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– Mais c’est donc Zamore qui gouverne la France?

– Hum! fit M. de Maupeou en hochant la tête, Zamore est bien influent, et j’aimerais mieux être brouillé avec… avec la dauphine, par exemple, qu’avec lui.

– Jésus! s’écria madame de Béarn, si ce n’était pas une personne aussi sérieuse que Votre Excellence qui me dise de pareilles choses…

– Eh! mon Dieu, ce n’est pas seulement moi qui vous dirai cela, c’est tout le monde. Demandez aux ducs et pairs s’ils oublient, en allant à Marly ou à Luciennes, les dragées pour la bouche ou les perles pour les oreilles de Zamore. Moi qui vous parle, n’est-ce pas moi qui suis le chancelier de France, ou à peu près? eh bien! à quelle besogne croyez-vous que je m’occupais quand vous êtes arrivée? Je dressais pour lui des provisions de gouverneur.

– De gouverneur?

– Oui; M. de Zamore est nommé gouverneur de Luciennes.

– Le même titre dont on a récompensé M. le comte de Béarn après vingt années de services?

– En le faisant gouverneur du château de Blois; oui, c’est cela.

– Quelle dégradation, mon Dieu! s’écria la vieille comtesse; mais la monarchie est donc perdue?

– Elle est bien malade, au moins, comtesse; mais, d’un malade qui va mourir, vous le savez, on tire ce que l’on peut.

– Sans doute, sans doute; mais encore il faut pouvoir s’approcher du malade.

– Savez-vous ce qu’il vous faudrait pour être bien reçue de madame du Barry?

– Quoi donc?

– Il faudrait que vous fussiez admise à porter ce brevet à son nègre… La belle entrée en matière!

– Vous croyez, monseigneur? dit la comtesse consternée.

– J’en suis sûr. mais…

– Mais?… répéta madame de Béarn.

– Mais vous ne connaissez personne auprès d’elle?

– Mais vous, monseigneur?

– Eh! moi…

– Oui.

– Moi, je serais bien embarrassé.

– Allons, décidément, dit la pauvre vieille plaideuse, brisée par toutes ces alternatives, décidément la fortune ne veut plus rien faire pour moi. Voilà que Votre Excellence me reçoit comme je n’ai jamais été reçue, quand je n’espérais pas même avoir l’honneur de la voir. Eh bien! il me manque encore quelque chose: non seulement je suis disposée à faire la cour à madame du Barry, moi une Béarn! pour arriver jusqu’à elle, je suis disposée à me faire la commissionnaire de cet affreux négrillon que je n’eusse pas honoré d’un coup de pied au derrière si je l’eusse rencontré dans la rue, et voilà que je ne puis pas même arriver jusqu’à ce petit monstre…

M. de Maupeou recommençait à se caresser le menton et paraissait chercher, quand tout à coup l’huissier annonça:

– M. le vicomte Jean du Barry!

À ces mots, le chancelier frappa dans ses mains en signe de stupéfaction, et la comtesse tomba sur son fauteuil sans pouls et sans haleine.

– Dites maintenant que vous êtes abandonnée de la fortune, madame! s’écria le chancelier. Ah! comtesse, comtesse, le ciel, au contraire, combat pour vous.

Puis, se retournant vers l’huissier sans donner à la pauvre vieille le temps de se remettre de sa stupéfaction:

– Faites entrer, dit-il.

L’huissier se retira; puis, un instant après, il revint précédant notre connaissance, Jean du Barry, qui fit son entrée le jarret tendu et le bras en écharpe.

Après les saluts d’usage, et comme la comtesse, indécise et tremblante, essayait de se lever pour prendre congé, comme déjà le chancelier la saluait d’un léger mouvement de tête, indiquant par ce signe que l’audience était finie:

– Pardon, monseigneur, dit le vicomte, pardon, madame, je vous dérange, excusez-moi; demeurez, madame, je vous prie… avec le bon plaisir de Son Excellence: je n’ai que deux mots à lui dire.

La comtesse se rassit sans se faire prier; son cœur nageait dans la joie et battait d’impatience.

– Mais peut-être vous gênerai-je, monsieur? balbutia la comtesse.

– Oh! mon Dieu, non. Deux mots seulement à dire à Son Excellence, dix minutes de son précieux travail à lui enlever; le temps de porter plainte.

– Plainte, dites-vous? fit le chancelier à M. du Barry.

– Assassiné, monseigneur; oui, assassiné! Vous comprenez; je ne puis laisser passer ces sortes de choses-là. Qu’on nous vilipende, qu’on nous chansonne, qu’on nous noircisse, on survit à tout cela; mais qu’on ne nous égorge pas, mordieu! on en meurt.

– Expliquez-vous, monsieur, dit le chancelier en jouant l’effroi.

– Ce sera bientôt fait; mais, mon Dieu, j’interromps l’audience de madame.

– Madame la comtesse de Béarn, fit le chancelier en présentant la vieille dame à M. le vicomte Jean du Barry.

Du Barry recula gracieusement pour sa révérence, la comtesse pour la sienne, et tous deux se saluèrent avec autant de cérémonie qu’ils l’eussent fait à la cour.

– Après vous, monsieur le vicomte, dit-elle.

– Madame la comtesse, je n’ose commettre un crime de lèse-galanterie.

– Faites, monsieur, faites, il ne s’agit que d’argent pour moi, il s’agit d’honneur pour vous: vous êtes naturellement le plus pressé.

– Madame, dit le vicomte, je profiterai de votre gracieuse obligeance.

Et il raconta son affaire au chancelier, qui l’écouta gravement.

– Il vous faudrait des témoins, dit M. de Maupeou après un moment de silence.

– Ah! s’écria du Barry, je reconnais bien là le juge intègre qui ne veut se laisser influencer que par l’irrécusable vérité. Eh bien! on vous en trouvera, des témoins…

– Monseigneur, dit la comtesse, il y en a déjà un qui est tout trouvé.

– Quel est ce témoin? demandèrent ensemble le vicomte et M. de Maupeou.

– Moi, dit la comtesse.

– Vous, madame? fit le chancelier.

– Écoutez, monsieur, l’affaire ne s’est-elle pas passée au village de La Chaussée?

– Oui, madame.

– Au relais de la poste?

– Oui.

– Eh bien! je serai votre témoin. Je suis passée sur les lieux où l’attentat avait été commis, deux heures après cet attentat.

– Vraiment, madame? dit le chancelier. Ah! vous me comblez, dit le vicomte.