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– Elle s’est enfuie sans doute pendant mon sommeil, afin de se débarrasser de moi.

Dans l’excès de son empressement, le lion avait remis de travers la tête de son maître; celui-ci n’y prit point garde, absorbé qu’il était dans ses tristes pensées. Ce ne fut qu’à midi, lorsqu’il voulut manger, qu’il remarqua qu’il avait le visage tourné du côté du dos; ne pouvant s’expliquer ce prodige, il demanda aux animaux ce qu’il lui était arrivé pendant son sommeil. Le lion lui raconta alors qu’au lieu de faire sentinelle, ils s’étaient tous endormis de fatigue; qu’à leur réveil, ils l’avaient trouvé mort, la tête séparée du tronc; que le lièvre était allé chercher la racine de vie, mais que lui, dans son empressement, il lui avait mis la tête de travers; il ajouta qu’il voulait réparer sa faute. Cela dit, il arracha de nouveau la tête du chasseur, la lui replaça dans l’autre sens, et la racine du lièvre aidant, tout fut réparé. Cependant le chasseur était triste; il se mit à parcourir le monde et il gagnait sa vie en faisant danser ses bêtes devant les gens. Il arriva que juste un an après ce jour, il revint dans la même ville où il avait délivré la fille du roi, et cette fois la ville était entièrement décorée de tenture écarlate. Il dit à l’aubergiste:

– Que signifie cela? Il y a un an à pareil jour, la ville était toute couverte de crêpe noir; que veut dire aujourd’hui cette décoration écarlate? L’aubergiste répondit:

– Il y a un an, la fille de notre roi devait être livrée au dragon, mais le maréchal a combattu contre le monstre et il l’a tué; aussi ses noces se célèbrent-elles demain; c’est pourquoi la ville qui était naguère tendue de crêpe noir en signe de deuil, l’est aujourd’hui de rouge ardent en signe de joie. Le lendemain, le chasseur dit à son hôte vers l’heure du dîner:

– Croiriez-vous, monsieur l’aubergiste, que je veux aujourd’hui en votre compagnie manger du pain de la table du roi?

– Oui, répondit l’hôte, et moi, je parierais volontiers cent pièces d’or que ce ne sera pas. Le chasseur accepta le pari et plaça sur la table une bourse avec le nombre de pièces d’or engagées par l’aubergiste. Cela fait, il appela le lièvre et lui dit:

– En route, mon cher sauteur, va me chercher du pain dont mange le roi.

«Eh! pensa le lièvre, si je vais ainsi seul en sautant dans les rues, les chiens se mettront à mes trousses.» Il avait pensé juste; les chiens lui firent la chasse et voulurent goûter de sa chair succulente. Aussi fallait-il voir les bonds qu’il faisait. Il se glissa dans une guérite sans être aperçu par le factionnaire; les chiens arrivèrent pour le saisir, mais le soldat n’entendit pas la plaisanterie, et il les reçut avec des coups de crosse qui les firent fuir en poussant des cris. Lorsque le lièvre aperçut le champ libre, il s’élança dans le palais, entra dans la chambre de la princesse, se plaça sous son siège et lui gratta légèrement le pied. La princesse cria:

– Veux-tu bien partir! Car elle pensait que s’était son chien.

Le lièvre gratta une seconde fois, et la princesse répéta les mêmes paroles, toujours dans la pensée que s’était son chien, mais le lièvre ne la laissa pas dans cette erreur; il gratta une troisième fois; la princesse baissa les yeux et reconnut le lièvre à son collier; aussitôt elle le prit dans ses bras, le porta dans son cabinet et lui dit:

– Lièvre, mon ami, que veux-tu? Il répondit:

– Mon maître, qui a tué le dragon, est ici, et il m’envoie pour que je demande un pain pareil à celui dont mange le roi.

À ces mots, la princesse ne se sentit pas de joie; elle fit venir le boulanger, et lui ordonna d’apporter un pain pareil à ceux dont mangeait le roi. Le lièvre prenant la parole:

– Mais il faut, dit-il, que le boulanger me porte moi-même avec le pain, pour que les chiens ne me fassent pas de mal.

Le boulanger le prit donc dans ses bras et alla ainsi jusqu’à la porte de l’aubergiste; là, le lièvre se posa sur ses pattes de devant et le porta à son maître. Le chasseur dit alors:

– Vous le voyez, monsieur l’hôte, les cent pièces d’or sont à moi. L’aubergiste était au comble de l’étonnement. Cependant le chasseur ajouta:

– J’ai bien le pain, monsieur l’hôte, mais je veux encore de plus, maintenant, manger du rôti du roi. Le chasseur appela le renard et lui dit:

– Renard, mon ami, mets-toi en route et va me chercher du rôti pareil à celui que mange le roi.

Le renard connaissait mieux les détours que le lièvre; il se glissa le long des coins et des angles obscurs des rues sans qu’un seul chien l’aperçût, alla se placer sous le siège de la princesse et lui gratta le pied. La princesse baissa les yeux, reconnut le renard à son collier, le prit dans ses bras, le porta dans son cabinet et lui dit:

– Renard, mon ami, que veux-tu? Il répondit:

– Mon maître, qui a tué le dragon, est ici, et il m’envoie pour que je demande un rôti pareil à celui dont mange le roi. La princesse fit venir le cuisinier.

Celui-ci reçut l’ordre de préparer un rôti pareil à celui que mangeait le roi, de le porter pour le renard jusqu’à la porte de l’aubergiste. Quand ils y furent arrivés, le renard prit le plat et le porta à son maître.

– Vous voyez, monsieur l’hôte, dit le chasseur, nous avons déjà le pain et le rôti; mais je veux encore avoir un plat de légumes comme ceux que mange le roi.

Cela dit, il appela le loup:

– Loup, mon ami, lui dit-il, mets-toi en route et apporte-moi des légumes pareils à ceux que mange le roi.

Le loup, qui n’avait peur de personne, se dirigea tout droit vers le palais, et quand il fut entré dans la chambre de la princesse, il tira cette dernière par le pan de sa robe, ce qui la fit se retourner. Elle reconnut le loup à son collier, et le conduisant dans son cabinet:

– Loup, mon ami, lui dit-elle, que veux-tu? Il répondit:

– Mon maître, qui a tué le dragon, est ici, et il m’a envoyé demander un plat de légumes pareils à ceux que mange le roi.

La princesse fit venir le cuisinier, qui reçut l’ordre de préparer un plat de légumes pareils à ceux que mangeait le roi, et de le porter lui-même pour le loup jusqu’à la porte de l’aubergiste. Le loup prit le plat et le porta à son maître.

– Vous le voyez, dit le chasseur, voilà que j’ai maintenant du pain, du rôti et des légumes; mais il me faut des sucreries semblables à celles que mange le roi.

Il appela l’ours et lui dit:

– Ours, mon ami, tu ne dédaignes pas de lécher quelque chose de doux; va donc et rapporte-moi des sucreries semblables à celles que mange le roi.

L’ours se mit en route vers le palais, et chacun s’enfuit à son approche, et quand il arriva près du fonctionnaire, celui-ci lui présenta le bout de son fusil et ne voulut point le laisser pénétrer dans le palais du roi. Mais l’ours se dressa sur ses pattes de derrière et distribua à droite et à gauche quelques bons soufflets qui firent trébucher tout le poste après cet exploit, il continua son chemin, entra dans la chambre de la princesse, se plaça derrière elle et grogna légèrement. La princesse se retourna, et reconnut l’ours, l’emmena dans son cabinet et lui dit: