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Adrienne voulut protester. Elle jeta ses deux bras devant cet homme, comme pour l’éloigner d’elle à jamais.

Pour ne pas tomber, elle s’appuya au mur, contre lequel elle s’était réfugiée.

– J’en ai décidé ainsi, madame. Songez à une chose: c’est que je n’ai jamais été aimé. Je ne puis espérer l’être jamais! Je suis riche, madame, à un point que vous ne sauriez croire. Malgré toutes mes richesses, je n’ai jamais pu prendre un cœur de femme: aussi l’expérience est-elle faite et ne la tenterai-je plus. Mais, si je n’ai pas son cœur, c’est son corps qui sera à moi! Oui, madame, son corps. Je veux que la femme que j’aurai élue – et vous l’êtes, madame – je veux qu’elle se donne à moi malgré toute l’horreur que je puis lui inspirer, malgré la haine qu’elle peut nourrir pour ma misérable personne… Et vous serez à moi… Oui, vous serez à moi!

Adrienne fut superbe dans la colère terrible qui la posséda soudain.

– Fuyez, monsieur! s’écria-t-elle. Fuyez! Si vous ne voulez que j’appelle mes domestiques pour vous chasser, fuyez!… Emportez vos lettres, vos mensonges, vos vaines déclarations, votre amour et ma haine, mais fuyez!

Arnoldson ne se leva même pas.

– Vos domestiques, madame? Ils m’appartiennent, J’ai tout acheté, ici-bas, de ce qui m’intéresse et peut m’être utile. Vous êtes à ma disposition, croyez-le bien, et ne me forcez point à vous le prouver plus tôt que je ne l’ai décidé moi-même. Calmez-vous donc et écoutez-moi dans le plus religieux des silences. Je vais vous lire les lettres de votre mari à cette Diane, et vous verrez qu’elles méritent toute votre attention.

– Mais, enfin, monsieur, quand vous m’aurez lu ces lettres, demanda encore Adrienne, qu’espérez-vous? Croyez-vous que le désespoir dans lequel elles me plongeront vous profitera? Et, de ce que mon mari m’aura trahie, déduirez-vous que je doive un jour vous appartenir?… Ah! vous êtes un criminel et un fou!

– Non, madame, je ne déduis point cela. Je vais simplement, d’abord, vous détacher de votre mari, et croyez bien que la besogne va m’être facile. Ensuite, pour ce qui me concerne, ne vous en préoccupez pas, ajouta l’Homme de la nuit, avec un nouveau rire. J’en fais mon affaire.

– Mais, enfin, qui donc êtes-vous, monsieur, s’écria Adrienne avec épouvante, pour apparaître ainsi dans ma vie et pour m’avoir choisie, moi qui ne vous connaissais pas il y a quelques semaines encore, pour votre victime?

Arnoldson dit:

– Je suis, madame, celui qui vous veut et qui vous aura!

Arnoldson prit les lettres et dit:

– Madame, prêtez-moi une oreille attentive; cela en vaut la peine, je vous assure.

Et il commença.

Il prit la première lettre, celle que Lawrence adressait à Diane au lendemain du jour où elle le reçut chez elle et lui fit un si favorable accueil, après la représentation des tableaux vivants.

Cette lettre montrait un commencement de passion et implorait Diane, lui demandait un rendez-vous prochain. Lawrence affirmait qu’il avait à dire à Diane des choses fort curieuses et du plus haut intérêt.

Comme cette lettre restait sans réponse et comme les deux suivantes avaient le même sort, il en résultait que les trois missives que lut Arnoldson étaient écrites d’un style qui se faisait de plus en plus «amoureux» et qu’exaltait la passion naissante d’un homme pour une femme qui semblait le négliger, qui paraissait même l’ignorer tout à fait.

Puis ce furent d’autres lettres, d’un détail plus précis, des lettres qui disaient l’état d’âme de Lawrence vis-à-vis de cette femme et qui lui demandaient d’être plus propice à l’avenir.

Puis toute l’histoire de l’amour de Lawrence pour Diane se déroula… Les amabilités, les privautés même de la jeune femme pour le mari d’Adrienne furent relatées, et il y avait des détails tels qu’Adrienne, en écoutant cette lecture, ne pouvait retenir de temps à autre des exclamations qui traduisaient toute son indignation et l’étonnement profond en lequel elle était plongée.

Et, cependant, dès que l’Homme de la nuit s’était assis, accoudé au guéridon, et avait pris les lettres, Adrienne était résolue à ne point lui donner la joie du spectacle de sa douleur; mais c’est en vain qu’elle s’était cuirassée.

Bientôt, Lawrence, par la passion qu’il mettait dans son langage et par l’ardent désir qu’il avouait presque cyniquement de Diane, se révélait à la malheureuse Adrienne sous un jour qu’elle n’avait jamais connu.

Lawrence la suppliait de mettre un terme à l’épreuve que Diane lui avait imposée.

Et il énumérait les folies qu’il avait commises, sa fortune qu’il n’avait pas hésité à compromettre. Finalement, il arrivait à parler de sa femme en des termes tels qu’Adrienne se laissa tomber sur un fauteuil, avec un sanglot qu’elle ne put retenir plus longtemps.

Lawrence, en effet, se rendait parfaitement compte de l’indignité de sa conduite et prenait une joie diabolique à l’étaler. Il décrivait avec des détails malsains l’abominable maladie morale qui l’avait gagné à s’approcher de Diane et à s’éloigner de sa femme.

Et il ne se révoltait point. Et il ne maudissait point cette femme. Mais il réclamait le prix de tant de bassesses.

Et, s’il ne s’expliquait pas plus clairement, il était visible que cet homme n’hésitait plus à sacrifier sa femme et ses enfants à l’abominable passion qui s’était emparée de lui.

Tant de bassesse, de vilenie et de bestialité stupéfièrent la malheureuse femme à un point que, bientôt, elle ne trouva plus un mot pour protester, une exclamation pour s’indigner.

Elle semblait, dans son fauteuil, comme morte.

L’Homme de la nuit se glissa vers elle. Elle ne le vit point venir. Elle ne le sentit point à ses côtés.

Arnoldson avait goûté à la douleur de cette femme une joie infernale, qu’il n’avait point cachée. Et maintenant, la sentant vaincue, il était près d’elle; il la croyait sans résistance et sans force contre tant de malheurs et il eut l’audace de passer son bras autour de la taille souple de cette femme.

Sous ses lunettes, ses yeux flamboyaient. Une passion inavouable brûlait l’Homme. Il regardait Adrienne, qui, malgré tous ses malheurs, lui apparaissait encore majestueusement belle. Plus elle souffrait, plus elle lui semblait désirable. Et il la voulait. Et il se fût damné – s’il ne l’avait été déjà – pour l’avoir.

Elle ne le sentait pas. Elle ne le voyait pas. Il dit:

– Tu es belle! Adrienne, je n’ai jamais aimé que toi! Adrienne, tu souffres parce que tu me repousses! Mais ne me repousse plus et tu seras heureuse! M’entends-tu, Adrienne?

L’Homme de la nuit attirait Adrienne à lui. La présence de cette femme l’affolait. De la sentir si proche de lui, prête sans doute à ne plus lui résister, pensait-il, tant les événements semblaient avoir annihilé en elle la volonté, il montrait plus d’audace. Il avait la conscience qu’elle lui appartenait. Il parlait déjà en maître. Et la pression de son bras se fit plus victorieuse.