lorsqu’ils discutent leurs droits, doivent aujourd’hui soumettre la cause au jugement d’un tas de robins, qui ne comprennent rien à une phrase aussi claire que celle-ci: «Ne devant plus rien aux hommes.»