– Malcolm, vous avez parlé des morts qui ont été occasionnées par la pauvre Reine; ou qui, plutôt, ont résulté d'une interférence avec les dispositions qu'elle avait prises ou d'un obstacle opposé à ses intentions. Vous ne pensez pas qu'en présentant les choses ainsi, vous avez été injuste? Qui n'aurait pas agi exactement comme elle? Rappelez-vous qu'elle se battait pour sa vie! Pour bien plus que sa vie! Pour la vie, l'amour, et toutes les merveilleuses possibilités de cet avenir mal défini dans le monde inconnu du Nord qui concrétisait pour elle tant d'espoirs enchanteurs! Ne pensez-vous pas qu'avec la science de son époque, avec la force immense et irrésistible de sa nature puissante, elle avait l'espoir de répandre plus largement les aspirations élevées de son âme! Qu'elle espérait apporter à la conquête de mondes inconnus, utiliser à l'avantage de son peuple, tout ce qu'elle avait tiré du sommeil, de la mort et du temps. Tout ce dont elle risquait d'être frustrée par la main impitoyable d'un assassin ou d'un voleur, car cela aurait pu être. À sa place, est-ce que dans ce cas vous n'auriez pas lutté par tous les moyens pour réaliser l'objectif de votre vie et vos espérances, dont les possibilités n'ont cessé de s'accroître à mesure que passaient ces années interminables? Pouvez-vous croire que ce cerveau actif était au repos pendant tous ces siècles fastidieux, pendant que son corps mortel, entouré de toutes les protections prescrites par la religion et la science de son époque, attendait l'heure fatidique? Tandis que son âme libre voletait d'un monde à l'autre au milieu des espaces intrastellaires, sans fin? Ces myriades d'étoiles avec leur vie variée à l'infini n'avaient-elles pas de leçons à lui donner? Comme elles en ont eu pour nous, depuis que nous suivons le chemin glorieux qu'elle et son peuple nous ont tracé, quand ils envoyaient leurs imaginations ailées tournoyer autour des lampes de la nuit.
Ici, elle s'arrêta. Elle aussi, était à bout, et les larmes qui jaillirent de ses yeux ruisselaient sur ses joues. J'étais moi-même plus remué que je ne puis le dire. C'était vraiment ma Margaret; et dans la conscience de sa présence mon cœur bondit. Mon bonheur m'inspira de l'audace et j'osai dire ce que je considérais avec crainte comme impossible; quelque chose qui attirerait l'attention de Mr. Trelawny sur ce que j'imaginais être la double existence de sa fille. Je pris la main de Margaret, y déposai un baiser, et dis à son père:
– Eh bien, monsieur! elle n'aurait pu parler avec plus d'éloquence si l'esprit de la Reine Tera elle-même s'était trouvé en elle pour suggérer et animer ses pensées!
La réponse de Mr. Trelawny me bouleversa simplement de surprise. Elle me fit comprendre que sa pensée avait suivi exactement le même chemin que la mienne.
– Et si cela était? Je sais très bien que l'esprit de sa mère est en elle. S'il se trouve également en elle l'esprit de la grande et merveilleuse Reine, alors elle ne sera pas moins chère, mais doublement chère à mon cœur. N'ayez aucune crainte pour elle, Malcolm Ross. Du moins, n'ayez pas plus peur pour elle que pour le reste d'entre nous!
Margaret continua sur le même thème; elle se mit si vite à parler qu'elle donnait l'impression d'enchaîner sur l'argumentation de son père, et non de l'avoir interrompu.
– N'ayez aucune crainte particulière pour moi, Malcolm. La Reine Tera sait, et ne nous fera aucun mal. Je le sais! Je le sais aussi vrai que je suis perdue dans les profondeurs de mon amour pour vous! Il y avait dans sa voix quelque chose de si étrange que je me hâtai de regarder ses yeux. Ils étaient aussi brillants que jamais, mais la pensée intérieure de Margaret était pour moi cachée par un voile, comme on l'observe dans les yeux des lions.
Et puis les deux autres hommes arrivèrent, et l'on changea de conversation.
