Изменить стиль страницы

Une fois sur la falaise, avec devant moi la vaste étendue de cette mer admirable, sans autre bruit que celui des vagues sous mes pieds et les cris aigus des mouettes au-dessus de ma tête, mes pensées se donnèrent libre cours. Quoi que je fasse, elles revenaient continuellement au même sujet, la recherche d'une solution au doute qui m'obsédait. Dans cette solitude, au centre du vaste cercle des forces de la Nature et de leurs luttes, mon esprit se mit à travailler pour de bon. Inconsciemment, je me surpris à me poser une question à laquelle je ne voulais pas répondre. Finalement, l'habitude que j'avais toujours eue de voir les choses en face prit le dessus; je me trouvai confronté avec mes doutes. La méthode qui avait été la mienne pendant toute ma vie commença à agir, et j'analysai le témoignage qui se trouvait devant moi.

C'était si bouleversant que je dus me forcer à me soumettre à un effort de logique. Mon point de départ était celui-ci: Margaret avait changé: de quelle façon, et par quels moyens? Était-ce son caractère, son esprit, ou sa nature? Car son aspect physique restait le même. Je me mis à rassembler tout ce que j'avais entendu dire sur son compte, en débutant par sa naissance.

L'étrangeté commençait dès ce moment. D'après Corbeck, elle était née d'une mère morte pendant le temps où son père et son ami étaient en catalepsie dans le tombeau à Assouan. Cet état avait été probablement provoqué par une femme; une femme momifiée, mais conservant, comme nous avions, après expérience, toutes les raisons de le croire, un corps astral soumis à une volonté libre et à une intelligence active. Pour ce corps astral, l'espace cessait d'exister. La grande distance entre Londres et Assouan se réduisait à rien; et tout le pouvoir de nécromancie dont pouvait disposer la Sorcière s'était peut-être exercé sur la mère morte, et, cela était possible, sur l'enfant morte.

La mère morte! Était-il possible que l'enfant ait été morte et qu'on l'ait fait revivre? D'où venait alors l'esprit qui l'avait animé – son âme? La logique me désignait pour de bon la façon dont cela s'était passé.

Si la croyance égyptienne était vraie pour les Égyptiens, alors le «Ka» de la Reine défunte et son «Khu» pouvaient animer ce qu'elle choisissait. Dans ce cas, Margaret n'aurait pas été le moins du monde un individu, mais simplement un aspect de la Reine Tera elle-même; un corps astral obéissant à sa volonté!

Là, je me révoltais contre la logique. Dans toutes les fibres de mon être je m'insurgeais contre une telle conclusion. Comment aurais-je pu croire qu'il n'existait pas du tout de Margaret; mais simplement une image animée utilisée par le Double d'une femme de quarante siècles auparavant pour réaliser ses desseins… D'une certaine façon, la perspective qui s'offrait à moi était plus brillante, en dépit de mes doutes récents.

Au moins, j'avais Margaret!

Le pendule de la logique se remettait à osciller. Alors, l'enfant n'était pas morte. Dans ce cas, la Sorcière avait-elle seulement quelque chose à faire avec sa naissance? Il était évident – je citais de nouveau Corbeck – qu'il y avait une étrange ressemblance entre Margaret et les portraits de la Reine Tera. Comment cela était-il possible? Ce ne pouvait pas être une marque de naissance reproduisant ce qui s'était trouvé dans l'esprit de la mère; car Mrs. Trelawny n'avait jamais vu ces portraits. Bien mieux, son père lui-même ne les avait pas vus jusqu'au moment où, quelques jours avant sa naissance, il était entré dans le tombeau de la Reine. Je ne pouvais pas me débarrasser de cette hypothèse aussi facilement que de la dernière; les fibres de mon être restaient calmes. Il me restait l'horreur du doute. Et même alors, l'esprit humain est si étrange, le doute lui-même devenait une image tangible – une pénombre vaste et impénétrable à travers laquelle clignotaient irrégulièrement et par accès les points minuscules d'une lumière fugitive, qui semblaient conférer à l'obscurité une existence positive.

La possibilité qui subsistait de relations entre Margaret et la Reine momifiée était que la Sorcière, d'une certaine façon occulte, avait le pouvoir de changer de place avec elle. Ce point de vue ne pouvait pas être écarté à la légère. Il y avait tant de circonstances suspectes qui l'appuyaient, à présent que mon attention s'y était fixée et que mon intelligence en reconnaissait la possibilité. Certainement, je ne pouvais pas agir d'une façon salutaire sans une juste conception et une reconnaissance des faits. Classés par ordre, ceux-ci étaient les suivants:

1. L 'étrange ressemblance entre Margaret et Tera, bien qu'étant née dans un autre pays, à des milliers milles de distance, alors que sa mère ne pouvait avoir eu une connaissance, même passagère, de l'apparence physique de la Reine.

