Chacun de vous m’a fait un temple dans son cœur;
Vous avez, en secret, baisé ma fesse immonde!
Reconnaissez Satan à son rire vainqueur,
Énorme et laid comme le monde!
Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris,
Qu’on se moque du maître, et qu’avec lui l’on triche,
Et qu’il soit naturel de recevoir deux prix,
D’aller au Ciel et d’être riche?
Il faut que le gibier paye le vieux chasseur
Qui se morfond longtemps à l’affût de la proie.
Je vais vous emporter à travers l’épaisseur,
Compagnons de ma triste joie
À travers l’épaisseur de la terre et du roc,
À travers les amas confus de votre cendre,
Dans un palais aussi grand que moi, d’un seul bloc
Et qui n’est pas de pierre tendre;
Car il est fait avec l’universel Péché,
Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire!»
– Cependant, tout en haut de l’univers juché,
Un ange sonne la victoire
De ceux dont le cœur dit: «Que béni soit ton fouet,
Seigneur! que la Douleur, ô Père, soit bénie!
Mon âme dans tes mains n’est pas un vain jouet,
Et ta prudence est infinie.»
Le son de la trompette est si délicieux,
Dans ces soirs solennels de célestes vendanges,
Qu’il s’infiltre comme une extase dans tous ceux
Dont elle chante les louanges.
IV. – Les promesses d’un visage
J’aime, ô pâle beauté, tes sourcils surbaissés,
D’où semblent couler des ténèbres,
Tes yeux, quoique très noirs, m’inspirent des pensers
Qui ne sont pas du tout funèbres.
Tes yeux, qui sont d’accord avec tes noirs cheveux,
Avec ta crinière élastique,
Tes yeux, languissamment, me disent: «Si tu veux,
Amant de la muse plastique,
Suivre l’espoir qu’en toi nous avons excité,
Et tous les goûts que tu professes,
Tu pourras constater notre véracité
Depuis le nombril jusqu’aux fesses;
Tu trouveras au bout de deux beaux seins bien lourds,
Deux larges médailles de bronze,
Et sous un ventre uni, doux comme du velours,
Bistré comme la peau d’un bonze,
Une riche toison qui, vraiment, est la sœur
De cette énorme chevelure,
Souple et frisée, et qui t’égale en épaisseur,
Nuit sans étoiles, Nuit obscure!»
V. – Le monstre ou Le paranymphe d’une nymphe macabre
I
Tu n’es certes pas, ma très chère,
Ce que Veuillot nomme un tendron.
Le jeu, l’amour, la bonne chère,
Bouillonnent en toi, vieux chaudron!
Tu n’es plus fraîche, ma très chère,
Ma vieille infante! Et cependant
Tes caravanes insensées
T’ont donné ce lustre abondant
Des choses qui sont très usées,
Mais qui séduisent cependant.
Je ne trouve pas monotone
La verdeur de tes quarante ans;
Je préfère tes fruits, Automne,
Aux fleurs banales du Printemps!
Non, tu n’es jamais monotone!
Ta carcasse a des agréments
Et des grâces particulières;
Je trouve d’étranges piments
Dans le creux de tes deux salières
Ta carcasse a des agréments!
Nargue des amants ridicules
Du melon et du giraumont!
Je préfère tes clavicules
À celles du roi Salomon,
Et je plains ces gens ridicules!
Tes cheveux, comme un casque bleu,
Ombragent ton front de guerrière,
Qui ne pense et rougit que peu,
Et puis se sauvent par derrière,
Comme les crins d’un casque bleu.
Tes yeux qui semblent de la boue,
Où scintille quelque fanal,
Ravivés au fard de ta joue,
Lancent un éclair infernal!
Tes yeux sont noirs comme la boue!
Par sa luxure et son dédain
Ta lèvre amère nous provoque;
Cette lèvre, c’est un Eden
Qui nous attire et qui nous choque.
Quelle luxure! et quel dédain!
Ta jambe musculeuse et sèche
Sait gravir au haut des volcans,
Et malgré la neige et la dèche
Danser les plus fougueux cancans.
Ta jambe est musculeuse et sèche;
Ta peau brûlante et sans douceur,
Comme celle des vieux gendarmes,
Ne connaît pas plus la sueur
Que ton œil ne connaît les larmes,
(Et pourtant elle a sa douceur!)
II
Sotte, tu t’en vas droit au Diable!
Volontiers j’irais avec toi,
Si cette vitesse effroyable
Ne me causait pas quelque émoi.
Va-t’en donc, toute seule, au Diable!
Mon rein, mon poumon, mon jarret
Ne me laissent plus rendre hommage
À ce Seigneur, comme il faudrait.
«Hélas! c’est vraiment bien dommage!»
Disent mon rein et mon jarret.
Oh! très sincèrement je souffre
De ne pas aller aux sabbats,
Pour voir, quand il pète du soufre,
Comment tu lui baises son cas!
Oh! très sincèrement je souffre!
Je suis diablement affligé
De ne pas être ta torchère,
Et de te demander congé,
Flambeau d’enfer! Juge, ma chère,
Combien je dois être affligé,
Puisque depuis longtemps je t’aime,
Étant très logique! En effet,
Voulant du Mal chercher la crème
Et n’aimer qu’un monstre parfait,
Vraiment oui! vieux monstre, je t’aime!
VI. – Vers pour le portrait de M. Honoré Daumier
Celui dont nous t’offrons l’image,
Et dont l’art, subtil entre tous,
Nous enseigne à rire de nous,
Celui-là, lecteur, est un sage.
C’est un satirique, un moqueur;
Mais l’énergie avec laquelle
Il peint le Mal et sa séquelle,
Prouve la beauté de son cœur.
Son rire n’est pas la grimace
De Melmoth ou de Méphisto
Sous la torche de l’Alecto
Qui les brûle, mais qui nous glace,
Leur rire, hélas! de la gaieté
N’est que la douloureuse charge.
Le sien rayonne, franc et large,
Comme un signe de sa bonté!
VII. – Lola de Valence
Entre tant de beautés que partout on peut voir,
Je comprends bien, amis, que le désir balance;
Mais on voit scintiller en Lola de Valence
Le charme inattendu d’un bijou rose et noir
VIII. – Sur les débuts d’Amina Boschetti Au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles
Amina bondit, – fuit, – puis voltige et sourit;
Le Welche dit: «Tout ça, pour moi, c’est du prâcrit;
Je ne connais, en fait de nymphes bocagères,
Que celle de Montagne-aux-Herbes-potagères.»
Du bout de son pied fin et de son œil qui rit,
Amina verse à flots le délire et l’esprit;
Le Welche dit: «Fuyez, délices mensongères!
Mon épouse n’a pas ces allures légères.»
Vous ignorez, sylphide au jarret triomphant,
Qui voulez enseigner la valse à l’éléphant,
Au hibou la gaieté, le rire à la cigogne,
Que sur la grâce en feu le Welche dit: «Haro!»
Et que, le doux Bacchus lui versant du bourgogne,
Le monstre répondrait: «J’aime mieux le faro!»