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Elle se contint cependant.

– L’heureux époux de Nicole, reprit-elle, n’est-ce point quelqu’un que vous connaissez, Gilbert?

– De qui voulez-vous parler, Nicole?

– Voyons… est-ce que vous devenez imbécile, ou est-ce que je ne parle pas français? s’écria la jeune fille, qui commençait à s’impatienter à ce jeu.

– Je vous entends à merveille, dit Gilbert; vous m’offrez d’être votre mari, n’est-ce pas, mademoiselle Legay?

– Oui, monsieur Gilbert.

– Et c’est après être devenue riche, se hâta de dire celui-ci, que vous conservez pour moi de pareilles intentions; en vérité, je vous en suis bien reconnaissant.

– Vraiment?

– Sans doute.

– Eh bien! dit franchement Nicole, touchez là.

– Moi?

– Vous acceptez, n’est-ce pas?

– Je refuse.

Nicole fit un bond.

– Tenez, dit-elle, vous êtes un mauvais cœur ou tout au moins un mauvais esprit, Gilbert, et, croyez-moi, ce que vous faites en ce moment ne vous portera point bonheur. Si je vous aimais encore, et si j’avais mis en ce que je fais en ce moment autre chose qu’un point d’honneur et de probité, vous me déchireriez l’âme. Mais, Dieu merci! j’ai voulu qu’il ne fût pas dit que Nicole, devenue riche, méprisait Gilbert et lui rendait une souffrance pour une insulte. À présent, Gilbert, tout est fini entre nous.

Gilbert fit un geste d’indifférence.

– Ce que je pense de vous, vous ne pouvez en douter, dit Nicole; me décider, moi, moi dont vous connaissez le caractère aussi libre, aussi indépendant que le vôtre, me décider, moi, à m’enterrer ici, quand Paris m’attend! Paris qui sera mon théâtre, comprenez-vous? Me décider à avoir tout le jour, toute l’année et toute la vie, cette froide et impénétrable figure derrière laquelle se cachent tant de vilaines pensées! C’était un sacrifice; vous ne l’avez pas compris, tant pis pour vous. Je ne dis pas que vous me regretterez, Gilbert; je dis que vous me redouterez et que vous rougirez de me voir là où m’aura conduite votre mépris de ce jour. Je pouvais redevenir honnête, une main amie me manquait pour m’arrêter au bord de l’abîme, où je penche, où je glisse, où je vais tomber. J’ai crié: «Aidez-moi! soutenez-moi!» vous m’avez repoussée, Gilbert. J’y roule, j’y tombe, je m’y perds. Dieu vous tiendra compte de ce crime. Adieu, Gilbert, adieu.

Et la fière jeune fille s’en retourna sans colère, sans impatience, ayant fini, comme toutes les natures d’élite, par laisser venir à la surface le fond généreux de son âme.

Gilbert ferma tranquillement sa fenêtre et rentra dans sa cabane, où il reprit cette mystérieuse occupation interrompue par l’arrivée de Nicole.

Chapitre XVIII Adieux à Taverney

Nicole, avant de rentrer près de sa maîtresse, s’arrêta sur l’escalier pour comprimer les derniers cris de la colère qui grondait en elle.

Le baron la rencontra immobile, pensive, le menton dans sa main et les sourcils contractés; et, tout occupé qu’il était, la voyant si jolie, il l’embrassa, comme l’eût fait M. de Richelieu à trente ans.

Nicole, tirée de sa rêverie par cette gaillardise du baron, remonta précipitamment chez Andrée, qui achevait de fermer un coffret.

– Eh bien! dit mademoiselle de Taverney, ces réflexions?…

– Elles sont faites, mademoiselle, répondit Nicole avec un air des plus délibérés.

– Tu te maries?

– Non pas, au contraire.

– Ah bah! et ce grand amour?

– Ne me vaudra jamais ce que me vaudront les bontés dont mademoiselle me comble à toute heure. J’appartiens à mademoiselle et lui veux appartenir toujours. Je connais la maîtresse que je me suis donnée; connaîtrais-je aussi bien le maître que je me donnerais?

Andrée fut touchée de cette manifestation de sentiments, qu’elle était loin de croire trouver chez l’étourdie Nicole. Il va sans dire qu’elle ignorait que cette même Nicole fit d’elle un pis-aller.

Elle sourit, heureuse de trouver une créature humaine meilleure qu’elle ne l’espérait.

– Tu fais bien de m’être attachée, Nicole, répliqua-t-elle. Je ne l’oublierai pas. Confie-moi ton sort, mon enfant, et si quelque bonheur m’arrive, tu en auras ta part, je te le promets.

– Oh! mademoiselle, c’est décidé, je vous suis.

– Sans regrets?

– Aveuglément.

– Ce n’est pas répondre, dit Andrée. Je ne voudrais pas qu’un jour tu pusses me reprocher de m’avoir suivie aveuglément.

– Je n’aurai de reproches à faire qu’à moi-même, mademoiselle.

– Alors tu t’es donc entendue de cela avec ton prétendu?

Nicole rougit.

– Moi? dit-elle.

– Oui, toi, je t’ai vue causer avec lui.

Nicole se mordit les lèvres. Elle avait une fenêtre parallèle à celle d’Andrée, et elle savait bien que ce cette fenêtre on voyait celle de Gilbert.

– C’est vrai, mademoiselle, répondit Nicole.

– Et tu lui as dit?

– Je lui ai dit, reprit Nicole, qui crut remarquer qu’Andrée la questionnait, et qui, rendue à ses premiers soupçons par cette fausse manœuvre de l’ennemi, essaya de répondre hostilement, je lui ai dit que je ne voulais plus de lui.

Il était décidé que ces deux femmes, l’une avec sa pureté de diamant, l’autre avec sa tendance naturelle au vice, ne s’entendraient jamais.

Andrée continua de prendre les aigreurs de Nicole pour des cajoleries.

Pendant ce temps, le baron complétait l’attirail de son bagage: une vieille épée qu’il portait à Fontenoy, des parchemins qui établissaient son droit à monter dans les carrosses de Sa Majesté, une collection de la Gazette, et certaines correspondances formaient la portion la plus volumineuse de son avoir. Comme Bias, il portait tout cela sous un bras.

La Brie avait l’air de suer en marchant, courbé sous une malle à peu près vide.

On retrouva dans l’avenue M. l’exempt qui, pendant tous ces préparatifs, avait vidé sa bouteille jusqu’à la dernière goutte.

Le galant avait remarqué la taille si fine, la jambe si ronde de Nicole, et ne cessait de rôder de la pièce d’eau aux marronniers pour revoir cette charmante coureuse, aussi vite disparue qu’entrevue sous les massifs.

M. de Beausire, ainsi avons-nous déjà dit qu’on l’appelait, fut tiré de sa contemplation par l’invitation que lui fit le baron d’appeler la voiture. Il fit un soubresaut, salua M. de Taverney, et commanda d’une voix sonore au cocher d’entrer dans l’avenue.