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– Ah! maître Flageot, que me dites-vous là?

– La vérité, madame.

– Quoi! non seulement vous perdez courage, mais encore vous m’ôtez celui que j’avais.

– Devant M. de Maupeou, il ne peut rien vous arriver de bon.

– Faible à ce point, vous, un Cicéron?

– Cicéron eut perdu la cause de Ligarius s’il eût plaidé devant Verrès au lieu de parler devant César, répondit maître Flageot, qui ne trouvait que cela de modeste à répondre pour repousser l’honneur insigne que sa cliente venait de lui faire.

– Alors vous me conseillez de ne pas l’aller voir?

– À Dieu ne plaise, madame, de vous conseiller une pareille irrégularité; seulement, je vous plains d’être forcée à une pareille entrevue.

– Vous me parlez là, monsieur Flageot, comme un soldat qui songe à déserter son poste. On dirait que vous craignez de vous charger de l’affaire.

– Madame, répondit l’avocat, j’en ai perdu quelques-unes dans ma vie qui avaient plus de chance de gain que celle-là.

La comtesse soupira; mais, rappelant toute son énergie:

– J’irai jusqu’au bout, dit-elle avec une sorte de dignité qui contrasta avec la physionomie comique de cet entretien, il ne sera pas dit qu’ayant le droit j’aurai reculé devant la brigue. Je perdrai mon procès, mais j’aurai montré aux prévaricateurs le front d’une femme de qualité comme il n’en reste pas beaucoup à la cour d’aujourd’hui. Me donnez-vous le bras, monsieur Flageot, pour m’accompagner chez votre vice-chancelier?

– Madame, dit maître Flageot appelant, lui aussi, à son aide toute sa dignité, madame, nous nous sommes juré, nous, membres opposants du parlement de Paris, de ne plus avoir de rapports en deçà des audiences, avec ceux qui ont abandonné les parlements dans l’affaire de M. d’Aiguillon. L’union fait la force; et comme M. de Maupeou a louvoyé dans toute cette affaire, comme nous avons à nous plaindre de lui, nous resterons dans nos camps jusqu’à ce qu’il ait arboré une couleur.

– Mon procès arrive mal, à ce que je vois, soupira la comtesse; des avocats brouillés avec leurs juges, des juges brouillés avec leurs clients… C’est égal, je persévérerai.

– Dieu vous assiste, madame, dit l’avocat en rejetant sa robe de chambre sur son bras gauche, comme un sénateur romain eût fait de sa toge.

– Voici un triste avocat, murmura en elle-même madame de Béarn. J’ai peur d’avoir moins de chance avec lui devant le parlement que je n’en avais là-bas devant mon traversin.

Puis tout haut, avec un sourire sous lequel elle essayait de dissimuler son inquiétude:

– Adieu, maître Flageot, continua-t-elle; étudiez bien la cause, je vous prie, on ne sait pas ce qui peut arriver.

– Oh! madame, dit maître Flageot, ce n’est point le plaidoyer qui m’embarrasse. Il sera beau, je le crois, d’autant plus beau que je me promets d’y mêler des allusions terribles.

– À quoi, monsieur, à quoi?

– À la corruption de Jérusalem, madame, que je comparerai aux villes maudites, et sur qui j’appellerai le feu du ciel. Vous comprenez, madame, que personne ne s’y trompera, et que Jérusalem sera Versailles.

– Monsieur Flageot, s’écria la vieille dame, ne vous compromettez pas, ou plutôt ne compromettez pas ma cause!

– Eh! madame, elle est perdue avec M. de Maupeou, votre cause; il ne s’agit donc plus que de la gagner devant nos contemporains; et puisque l’on ne nous fait pas justice, faisons scandale!

– Monsieur Flageot…

– Madame, soyons philosophes… tonnons!

– Le diable te tonne, va! grommela la comtesse, méchant avocassier qui ne vois dans tout cela qu’un moyen de te draper dans tes loques philosophiques. Allons chez M. de Maupeou; il n’est pas philosophe, lui, et j’en aurai peut être meilleur marché que de toi!

Et la vieille comtesse quitta maître Flageot et s’éloigna de la rue du Petit-Lion-Saint-Sauveur, après avoir parcouru en deux jours tous les degrés de l’échelle des espérances et des désappointements.

Chapitre XXX Le Vice

La vieille comtesse tremblait de tous ses membres en se rendant chez M. de Maupeou.

Cependant une réflexion propre à la tranquilliser lui était venue en chemin. Selon toute probabilité, l’heure avancée ne permettrait pas à M. de Maupeou de la recevoir, et elle se contenterait d’annoncer sa visite prochaine au suisse.

En effet, il pouvait être sept heures du soir, et quoiqu’il fît jour encore, l’habitude de dîner à quatre heures déjà répandue dans la noblesse interrompait, en général, toute affaire depuis le dîner jusqu’au lendemain.

Madame de Béarn, qui désirait rencontrer ardemment le vice-chancelier, fut cependant consolée à cette idée qu’elle ne le trouverait pas. C’est là une de ces fréquentes contradictions de l’esprit humain, que l’on comprendra toujours sans les expliquer jamais.

La comtesse se présenta donc, comptant que le suisse allait l’évincer. Elle avait préparé un écu de trois livres pour adoucir le cerbère et l’engager à présenter son nom sur la liste des audiences demandées.

En arrivant en face de l’hôtel, elle trouva le suisse causant avec un huissier, lequel semblait lui donner un ordre. Elle attendit discrètement, de peur que sa présence ne dérangeât les deux interlocuteurs; mais en l’apercevant dans son carrosse de louage, l’huissier se retira.

Le suisse alors s’approcha du carrosse et demanda le nom de la solliciteuse.

– Oh! je sais, dit-elle, que je n’aurai probablement pas l’honneur de voir Son Excellence.

– N’importe, madame, répondit le suisse, faites-moi toujours l’honneur de me dire comment vous vous nommez.

– Comtesse de Béarn, répondit-elle.

– Monseigneur est à l’hôtel, répliqua le suisse.

– Plaît-il? fit madame de Béarn au comble de l’étonnement.

– Je dis que monseigneur est à l’hôtel, répéta celui-ci.

– Mais, sans doute, monseigneur ne reçoit pas?

– Il recevra madame la comtesse, dit le suisse.

Madame de Béarn descendit, ne sachant pas si elle dormait ou veillait. Le suisse tira un cordon qui fit deux fois résonner une cloche. L’huissier parut sur le perron, et le suisse fit signe à la comtesse qu’elle pouvait entrer.

– Vous voulez parler à monseigneur, madame? demanda l’huissier.

– C’est-à-dire, monsieur, que je désirais cette faveur sans oser l’espérer.

– Veuillez me suivre, madame la comtesse.