Изменить стиль страницы

Pold marchait toujours, tenant à la main sa bicyclette. Il dépassa les murs blancs de la villa, derrière laquelle se trouvait un autre jardin. Là, plus de grille, mais un nouveau mur. Celui-ci était beaucoup moins haut que le mur qui s’étendait sur l’avenue Raphaël. Au sommet, on distinguait encore des tessons de bouteille.

Pold passa devant une petite porte et s’arrêta. Il tâta le mur.

– Ce doit être ici, dit-il.

Sa main se promenait sur le mur. Pold ne put retenir une exclamation:

– Ah! je l’ai!

Et sa main tira du mur une brique.

Rien ne faisait prévoir que Pold connût le jardin et la villa, mais il était évident qu’il connaissait le mur.

Le jeune homme n’avait peut-être pas encore pénétré dans la propriété, mais certainement il avait dû envisager la possibilité de sauter par-dessus le mur, et il avait étudié ce mur. Il posa la brique par terre, mit sa bicyclette au coin de la petite porte, plaça un pied dans l’excavation qu’il avait faite en retirant la brique, l’enleva, posa l’autre pied sur la selle de sa bicyclette. Sa tête dépassa ainsi la crête du mur.

Au-dessus de la porte, il y avait une large corniche. Les coudes du jeune homme s’appuyaient sur cette corniche. Il se souleva sur les coudes, se maintint sur un seul et sa main alla chercher la crête. Il tâtonna, puis secoua un tesson, qui céda. Il avait deux points d’appui suffisants: la corniche et la crête. Il était debout sur le mur quelques secondes plus tard. Sa silhouette se dressa dans la nuit claire, puis Pold plia sur les jarrets et sauta.

Il s’étala assez brutalement. Il fut presque aussitôt relevé, mais ne put retenir un cri de douleur. Il se pencha et constata qu’un tesson de bouteille lui avait déchiré un mollet, qu’il saignait abondamment et que son bas et sa culotte étaient en lambeaux.

Il banda le mollet blessé avec son mouchoir, puis il s’orienta.

Il avait devant lui deux arbres, deux marronniers superbes, dont les hautes branches atteignaient à la hauteur des fenêtres du deuxième étage de la villa. Les arbres étaient à quelques mètres de la maison.

Pold se dirigea vers les arbres, s’approcha de la villa et regarda deux fenêtres restées ouvertes au premier étage.

– C’est ici sa chambre et son cabinet de toilette, se dit-il.

Il était, en effet, suffisamment renseigné par un reporter qui, huit jours auparavant, dans une interview, avait décrit le home de Diane, interview qui avait fait le tour de la presse demi-mondaine.

Pold regarda encore les fenêtres et les arbres. Puis il se décida, enveloppa un tronc de ses bras vigoureux et grimpa.

Il atteignit la première branche, puis se hissa jusqu’à une fourche d’où il pouvait plonger son regard dans les deux trous noirs des fenêtres restées ouvertes.

Il s’installa et attendit. L’ombre des branches le cachait. La clarté de la lune ne venait pas jusqu’à lui.

V LE POISSON D’AVRIL DE DIANE

– Le prince Agra!

Ces mots magiques avaient volé de bouche en bouche jusqu’aux coins les plus reculés du théâtre.

L’histoire du billet jeté dans la voiture de Diane, le rendez-vous, l’attente vaine de la demi-mondaine, son espoir et son désespoir, on savait tout cela et l’on s’en amusait beaucoup.

Diane s’était avancée toute pâle. Il était devant elle. Il apparaissait sur le seuil, beau comme un jeune dieu.

Sur son torse flottait une tunique lourde tissée de fils de soie et d’or. Il avait de larges pantalons à l’orientale. De ses épaules tombait un manteau d’une impériale richesse.

Autour du prince, on avait fait d’abord le plus religieux silence. Mais, peu à peu, un murmure montait, grandissait, gagnait les couloirs, un murmure d’admiration. Diane avait les mains jointes.

Le prince se dirigeait vers elle. Il semblait la connaître. Il lui tendit la main.

– Madame, dit-il, me pardonnez-vous d’arriver si tard?

– Vous êtes le maître, dit-elle.

– Que voilà un vilain mot, madame! Je veux être votre ami.

Ils sortirent du foyer.

Comme ils descendaient l’escalier de pierre qui conduit au vestibule du rez-de-chaussée, ils entendirent des cris. Une dizaine de personnes se penchaient au-dessus du garde-fou et se donnaient de rapides explications, dont on ne saisissait point le sens.

Le prince entraîna Diane de ce côté. Lui aussi se pencha sur la rampe, et voici ce qu’il vit:

Un homme était suspendu de ses deux mains crispées à cette rampe, ses pieds ballottaient dans le vide. S’il tombait, il pouvait se blesser. Il avait trois mètres à sauter et ne s’y résolvait point.

Cet homme était Martinet. Très ivre, il avait enfin quitté le buffet, s’était répandu dans les couloirs, criant, d’une voix mal assurée: «L’orgie! l’orgie! je veux voir l’orgie!… Qu’est-ce qui m’a fichu des donzelles qui sont plus honnêtes que des femmes du monde et qui se tiennent ici comme dans une réception ouverte chez Turrel?… On les pince, elles vous flanquent des gifles!… J’aime mieux rentrer chez moi.»

Ayant pris cette bonne résolution, il la voulut mettre à exécution tout de suite. Comme il était pressé de rentrer, il descendit un peu vite les premières marches de l’escalier et «s’étala».

– Sale escalier! dit-il, il est trop raide…

Et, après réflexion, il ajouta:

– Y a pas à dire, il est plus raide que moi.

Il se releva tant bien que mal et recommença la descente. À la seconde marche, il chancelait et s’allongeait encore.

– Oh! là! là! fit-il. Si on a jamais vu un escalier pareil!

Il contempla, d’un œil morne, les murs qui semblaient valser lugubrement.

Il se releva encore, s’agrippa à la rampe de pierre et déclara:

– C’est vraiment pas étonnant si je me fiche par terre! C’est un escalier tournant! Ça tourne! Ça tourne! J’aurais plus vite fait de le dégringoler sur la rampe, leur escalier!

Et il se mit en mesure de le dégringoler. Il enjamba. Il fut à cheval sur le garde-fou, assez large. Il s’allongea sur la pierre. Ce faisant, il riait. Il avait un petit rire nerveux, un gloussement. Et il se laissa filer. Mais il dévia tout de suite.

Pour son malheur, il dévia en dehors. Ses jambes emportèrent le reste. Il tomba. Cela le dégrisa soudain. Devant l’imminence du danger, il recouvra ses esprits, s’efforça de se retenir, parvint à se crisper, des mains, à la rampe. Puis, sans un mot, n’ayant plus la force de crier, il attendit.