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Poèmes divers

I

N’est-ce pas qu’il est doux, maintenant que nous sommes

Fatigués et flétris comme les autres hommes,

De chercher quelquefois à l’Orient lointain

Si nous voyons encore les rougeurs du matin,

Et, quand nous avançons dans la rude carrière,

D’écouter les échos qui chantent en arrière

Et les chuchotements de ces jeunes amours

Que le Seigneur a mis au début de nos jours?

II

Il aimait à la voir, avec ses jupes blanches,

Courir tout au travers du feuillage et des branches,

Gauche et pleine de grâce, alors qu’elle cachait

Sa jambe, si la robe aux buissons s’accrochait.

III – Incompatibilité

Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre,

Des fermes, des vallons, par delà les coteaux,

Par delà les forêts, les tapis de verdure,

Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux,

On rencontre un lac sombre encaissé dans l’abîme

Que forment quelques pics désolés et neigeux;

L’eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime,

Et n’interrompt jamais son silence orageux.

Dans ce morne désert, à l’oreille incertaine

Arrivent par moments des bruits faibles et longs,

Et des échos plus morts que la cloche lointaine

D’une vache qui paît aux penchants des vallons.

Sur ces monts où le vent efface tout vestige,

Ces glaciers pailletés qu’allume le soleil,

Sur ces rochers altiers où guette le vertige,

Dans ce lac où le soir mire son teint vermeil,

Sous mes pieds, sur ma tête et partout, le silence,

Le silence qui fait qu’on voudrait se sauver,

Le silence éternel et la montagne immense,

Car l’air est immobile et tout semble rêver.

On dirait que le ciel, en cette solitude,

Se contemple dans l’onde, et que ces monts, là-bas,

Écoutent, recueillis, dans leur grave attitude,

Un mystère divin que l’homme n’entend pas.

Et lorsque par hasard une nuée errante

Assombrit dans son vol le lac silencieux,

On croirait voir la robe ou l’ombre transparente

D’un esprit qui voyage et passe dans les cieux.

IV

Tout à l’heure je viens d’entendre

Dehors résonner doucement

D’un air monotone et si tendre

Qu’il bruit en moi vaguement,

Une de ces vielles plaintives,

Muses des pauvres Auvergnats,

Qui jadis aux heures oisives

Nous charmaient si souvent, hélas!

Et, son espérance détruite,

Le pauvre s’en fut tristement;

Et moi je pensai tout de suite

À mon ami que j’aime tant,

Qui me disait en promenade

Que pour lui c’était un plaisir

Qu’une semblable sérénade

Dans un morne et long loisir.

Nous aimions cette humble musique

Si douce à nos esprits lassés

Quand elle vient, mélancolique,

Répondre à de tristes pensers.

– Et j’ai laissé les vitres closes,

Ingrat, pour qui m’a fait ainsi

Rêver de si charmantes choses,

Et penser à mon cher Henri!

V

Hélas! qui n’a gémi sur autrui, sur soi-même?

Et qui n’a dit à Dieu: «Pardonnez-moi, Seigneur,

Si personne ne m’aime et si nul n’a mon cœur?

Ils m’ont tous corrompu; personne ne vous aime!»

Alors lassé du monde et de ses vains discours,

Il faut lever les yeux aux voûtes sans nuages,

Et ne plus s’adresser qu’aux muettes images,

De ceux qui n’aiment rien consolantes amours.

Alors il faut s’entourer de mystère,

Se fermer aux regards, et sans morgue et sans fiel,

Sans dire à vos voisins: «Je n’aime que le ciel,»

Dire à Dieu: «Consolez mon âme de la terre!»

Tel, fermé par son prêtre, un pieux monument,

Quand sur nos sombres toits la nuit est descendue,

Quand la foule a laissé le pavé de la rue,

Se remplit de silence et de recueillement.

VI

Vous avez, compagnon dont le cœur est poète,

Passé dans quelque bourg tout paré, tout vermeil,

Quand le ciel et la terre ont un bel air de fête,

Un dimanche éclairé par un joyeux soleil;

Quand le clocher s’agite et qu’il chante à tue-tête,

Et tient dès le matin le village en éveil,

Quand tous pour entonner l’office qui s’apprête,

S’en vont, jeunes et vieux, en pimpant appareil;

Lors, s’élevant au fond de votre âme mondaine,

Des sons d’orgue mourant et de cloche lointaine

Vous ont-ils pas tiré malgré vous un soupir?

Cette dévotion des champs, joyeuse et franche,

Ne vous a-t-elle pas, triste et doux souvenir,

Rappelé qu’autrefois vous aimiez le dimanche?

VII

Je n’ai pas pour maîtresse une lionne illustre:

La gueuse, de mon âme, emprunte tout son lustre;

Invisible aux regards de l’univers moqueur,

Sa beauté ne fleurit que dans mon triste cœur.

Pour avoir des souliers elle a vendu son âme.

Mais le bon Dieu rirait si, près de cette infâme,

Je tranchais du Tartufe et singeais la hauteur,

Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur.

Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque.

Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque;

Ce qui n’empêche pas les baisers amoureux

De pleuvoir sur son front plus pelé qu’un lépreux.

Elle louche, et l’effet de ce regard étrange

Qu’ombragent des cils noirs plus longs que ceux d’un ange,

Est tel que tous les yeux pour qui l’on s’est damné

Ne valent pas pour moi son œil juif et cerné.

Elle n’a que vingt ans; – la gorge déjà basse

Pend de chaque côté comme une calebasse,

Et pourtant, me traînant chaque nuit sur son corps,

Ainsi qu’un nouveau-né, je la tette et la mords,

Et bien qu’elle n’ait pas souvent même une obole

Pour se frotter la chair et pour s’oindre l’épaule,

Je la lèche en silence avec plus de ferveur

Que Madeleine en feu les deux pieds du Sauveur.

La pauvre créature, au plaisir essoufflée,

A de rauques hoquets la poitrine gonflée,

Et je devine au bruit de son souffle brutal

Qu’elle a souvent mordu le pain de l’hôpital.

Ses grands yeux inquiets, durant la nuit cruelle,

Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle,

Car, ayant trop ouvert son cœur à tous venants,

Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.

Ce qui fait que de suif elle use plus de livres

Qu’un vieux savant couché jour et nuit sur ses livres,

Et redoute bien moins la faim et ses tourments

Que l’apparition de ses défunts amants.

Si vous la rencontrez, bizarrement parée,

Se faufilant, au coin d’une rue égarée,

Et la tête et l’œil bas comme un pigeon blessé,

Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,

Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d’ordure

Au visage fardé de cette pauvre impure

Que déesse Famine a par un soir d’hiver,

Contrainte à relever ses jupons en plein air.

Cette bohème-là, c’est mon tout, ma richesse,

Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,

Celle qui m’a bercé sur son giron vainqueur,

Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cœur.