2. La disparition du livre de Van Huyn après que j'eus lu la description du Rubis Étoilé.

3. La découverte des lampes dans le boudoir. Tera, par son corps astral pouvait avoir ouvert la porte de la chambre de Corbeck à l'hôtel, l'avoir refermée après en être sortie avec les lampes. Elle avait pu, de la même façon, ouvrir la fenêtre du boudoir et y déposer les lampes. Il n'aurait pas été nécessaire pour Margaret d'intervenir en personne; mais… mais c'était au moins étrange.

4. Ici les soupçons du détective et du docteur me revenaient avec une force nouvelle, et sur un champ plus vaste.

5. Il y avait les occasions où Margaret avait prédit exactement que le calme allait revenir, comme si elle avait eu une certaine conviction ou une connaissance des intentions du corps astral de la Reine.

6. Il y avait eu sa façon de suggérer qu'on allait retrouver le Rubis perdu par son père. En repensant à cet épisode à la lumière de mes soupçons concernant ses pouvoirs, la seule conclusion à laquelle je pouvais aboutir – en supposant toujours que la théorie du pouvoir astral de la Reine était exacte – était celle-ci: la Reine Tera, se préoccupant que tout aille bien dans le déménagement de Londres à Kyllion, avait, à sa façon, pris la Pierre dans le portefeuille de Mr. Trelawny, en le trouvant d'une certaine utilité dans sa surveillance surnaturelle du voyage. Alors, par un moyen mystérieux qui lui appartenait, elle avait, par l'intermédiaire de Margaret suggéré qu'elle était perdue puis retrouvée.

7. Et pour finir. Il y avait l'existence étrangement double que Margaret semblait mener, et qui, en une certaine mesure, paraissait être la conséquence ou le corollaire de tout ce qui s'était passé antérieurement.

La double existence! C'était en vérité la conclusion qui surmontait toutes les difficultés et conciliait les extrêmes. En vérité, si Margaret n'était pas libre d'agir de toutes les façons, mais pouvait être contrainte d'agir ou de parler suivant des instructions qu'elle recevait; ou si elle pouvait, dans sa totalité, être remplacée par une autre sans que personne puisse s'en apercevoir, alors tout était possible. Tout dépendait de l'esprit de l'entité de laquelle elle subirait cette contrainte. Si c'était une entité juste, bonne, et honnête, tout pouvait aller bien. Mais dans le cas contraire… Cette pensée était trop affreuse pour pouvoir être exprimée. Tandis que ces horribles possibilités me venaient à l'esprit, je grinçais des dents dans un accès de rage stérile.

Jusqu'à ce matin-là, les évasions de Margaret vers sa nouvelle personnalité avaient été rares et à peine discernables, sauf à une ou deux occasions, quand son attitude là mon égard m'avait paru étrange. Mais aujourd'hui, c'était le contraire; et le changement était de mauvais présage. Il était possible que cette autre personnalité fut de la catégorie la plus basse et non pas de la meilleure. À présent que j'y pensais, j'avais des raisons d'avoir peur. Dans l'histoire de la momie, depuis le moment où Van Huyn était entré dans le tombeau, le nombre de morts dont nous avions connaissance, et qui pouvaient vraisemblablement être attribués à sa volonté ou à son intervention, était saisissant. L'Arabe qui avait dérobé la main de la momie; celui qui l'avait volée sur le cadavre de ce dernier. Le chef arabe qui avait essayé de voler la Pierre à Van Huyn, et dont le cou portait les marques de sept doigts. Les deux hommes trouvés morts la première nuit suivant le moment où Trelawny avait emporté le sarcophage; et les trois autres lors de son retour au tombeau. L'Arabe qui avait ouvert le serdab secret. Neuf hommes morts, dont un manifestement par la propre main de la Reine! Et en outre les attaques sauvages contre Mr. Trelawny au cours desquelles, aidée par son Esprit Familier, elle avait essayé d'ouvrir le coffre et d'y prendre la Pierre Talisman. Le dispositif imaginé par Mr. Trelawny consistant à accrocher la clef à un bracelet qu'il portait au poignet, tout en portant finalement ses fruits, avait tout de même bien failli lui coûter la vie.