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La seconde, en arrivant chez Nicole, c’est qu’on pouvait, sans trop risquer de se casser le cou, atteindre le premier échelon et de là se laisser glisser jusqu’à terre.

Comme simplicité, la chambre de Nicole ne différait pas du reste de l’habitation.

C’était un grenier dont la muraille avait disparu sous un papier gris à dessins verts. Un lit de sangle et un grand géranium placé près de la lucarne meublait la chambre. En outre, Andrée avait prêté à Nicole un énorme carton qui lui servait à la fois de commode et de table.

Nicole s’assit sur le bord du lit, Gilbert sur l’angle du carton.

Nicole s’était calmée en montant l’escalier. Maîtresse d’elle-même, elle se sentait forte. Gilbert, au contraire, tout tremblant encore des secousses antérieures, ne pouvait parvenir à reprendre son sang-froid, et sentait la colère monter en lui à mesure que, par la force de sa volonté, elle semblait s’éteindre chez la jeune fille.

Il se fit un moment de silence pendant lequel Nicole couvrit Gilbert d’un œil ardent et irrité.

– Ainsi, dit-elle, vous aimez mademoiselle, et vous me trompez?

– Qui vous dit que j’aime mademoiselle? fit Gilbert.

– Dame! vous avez des rendez-vous avec elle.

– Qui vous dit que c’est avec elle que j’ai eu un rendez-vous?

– À qui donc aviez-vous affaire dans le pavillon? Au sorcier?

– Peut-être! vous savez que j’ai de l’ambition.

– Dites de l’envie.

– C’est le même mot interprété en bonne et en mauvaise part.

– Ne faisons pas d’une discussion de choses une discussion de mots. Vous ne m’aimez plus, n’est-ce pas?

– Si fait, je vous aime toujours.

– Alors pourquoi vous éloignez-vous de moi?

– Parce que, lorsque vous me rencontrez, vous me cherchez querelle.

– Justement, je vous cherche querelle parce que nous ne faisons plus que nous rencontrer.

– J’ai toujours été sauvage et cherchant la solitude, vous le savez.

– Oui, et l’on monte chez la solitude avec une échelle… Pardon, je ne savais pas cela.

Gilbert était battu sur ce premier point.

– Allons, allons, soyez franc, si cela vous est possible, Gilbert, et avouez que vous ne m’aimez plus, ou que vous nous aimez à deux?

– Eh bien! si cela était, fit Gilbert, que diriez-vous?

– Je dirais que c’est une monstruosité.

– Non pas, mais une erreur.

– De votre cœur?

– De notre société. Il y a des pays où chaque homme, vous le savez, a jusqu’à sept ou huit femmes.

– Ce ne sont pas des chrétiens, répondit Nicole avec impatience.

– Ce sont des philosophes, répondit superbement Gilbert.

– Oh! monsieur le philosophe! ainsi vous trouveriez bon que je fisse comme vous, que je prisse un second amant?

– Je ne voudrais pas être injuste et tyrannique envers vous, je ne voudrais pas comprimer les mouvements de votre cœur… La sainte liberté consiste surtout à respecter le libre arbitre… Changez d’amour, Nicole, je ne saurais vous contraindre à une fidélité qui, selon moi, n’est pas dans la nature.

– Ah! s’écria Nicole, vous voyez bien que vous ne m’aimez pas!

La discussion était le fort de Gilbert, non pas que son esprit fût précisément logique, mais il était paradoxal. Puis, si peu qu’il sût, il en savait toujours plus que Nicole… Nicole n’avait lu que ce qui lui paraissait amusant; Gilbert avait lu non seulement ce qui lui paraissait amusant, mais encore ce qui lui avait paru utile.

Gilbert commençait donc, en discutant, à regagner le sang-froid que perdait Nicole.

– Avez-vous de la mémoire, monsieur le philosophe? demanda Nicole avec un sourire ironique.

– Quelquefois, répondit Gilbert.

– Vous rappelez-vous ce que vous m’avez dit lorsque j’arrivai des Annonciades avec mademoiselle, il y a cinq mois?

– Non; mais rappelez-le-moi.

– Vous m’avez dit: «Je suis pauvre.» C’était le jour où nous lisions ensemble Tanzaï sous une des voûtes du vieux château écroulé.

– Bien, continuez.

– Vous trembliez très fort, ce jour-là.

– C’est possible; je suis d’un naturel timide, mais je fais ce que je puis pour me corriger de ce défaut-là comme des autres.

– De sorte que, lorsque vous serez corrigé de tous vos défauts, dit en riant Nicole, vous serez parfait.

– Je serai fort, du moins, car c’est la sagesse qui fait la force.

– Où avez-vous lu cela, s’il vous plaît?

– Que vous importe? Revenez à ce que je vous disais sous la voûte.

Nicole sentait qu’elle perdait de plus en plus son terrain.

– Eh bien! vous me disiez: «Je suis pauvre, Nicole, personne ne m’aime, on ne sait pas que j’ai quelque chose là», et vous frappiez votre cœur.

– Vous vous trompez, Nicole; si je frappais quelque chose en vous disant cela, ce ne devait pas être mon cœur, mais ma tête. Le cœur n’est qu’une pompe foulante destinée à pousser le sang aux extrémités. Lisez le Dictionnaire philosophique, article Cœur.

Et Gilbert se redressa avec suffisance. Humilié devant Balsamo, il se faisait superbe devant Nicole.

– Vous avez raison, Gilbert, et ce devait être effectivement votre tête que vous frappiez. Vous disiez donc, en frappant votre tête: «On me traite ici comme un chien de basse-cour, et encore Mahon est plus heureux que moi.» Je vous répondis alors qu’on avait tort de ne pas vous aimer, et que, si vous aviez été mon frère, je vous eusse aimé, moi. Il me semble que c’est avec mon cœur et non avec ma tête que je vous ai répondu cela. Mais peut être me trompé-je: je n’ai pas lu le Dictionnaire philosophique.

– Vous avez eu tort, Nicole.

– Vous me prîtes alors dans vos bras. «Vous êtes orpheline Nicole, me dîtes-vous; moi aussi, je suis orphelin; notre misère et notre abjection nous font plus que frères: aimons-nous donc, Nicole, comme si nous l’étions réellement. D’ailleurs, si nous l’étions réellement, la société nous défendrait de nous aimer comme je veux que tu m’aimes.» Alors vous m’avez embrassée.

– C’est possible.

– Vous pensiez donc ce que vous disiez?