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– Non.

– Est-il rentré chez lui dans sa chambre? Je veux que vous voyiez la chambre de votre frère.

– Je ne vois rien. Je crois qu’il n’est plus à Strasbourg.

– Connaissez-vous la route?

– Non.

– N’importe! je la connais, moi; suivons-la. Est-il à Saverne?

– Non.

– Est-il à Sarrebruck?

– Non.

– Est-il à Nancy?

– Attendez, attendez!

La jeune fille se recueillit; son cœur battait à briser sa poitrine.

– Je vois! je vois! dit-elle avec une joie éclatante; oh! cher Philippe, quel bonheur!

– Qu’y a-t-il?

– Cher Philippe! continua Andrée, dont les yeux étincelaient de joie.

– Où est-il?

– Il traverse à cheval une ville que je connais parfaitement.

– Laquelle?

– Nancy! Nancy! Celle où j’ai été au couvent.

– Êtes-vous sûre que ce soit lui?

– Oh! oui, les flambeaux dont il est entouré éclairent son visage.

– Des flambeaux? dit Balsamo avec surprise. Pourquoi faire ces flambeaux?

– Il est à cheval! à cheval! À la portière d’un beau carrosse doré.

– Ah! ah! fit Balsamo, qui paraissait comprendre, et qu’y a-t-il dans ce carrosse?

– Une jeune femme… Oh! qu’elle est majestueuse! qu’elle est gracieuse! qu’elle est belle! Oh! c’est étrange, il me semble l’avoir déjà vue; non, non, je me trompais, c’est Nicole qui lui ressemble.

– Nicole ressemble à cette jeune femme, si fière, si majestueuse, si belle?

– Oui! oui! mais comme le jasmin ressemble au lis.

– Voyons, que se passe-t-il à Nancy en ce moment?

– La jeune femme se penche vers la portière et fait signe à Philippe d’approcher: il obéit, il approche, il se découvre respectueusement.

– Pouvez-vous entendre ce qu’ils vont dire?

– J’écouterai, dit Andrée en arrêtant Balsamo d’un geste comme si elle eût voulu qu’aucun bruit ne détournât son attention. J’entends! j’entends! murmura-t-elle.

– Que dit la jeune femme?

– Elle lui ordonne, avec un doux sourire, de faire presser la marche des chevaux. Elle dit qu’il faut que l’escorte soit prête le lendemain, à six heures du matin, parce qu’elle veut s’arrêter dans la journée.

– Où cela?

– C’est ce que demande mon frère… Oh! mon Dieu! c’est à Taverney qu’elle veut s’arrêter. Elle veut voir mon père. Oh! une si grande princesse s’arrêter dans une si pauvre maison!… Comment ferons-nous, sans argenterie, presque sans linge?

– Rassurez-vous. Nous pourvoirons à cela.

– Ah! merci! merci!

Et la jeune fille qui s’était soulevée à demi, retomba épuisée sur son fauteuil en poussant un profond soupir.

Aussitôt Balsamo s’approcha d’elle, et, changeant par des passes magnétiques la direction des courants d’électricité, il rendit la tranquillité du sommeil à ce beau corps qui penchait brisé, à cette tête alourdie qui retombait sur sa poitrine haletante.

Andrée sembla rentrer alors dans un repos complet et réparateur.

– Reprends des forces, lui dit Balsamo en la regardant avec une sombre extase; tout à l’heure, j’aurai encore besoin de toute ta lucidité. O science! continua-t-il avec le caractère de la plus croyante exaltation, toi seule ne trompes pas! C’est donc à toi seule que l’homme doit tout sacrifier. Cette femme est bien belle, ô mon Dieu! Cet ange est bien pur! Et tu le sais, toi qui crées les anges et les femmes! Mais, pour moi, que vaut en ce moment la beauté? que vaut l’innocence? Un simple renseignement que la beauté et l’innocence seules me peuvent donner. Meure la créature, si belle, si pure, si parfaite qu’elle soit, pourvu que sa bouche parle! Meurent, les délices du monde entier, amour, passion, extase, pourvu que je puisse toujours marcher d’un pas sûr et éclairé! Et maintenant, jeune fille, maintenant que, par le pouvoir de ma volonté, quelques secondes de sommeil t’ont rendu autant de forces que si tu venais de dormir vingt ans, maintenant réveille-toi, ou plutôt replonge-toi dans ton clairvoyant sommeil. J’ai encore besoin que tu parles; cette fois, seulement, tu vas parler pour moi.

Et Balsamo, étendant de nouveau les mains vers Andrée, força la jeune fille de se redresser sous un souffle tout-puissant.

Puis, lorsqu’il la vit préparée et soumise, il tira de son portefeuille un papier plié en quatre, dans lequel était renfermée une boucle de cheveux d’un noir chaud comme la résine. Les parfums dont elle était imprégnée avaient rendu le papier diaphane.

Balsamo mit la boucle de cheveux dans la main d’Andrée.

– Voyez, demanda-t-il.

– Oh! encore! dit la jeune fille avec angoisse. Oh! non, non; laissez-moi tranquille; je souffre trop… Oh! mon Dieu! mon Dieu! tout à l’heure je me sentais si bien!

– Voyez! répondit Balsamo en posant impitoyablement le bout de la verge d’acier sur la poitrine de la jeune fille.

Andrée se tordit les mains; elle essaya de se soustraire à la tyrannie de l’expérimentateur. L’écume vint à ses lèvres, comme autrefois à celles de la pythie assise sur le trépied sacré.

– Oh! je vois, je vois! cria-t-elle avec le désespoir de la volonté vaincue.

– Que voyez-vous?

– Une femme.

– Ah! murmura Balsamo avec une joie sauvage, la science n’est donc pas un vain mot comme la vertu! Mesmer a vaincu Brutus. Voyons, dépeignez moi cette femme, afin que je sache si vous avez bien vu.

– Brune, grande, des yeux bleus, des cheveux noirs, des bras nerveux.

– Que fait-elle?

– Elle court, elle vole, elle semble emportée par un cheval magnifique, couvert de sueur.

– De quel côté va-t-elle?

– Par là, par là, dit la jeune fille en montrant l’ouest.

– Sur la route?

– Oui.

– De Châlons?

– Oui.

– C’est bien, fit Balsamo; elle suit la route que je dois suivre. Elle va à Paris comme j’y vais; c’est bien: je la retrouverai à Paris. Reposez-vous maintenant, dit-il à Andrée en lui reprenant la boucle qu’elle n’avait point lâchée.