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Et la jeune fille, tournant le dos à Gilbert, commença de se déshabiller comme s’il n’était point là.

Gilbert demeura un instant immobile, indécis, hésitant, car, excitée ainsi par la poésie de la colère et la flamme de la jalousie, Nicole était une ravissante créature. Mais il y avait un dessein bien arrêté dans le cœur de Gilbert, c’était de rompre avec Nicole. Nicole pouvait nuire à la fois à ses amours et à ses ambitions. Il résista.

Au bout de quelques secondes, Nicole, n’entendant plus aucun bruit derrière elle, se retourna; la chambre était vide.

– Parti! murmura-t-elle, parti!

Elle alla vers la fenêtre; tout était obscur, la lumière était éteinte.

– Et mademoiselle! dit Nicole.

La jeune fille alors descendit l’escalier sur la pointe du pied, s’approcha de la porte de la chambre de sa maîtresse et écouta.

– Bon! dit-elle, elle s’est couchée seule et elle dort. À demain. Oh! je saurai bien si elle l’aime, elle!

Chapitre XI Maîtresse et chambrière

L’état dans lequel Nicole était rentrée chez elle n’était point le calme qu’elle affectait. La jeune fille, de toute cette rouerie dont elle avait voulu faire preuve, de toute cette fermeté dont elle croyait avoir fait parade, la jeune fille ne possédait réellement qu’une dose de fanfaronnade suffisante pour la rendre dangereuse et la faire paraître corrompue. Nicole était une imagination naturellement déréglée, un esprit perverti par de mauvaises lectures. La combinaison de cet esprit et de cette imagination donnait l’essor à des sens brûlants. mais ce n’était point une âme sèche; et si son amour-propre, tout-puissant sur elle, parvenait parfois à arrêter les larmes dans ses yeux, ces larmes, repoussées violemment, retombaient sur son cœur, corrosives comme des gouttes de plomb fondu.

Une seule démonstration avait été chez elle significative et réelle. C’était le sourire plein de mépris avec lequel elle avait accueilli les premières insultes de Gilbert: ce sourire trahissait toutes les blessures de son cœur! Certes, Nicole était une fille sans vertus, sans principes; mais elle avait attaché quelque prix à sa défaite, et lorsqu’elle s’était donnée, comme elle s’était donnée tout entière, elle avait cru faire un présent. L’indifférence et la fatuité de Gilbert l’avilissaient à ses propres yeux. Elle venait d’être rudement châtiée de sa faute et elle avait cruellement senti la douleur de cette punition; mais elle se releva sous le fouet, et se jura à elle-même qu’elle rendrait à Gilbert, sinon tout le mal, du moins partie du mal qu’il lui avait fait.

Jeune, vigoureuse, pleine de sève rustique, douée de cette faculté d’oublier, si précieuse pour quiconque n’aspire qu’à commander à ceux qui l’aiment, Nicole put dormir après avoir concerté son petit plan de vengeance avec tous les démons qui lui faisaient l’honneur d’habiter son petit cœur de dix sept ans.

Au reste, mademoiselle de Taverney lui paraissait aussi et même plus coupable que Gilbert. Une fille de noblesse, toute raide de préjugés, toute bouffie d’orgueil, qui, au couvent de Nancy, donnait de la troisième personne aux princesses, le vous aux duchesses, le toi aux marquises et rien au-dessous; une statue froide en apparence, mais sensible sous son écorce de marbre; cette statue lui paraissait ridicule et mesquine lorsqu’elle se faisait femme pour un Pygmalion de village comme Gilbert.

Car, il faut le dire, Nicole, avec ce sens exquis dont la nature a doué les femmes, Nicole se sentait inférieure en esprit seulement à Gilbert, mais supérieure pour le reste. Sans cette suprématie de l’esprit, que son amant avait acquise sur elle par cinq ou six ans de lecture, elle dérogeait, elle, la chambrière d’un baron ruiné, en se donnant à un paysan.

Que faisait donc sa maîtresse, si sa maîtresse s’était réellement donnée à Gilbert?

Nicole réfléchit que raconter ce qu’elle avait cru voir, mais ce qu’elle se figurait avoir vu en réalité, à M. de Taverney, ce serait une faute énorme: d’abord à cause du caractère de M. de Taverney, qui en rirait après avoir souffleté et chassé Gilbert; puis à cause du caractère de Gilbert, qui trouverait la vengeance mesquine et méprisable.

Mais faire souffrir Gilbert dans Andrée, prendre un droit sur tous deux, les voir pâlir ou rougir sous son regard de chambrière, devenir maîtresse absolue et faire regretter peut-être à Gilbert le temps où la main qu’il baisait n’était dure qu’à la surface; voilà ce qui flatta son imagination et caressa son orgueil, voilà ce qui lui parut réellement avantageux; voilà ce à quoi elle s’arrêta. Puis elle s’endormit.

Il faisait jour lorsqu’elle se réveilla, fraîche, légère, l’esprit dispos. Elle donna le temps ordinaire à sa toilette, c’est-à-dire une heure; car, pour démêler ses longs cheveux seulement, une main moins habile ou plus scrupuleuse que la sienne eût absorbé le double de temps; Nicole regarda ses yeux dans ce triangle de verre étamé dont nous avons parlé tout à l’heure et qui lui servait de miroir; ses yeux lui parurent plus beaux que jamais. Elle continua l’examen et passa de ses yeux à sa bouche; ses lèvres n’avaient point pâli et s’arrondissaient comme une cerise, sous l’ombre d’un nez fin et légèrement retroussé; son cou, qu’elle avait le plus grand soin de dérober aux baisers du soleil, était d’une blancheur de lis, et rien ne pouvait se présenter de plus riche que sa poitrine et de plus insolemment cambré que sa taille.

Se voyant si belle, Nicole pensa qu’elle pourrait facilement inspirer de la jalousie à Andrée. Elle n’était point entièrement corrompue, comme on le voit, puisqu’elle ne songea point à un caprice ou à une fantaisie, et que cette idée lui vint que mademoiselle de Taverney pouvait aimer Gilbert.

Ainsi armée au physique et au moral, Nicole ouvrit la porte de la chambre d’Andrée, comme elle était autorisée à le faire par sa maîtresse, quand à sept heures celle-ci n’était point levée.

À peine entrée dans la chambre, Nicole s’arrêta.

Andrée, pâle et le front couvert d’une sueur dans laquelle nageaient ses beaux cheveux, était étendue sur son lit, respirant avec peine, et se tordant parfois dans son lourd sommeil avec une sombre expression de douleur.

Ses draps, roulés et froissés sous elle, n’avaient point recouvert son corps à demi vêtu, et, dans un désordre qui révélait ses agitations, elle appuyait une de ses joues sur son bras, et serrait son autre main sur sa poitrine marbrée.

De temps en temps sa respiration, suspendue par intervalles, s’échappait comme un râle de douleur, et elle poussait un gémissement inarticulé.

Nicole la considéra un moment en silence et secoua la tête, car elle se rendait justice, et elle comprenait qu’il n’y avait pas de beauté qui pût lutter avec la beauté d’Andrée.

Puis elle alla vers la fenêtre et ouvrit le contrevent.

Un flot de lumière envahit aussitôt la chambre, et fit trembler les paupières violacées de mademoiselle de Taverney.