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À peine eut-il prononcé ces paroles que deux gros chats noirs, d'un bond formidable, sautèrent vers lui et s'installèrent de part et d'autre du garçon en le regardant d'un air sauvage avec leurs yeux de braise. Quelque temps après, s'étant réchauffés, ils dirent:

– Si nous jouions aux cartes, camarade?

– Pourquoi pas! répondit-il, mais montrez-moi d'abord vos pattes.

Les chats sortirent leurs griffes.

– Holà! dit-il. Que vos ongles sont longs! attendez! il faut d'abord que je vous les coupe.

Il les prit par la peau du dos, les posa sur l'étau et leur y coinça les pattes.

– J'ai vu vos doigts, dit-il, j'en ai perdu l'envie de jouer aux cartes.

Il les tua et les jeta par la fenêtre dans l'eau d'un étang. À peine s'en était-il ainsi débarrassé que de tous les coins et recoins sortirent des chats et des chiens, tous noirs, tirant des chaînes rougies au feu. Il y en avait tant et tant qu'il ne pouvait leur échapper. Ils criaient affreusement, dispersaient les brandons du foyer, piétinaient le feu, essayaient de l'éteindre. Tranquillement, le garçon les regarda faire un moment. Quand il en eut assez, il prit le couteau de ciseleur et dit:

– Déguerpissez, canailles!

Et il se mit à leur taper dessus. Une partie des assaillants s'enfuit; il tua les autres et les jeta dans l'étang. Puis il revint près du feu, le ranima en soufflant sur les braises et se réchauffa. Bientôt, il sentit ses yeux se fermer et eut envie de dormir. Il regarda autour de lui et vit un grand lit, dans un coin.

– Voilà ce qu'il me faut, dit-il.

Et il se coucha. Comme il allait s'endormir, le lit se mit de lui-même à se déplacer et à le promener par tout le château.

– Très bien! dit-il. Plus vite!

Le lit partit derechef comme si une demi-douzaine de chevaux y étaient attelés, passant les portes, montant et descendant les escaliers. Et tout à coup, il versa sens dessus dessous hop! et le garçon se retrouva par terre avec comme une montagne par-dessus lui. Il se débarrassa des couvertures et des oreillers, se faufila de dessous le lit et dit:

– Que ceux qui veulent se promener, se promènent.

Et il se coucha auprès du feu et dormit jusqu'au matin.

Le lendemain, le roi s'en vint au château. Quand il vit le garçon étendu sur le sol, il pensa que les fantômes l'avaient tué. Il murmura:

– Quel dommage pour un si bel homme!

Le garçon l'entendit, se leva, et dit:

– Je n'en suis pas encore là!

Le roi s'étonna, se réjouit et lui demanda comment les choses s'étaient passées.

– Très bien. Voilà une nuit d'écoulée, les autres se passeront bien aussi.

Quand il arriva chez l'aubergiste, celui-ci ouvrit de grands yeux.

– Je n'aurais jamais pensé, dit-il, que je te reverrais vivant. As- tu enfin appris à frissonner?

– Non! répondit-il; tout reste sans effet. Si seulement quelqu'un pouvait me dire comment faire!

Pour la deuxième nuit, il se rendit à nouveau au château, s'assit auprès du feu et reprit sa vieille chanson: «Ah! si seulement je pouvais frissonner.» À minuit on entendit des bruits étranges. D'abord doucement, puis toujours plus fort, puis après un court silence, un grand cri. Et la moitié d'un homme arrivant par la cheminée tomba devant lui.

– Holà! cria-t-il. Il en manqua une moitié. Ça ne suffit pas comme ça!

Le vacarme reprit. On tempêtait, on criait. Et la seconde moitié tomba à son tour de la cheminée.

– Attends, dit le garçon; je vais d'abord ranimer le feu pour toi.

Quand il l'eut fait, il regarda à nouveau autour de lui: les deux moitiés s'étaient rassemblées et un homme d'affreuse mine s'était assis à la place qu'occupait le jeune homme auparavant.

– Ce n'est pas ce que nous avions convenu, dit-il. Ce tour est à moi!

L'homme voulut l'empêcher de s'y asseoir mais il ne s'en laissa pas conter. Il le repoussa avec violence et reprit sa place. Beaucoup d'autres hommes se mirent alors à dégringoler de la cheminée les uns après les autres et ils apportaient neuf tibias et neuf têtes de mort avec lesquels ils se mirent à jouer aux quilles. Le garçon eut envie d'en faire autant.

– Dites, pourrais-je jouer aussi?

– Oui, si tu as de l'argent.

– J'en ai bien assez, répondit-il; mais vos boules ne sont pas rondes.

Il prit les têtes de mort, s'installa à son tour et en fit de vraies boules.

– Comme ça elles rouleront mieux, dit-il. En avant! on va rire!

Il joua et perdit un peu de son argent. Quand sonna une heure, tout avait disparu. Au matin, le roi vint aux renseignements.

– Que t'est-il arrivé cette fois-ci? demanda-t-il.

– J'ai joué aux quilles, répondit le garçon, et j'ai perdu quelques deniers.

– Tu n'as donc pas eu peur?

– Eh! non! dit-il, je me suis amusé! Si seulement je savais frissonner!

La troisième nuit, il s'assit à nouveau sur son tour et dit tristement:

– Si seulement je pouvais frissonner!

Quand il commença à se faire tard, six hommes immenses entrèrent dans la pièce portant un cercueil.

– Hi! Hi! Hi! dit le garçon, voilà sûrement mon petit cousin qui est mort il y a quelques jours seulement.

Du doigt, il fit signe au cercueil et s'écria:

– Viens, petit cousin, viens!

Les hommes posèrent la bière sur le sol; il s'en approcha et souleva le couvercle. Un mort y était allongé. Il lui toucha le visage. Il était froid comme de la glace.

– Attends, dit-il, je vais te réchauffer un peu. Il alla près du feu, s'y réchauffa la main et la posa sur la figure du mort. Mais celui-ci restait tout froid. Alors il le sortit du cercueil, s'assit près du feu et l'installa sur ses genoux en lui frictionnant les bras pour rétablir la circulation du sang. Comme cela ne servait à rien, il songea tout à coup qu'il suffit d'être deux dans un lit pour avoir chaud. Il porta le cadavre sur le lit, le recouvrit et s'allongea à ses côtés. Au bout d'un certain temps, le mort se réchauffa et commença à bouger.

– Tu vois, petit cousin, dit le jeune homme, ne t'ai-je pas bien réchauffé?

Mais le mort, alors, se leva et s'écria:

– Maintenant, je vais t'étrangler!