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Le rêve Belge

La Belgique se croit toute pleine d’appas;

Elle dort. Voyageur, ne la réveillez pas.

L’inviolabilité de la Belgique

«Qu’on ne me touche pas! Je suis inviolable!»

Dit la Belgique. – C’est hélas! incontestable.

Y toucher? Ce serait, en effet hasardeux,

Puisqu’elle est un bâton merdeux.

Épitaphe pour Léopold I

Ci-gît un roi constitutionnel,

(Ce qui veut dire: Automate en hôtel Garni)

Qui se croyait sempiternel

Heureusement, c’est bien fini!

Épitaphe pour la Belgique

On me demande une épitaphe

Pour la Belgique morte. En vain

Je creuse, et je rue et je piaffe;

Je ne trouve qu’un mot: «Enfin!»

L’esprit conforme

I

Cet imbécile de Tournai

Me dit: «J’ai l’esprit mieux tourné

Que vous, Monsieur. Ma jouissance

Dérive de l’obéissance;

J’ai mis toute ma volupté

Dans l’esprit de Conformité;

Mon cœur craint toute façon neuve

En fait de plaisir ou d’ennui,

Et veut que le bonheur d’autrui

Toujours au sien serve de preuve.»

Ce que dit l’homme de Tournai,

(Dont vous devinez bien, je pense,

Que j’ai retouché l’éloquence)

N’était pas si bien tourné.

II

Les Belges poussent, ma parole!

L’imitation à l’excès,

Et s’ils attrapent la vérole,

C’est pour ressembler aux Français.

Les panégyriques du roi

Tout le monde, ici, parle un français ridicule:

On proclame immortel ce vieux principicule.

Je veux bien qu’immortalité

Soit le synonyme

De longévité,

La différence est si minime!

Bruxelles, ces jours-ci, déclarait (c’est grotesque!)

Léopold immortel. – Au fait, il le fut presque.

Le mot de Cuvier

«En quel genre, en quel coin de l’animalité

Classerons-nous le Belge?» Une Société

Scientifique avait posé ce dur problème.

Alors le grand Cuvier se leva, tremblant, blême,

Et pour toutes raisons criant: «Je jette aux chiens

Ma langue! Car, messieurs les Académiciens,

L’espace est un peu grand depuis les singes jusques

Jusques aux mollusques!»

Au concert, à Bruxelles

On venait de jouer de ces airs ravissants

Qui font rêver l’esprit et transportent les sens;

Mais un peu lâchement, hélas! à la flamande.

«Tiens! l’on n’applaudit pas ici?» fis-je. – Un voisin,

Amoureux comme moi de musique allemande,

Me dit: «Vous êtes neuf dans ce pays malsain,

Monsieur? Sans ça, vous sauriez qu’en musique,

Comme en peinture et comme en politique,

Le Belge croit qu’on le veut attraper,

– Et puis qu’il craint surtout de se tromper.»

Une Béotie Belge

La Belgique a sa Béotie!

C’est une légende, une scie,

Un proverbe! – Un comparatif

Dans un état superlatif!

Bruxelles, ô mon Dieu! méprise Poperinghe!

Un vendeur de trois-six blaguant un mannezingue!

Un clysoir, ô terreur! raillant une seringue!

Bruxelles n’a pas droit de railler Poperinghe!

Comprend-on le comparatif

(C’est une épouvantable scie!)

À côté du superlatif?

La Belgique a sa Béotie!

La civilisation Belge

Le Belge est très civilisé;

Il est voleur, il est rusé;

Il est parfois syphilisé;

Il est donc très civilisé.

Il ne déchire pas sa proie

Avec ses ongles; met sa joie

À montrer qu’il sait employer

À table fourchette et cuiller;

Il néglige de s’essuyer,

Mais porte paletots, culottes,

Chapeau, chemise même et bottes;

Fait de dégoûtantes ribottes;

Dégueule aussi bien que l’Anglais;

Met sur le trottoir des engrais;

Rit du Ciel et croit au progrès

Tout comme un journaliste d’Outre-

Quiévrain; – de plus, il peut foutre

Debout comme un singe avisé.

Il est donc très civilisé.

La mort de Léopold I

I

Le grand juge de paix d’Europe

A donc dévissé son billard!

(Je vous expliquerai ce trope).

Ce roi n’était pas un fuyard

Comme notre Louis-Philippe.

Il pensait, l’obstiné vieillard.

Qu’il n’était jamais assez tard

Pour casser son ignoble pipe.

II

Léopold voulait sur la Mort

Gagner sa première victoire

Il n’a pas été le plus fort;

Mais dans l’impartiale histoire,

Sa résistance méritoire

Lui vaudra ce nom fulgurant:

«Le cadavre récalcitrant».

APPENDICE III. DOCUMENTS DIVERS

Projets de préface pour une édition nouvelle

Préface

La France traverse une phase de vulgarité. Paris, centre et rayonnement de bêtise universelle. Malgré Molière et Béranger, on n’aurait jamais cru que la France irait si grand train dans la voie du progrès. – Questions d’art, terrae incognitae.

Le grand homme est bête.

Mon livre a pu faire du bien. Je ne m’en afflige pas. Il a pu faire du mal. Je ne m’en réjouis pas.

Le but de la poésie. Ce livre n’est pas fait pour mes femmes, mes filles ou mes sœurs.

On m’a attribué tous les crimes que je racontais.

Divertissement de la haine et du mépris. Les élégiaques sont des canailles. Et verbum caro factum est. Or le poète n’est d’aucun parti. Autrement il serait un simple mortel.

Le Diable. Le péché originel. Homme bon. Si vous vouliez, vous seriez le favori du Tyran; il est plus difficile d’aimer Dieu que de croire en lui. Au contraire, il est plus difficile pour les gens de ce siècle de croire au diable que de l’aimer. Tout le monde le sent et personne n’y croit. Sublime subtilité du Diable.

Une âme de mon choix. Le Décor. – Ainsi la nouveauté. – L’Épigraphe. – D’Aurevilly. – La Renaissance. – Gérard de Nerval. – Nous sommes tous pendus ou pendables.

J’avais mis quelques ordures pour plaire à M. M. les journalistes. Ils se sont montrés ingrats.

Préface des Fleurs

Ce n’est pas pour mes femmes, mes filles ou mes sœurs que ce livre a été écrit; non plus que pour les femmes, les filles ou les sœurs de mon voisin. Je laisse cette fonction à ceux qui ont intérêt à confondre les bonnes actions avec le beau langage.

Je sais que l’amant passionné du beau style s’expose à la haine des multitudes; mais aucun respect humain, aucune fausse pudeur, aucune coalition, aucun suffrage universel ne me contraindront à parler le patois incomparable de ce siècle, ni à confondre l’encre avec la vertu.

Des poètes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d’extraire la beauté du Mal. Ce livre, essentiellement inutile et absolument innocent, n’a pas été fait dans un autre but que de me divertir et d’exercer mon goût passionné de l’obstacle.

Quelques-uns m’ont dit que ces poésies pouvaient faire du mal; je ne m’en suis pas réjoui. D’autres, de bonnes âmes, qu’elles pouvaient faire du bien; et cela ne m’a pas affligé. La crainte des uns et l’espérance des autres m’ont également étonné, et n’ont servi qu’à me prouver une fois de plus que ce siècle avait désappris toutes les notions classiques relatives à la littérature.