Chapitre XIX LA LEÇON DU «KA»
Ce soir-là, nous sommes tous allés nous coucher de bonne heure. La nuit suivante serait une nuit d'anxiété, et Mr. Trelawny estimait que nous devions prendre tout le repos que pouvait nous procurer le sommeil. J'avais l'impression d'entendre les aiguilles de la pendule tourner sur le cadran. Je vis l'obscurité se dissiper peu à peu, tourner au gris de l'aube, puis la lumière se faire, sans que rien vienne interrompre ou faire dévier le cours de mes pensées lamentables. Finalement, dès que cela fut décemment possible sans craindre de déranger mes compagnons, je me levai. Je me glissai dans le couloir pour vérifier que tout allait bien chez les autres; car nous nous étions arrangés de telle sorte que la porte de chacune de nos chambres devait rester légèrement entrouverte pour que tout bruit suspect pût être facilement entendu.
Tout le monde dormait. J'entendis la respiration régulière de chacun, et je me réjouis dans le fond de mon cœur de constater que cette malheureuse nuit d'anxiété s'était passée sans encombre. Tandis que je m'agenouillais dans ma chambre pour dire dans un élan, une prière d'action de grâces, je sondai dans les profondeurs de mon cœur toute l'importance de ma terreur. Je sortis de la maison et descendis jusqu'à l'eau par le long escalier taillé dans le roc. Quelques brasses dans la mer limpide et fraîche calmèrent mes nerfs et me firent redevenir moi-même.
Quand j'arrivai en m'en retournant, je parvins en haut des marches, je pus voir le soleil resplendissant, qui s'élevait derrière moi et donnait aux rochers situés de l'autre côté de la baie, une teinte d'or étincelant. Et cependant je me sentis plus ou moins troublé. Tout cela était trop flamboyant comme il arrive quelquefois avant une tempête. Tandis que je m'arrêtais pour contempler le spectacle, je sentis une main se poser doucement sur mon épaule. Je me retournai et je trouvai Margaret tout près de moi. Margaret aussi rayonnante que ce soleil matinal et glorieux! Cette fois, c'était bien ma Margaret. Ma Margaret d'autrefois, sans mélange d'aucune autre! Et j'eus l'impression qu'au moins cette dernière journée fatale avait bien commencé.
Mais, hélas! Cette joie fut de courte durée. Quand nous fûmes rentrés à la maison après une promenade sur les falaises, ce fut le retour de la même routine que la veille: tristesse et anxiété, espoir, ardeur, profonde dépression, réserve apathique.
La journée cependant devait être consacrée au travail et nous nous y préparâmes tous avec une énergie qui nous sauva.
Après le petit-déjeuner, nous nous sommes réunis dans la caverne. Mr. Trelawny passa en revue, point par point, la position de chaque objet. Il expliquait au passage la raison pour laquelle on assignait une place à chacun d'entre eux. Il avait à la main les grands rouleaux de papier avec les plans cotés, les inscriptions et les dessins qu'il avait faits d'après les siennes et les notes prises au brouillon par Corbeck. Comme il nous l'avait dit, il y avait là tous les hiéroglyphes qui se trouvaient sur les parois, les plafonds et le sol du tombeau de la Vallée de la Sorcière. Même si les mesures, reproduites à l'échelle, déterminaient l'emplacement de chaque meuble, nous aurions pu éventuellement les mettre là où il convenait en étudiant les inscriptions secrètes et les symboles.
Mr. Trelawny nous expliqua certaines autres choses, qui n'étaient pas portées sur le plan. Par exemple, la partie évidée de la table s'adaptait exactement au fond du Coffre Magique, qui était donc destiné à y être placé. Les places respectives des pieds de cette table étaient indiquées par des uræus de différentes formes tracés sur le sol, la tête de chaque serpent étant dirigée vers un uræus semblable enroulé autour du pied. Il expliqua également que la momie, quand elle serait couchée sur la partie surélevée ménagée au fond du sarcophage, faite, semblait-il, pour épouser sa forme, aurait la tête à l'ouest et les pieds à l'est, de manière à recevoir les rayons telluriques naturels.