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– Si je n’avais montré de la décision, Diane était perdue!

Mais, au fond, il n’était pas bien convaincu et n’était qu’à moitié dupe des raisons qu’il s’énumérait pour se rendre une tranquillité d’esprit qui le fuyait.

Il se leva d’un bond.

– Ma seule excuse, s’écria-t-il, c’est de tout dire à Diane! Et je le lui dirai demain!

Il se donna une forte claque sur la cuisse:

– Bah! j’ai fait une folie, mais c’est de mon âge!

Et il rentra précipitamment aux Volubilis.

XI L’HOMME DE LA NUIT S’AMUSE

Entièrement vêtue de noir, Adrienne attendait l’Homme. Horriblement pâle, elle avait une face d’angoisse. Cependant, elle en paraissait plus belle encore.

Déjà courbée sous la destinée que lui faisait Arnoldson, s’avouant vaincue à l’avance et n’ayant plus rien à tenter pour empêcher l’écroulement, très proche, de tout ce qui avait constitué jusqu’à ce jour son bonheur et sa foi, elle avait en elle quelque chose de fatal et d’immuable qui faisait peur.

Elle avait suivi les instructions de l’Homme. Elle avait vidé la maison de ses hôtes. Elle savait Pold à Villiers, où il était allé louer une bicyclette, disait-il, pour une longue promenade qu’il voulait faire le soir même, car il se proposait de rejoindre des amis qui l’attendaient à Crécy. Pold eût pu partir sans explications: elle ne lui en eût pas demandé.

Lily, se disant souffrante, s’était retirée dans sa chambre, où elle rêvait, en réalité, à l’amour du prince Agra et à la disparition du cavalier blanc, qui ne lui était pas apparu, au crépuscule, depuis deux jours.

Adrienne était donc seule, toute seule, en attendant Arnoldson.

Dehors la chaleur accablante de l’après-midi semblait avoir endormi toutes choses.

Les persiennes du salon où se tenait Adrienne étaient à demi closes. Un demi-jour régnait dans la pièce.

Adrienne était debout depuis longtemps, et, sans un mouvement, fixait entre les persiennes, qui ne se rejoignaient pas, la grille du jardin.

Par cette grille, il devait entrer. Elle regardait le seuil, qu’allait franchir ce messager de catastrophes.

Elle savait qu’il viendrait. Elle n’avait plus de doute. Elle avait cette sensation que tout était consommé.

Et il vint. Il arriva lentement par l’allée verte, sous les feuillages.

Elle vit son atroce image, cette silhouette de monstrueux oiseau de nuit. Il venait en balançant sans hâte les ailes de son manteau. Sur sa face blême, elle vit les deux trous noirs de ses lunettes, les deux trous effrayants où se cachaient ses yeux.

Et il poussa la grille, et il franchit le seuil comme s’il fût entré chez lui.

Alors, alors, elle vit qu’il souriait. Il souriait en la regardant. Il l’avait devinée entre les persiennes.

Adrienne semblait hypnotisée par ce sourire. Une terreur folle s’empara d’elle. Plus que jamais celui qu’elle avait entendu appeler l’Homme de la nuit et qui lui avait toujours inspiré une grande répulsion, plus que jamais il lui apparut non point seulement comme un sinistre amoureux qui ne reculerait devant aucune infamie pour arriver à ses fins, mais comme un être inexplicable, redouté et mystérieux, qui semblait ne faire le mal que pour le mal et pour l’atroce joie qu’il paraissait y prendre.

Arnoldson gravit rapidement le perron, ouvrit une porte qu’il claqua derrière lui, fut dans le salon, devant Adrienne, croisa les bras et dit:

– Vous m’attendiez… me voilà!

D’un coup d’œil qui enveloppa Adrienne, il vit ce que son œuvre, depuis quelques jours, avait fait de cette femme.

Et il fut satisfait.

Son sourire s’élargit encore. Il goûtait une jouissance suprême à voir Adrienne si misérable malgré l’orgueil qui la dressait, devant lui, dans une attitude de défi et de lutte.

Il s’inclina encore:

– Je vous avais promis les lettres: je vous les apporte, madame.

Et il jeta sur un guéridon le paquet de lettres que lui avait apporté Pold.

Adrienne n’avait pas la force de prononcer un mot. Elle s’avança d’un pas automatique vers le guéridon où gisaient les lettres et allait mettre la main sur le paquet quand Arnoldson fut devant elle et l’empêcha de mettre son projet à exécution.

Adrienne leva sur l’Homme de la nuit un fier regard où il y avait plus de dédain que de colère.

Arnoldson prit immédiatement la parole.

– Madame, fit-il, avant de vous livrer les preuves de la trahison de votre mari, permettez-moi de vous donner quelques explications.

– Je n’en ai que faire, dit Adrienne d’une voix glaciale.

– Qu’en savez-vous, puisque vous ne les soupçonnez même pas? répliqua l’Homme de la nuit.

– Donnez-moi les lettres, monsieur. Toute parole entre vous et moi est superflue.

– Croyez-vous? fit l’Homme de la nuit. Croyez-vous? Moi, je suis sûr du contraire, et puisque vous ne me donnez pas la parole, je vais avoir le désespoir de la prendre.

Ceci dit, sans qu’il y fût invité, Arnoldson s’installa confortablement dans un fauteuil, et, les yeux sur la fière Adrienne, il commença:

– Madame, vous sembliez avoir deviné l’objet de ma conduite, dans notre dernière entrevue, quand vous me laissiez à entendre que je n’aurais à tirer aucun bénéfice de ma dénonciation. Vous étiez dans le vrai, madame, et votre perspicacité n’était point en défaut. Le secret de mon attitude, de mon ardeur à vous prouver l’infamie de votre époux réside tout entier dans ces trois mots: «Je vous aime!»

Adrienne recula. Tant de cynisme dépassait tout ce qu’elle pouvait imaginer, tout ce qu’elle croyait avoir à redouter de cet homme.

– Qu’est-ce donc, monsieur, demanda-t-elle presque en tremblant, qu’est-ce donc que cette inqualifiable passion qui vous possède et que vous appelez l’amour, et au nom de laquelle vous me faites subir tous les martyres et toutes les tortures? Si c’est cela votre amour, monsieur, si c’est ainsi que vous m’aimez, laissez-moi donc implorer votre haine; haïssez-moi, haïssez-moi, au nom du ciel!

Arnoldson subit l’indignation d’Adrienne sans broncher. Il avait toujours le même air fort dégagé et souriant. Il poussa un léger soupir et dit:

– Oui, madame, c’est ainsi. Je vous aime. Vous vous étonnerez peut-être que mon amour se manifeste sous un jour tel que je n’aie plus à espérer de vous que de la répulsion. J’y comptais, madame, j’y comptais. Vous pensez bien que ce n’est pas avec mon physique que je pouvais attendre de vous autre chose que le sentiment que je vous inspire à cette heure et qui ne m’est guère favorable. Je suis vieux, madame, et je suis laid, mal fait et contrefait. Me voyez-vous aimable, empressé, joli cœur, avec des allures, autour de vous, de jeune premier? Non, vous ne me voyez pas ainsi ou, alors, vous m’estimeriez le dernier des imbéciles. Au contraire, je suis fort intelligent et je le prouve. Ne pouvant vous avoir par la grâce de ma personne, je vous aurai par la terreur qu’elle vous inspire!