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Elle se tut et son père déclara solennellement:

– C'est de cette hypothèse que nous partons. Nous devons avoir le courage de nos convictions, et agir en conséquence – jusqu'à la fin!

À la gare, lorsque tous les fardeaux furent chargés, les ouvriers montèrent dans le train. Celui-ci prit aussi quelques-uns des plateaux utilisés pour transporter les caisses avec les grands sarcophages. Des camions ordinaires et un grand nombre de chevaux nous attendraient à Westerton, qui était notre gare pour Kyllion. Mr. Trelawny avait commandé un wagon-lit pour notre expédition. Dès que le train eut démarré, nous nous sommes tous installés dans nos cabines.

Cette nuit-là, je dormis profondément. J'avais une conviction de sécurité absolue et suprême. La déclaration définitive de Margaret: «Il n'y aura aucun ennui cette nuit! «semblait emporter la certitude. Je ne la mis pas en question et tout le monde fit comme moi. Ce n'est qu'après que je me mis à me demander comment elle pouvait en être si sûre. Le train était lent, il était sujet à des arrêts fréquents et très longs. Comme Mr. Trelawny ne tenait pas à arriver à Westerton avant la nuit, il n'y avait pas lieu de se presser; et des arrangements avaient été pris pour faire manger les ouvriers en certains points du parcours. Quant à nous, nous avions nos paniers de provisions dans notre wagon réservé.

Pendant tout l'après-midi, nous avons parlé de la Grande Expérience qui avait pris corps dans notre pensée. Mr. Trelawny était de plus en plus enthousiaste à mesure que le temps passait; l'espoir avait chez lui laissé la place à la certitude.

Quant à Margaret, elle paraissait d'une certaine façon paralysée. Soit qu'il y ait eu quelque chose de changé dans ses sentiments, soit qu'elle ait pris l'entreprise plus au sérieux qu'elle ne l'avait fait jusque-là. Elle était généralement plus ou moins distraite, comme si elle avait sombré dans la méditation; mais elle en sortait brusquement. C'était habituellement à l'occasion d'une péripétie du voyage, comme un arrêt dans une gare, ou quand le fracas de tonnerre déclenché par le passage d'un viaduc venait éveiller les échos des collines et des falaises qui nous environnaient. À chacune de ces occasions, elle se mêlait à la conversation, y prenait part de façon à montrer que, bien que sa pensée se soit égarée ailleurs, ses sens avaient pleinement enregistré ce qui se passait autour d'elle. Ses manières à mon égard étaient étranges. Quelquefois elle se tenait à distance dans une attitude à moitié timide, à moitié hautaine, qui était nouvelle pour moi. À d'autres occasions, c'étaient des regards, des gestes et des intonations passionnés qui me faisaient presque tourner la tête de délices. Cependant on ne put guère juger de son caractère pendant le voyage. Il n'y eut qu'un épisode qui avait en lui-même quelque chose d'inquiétant, mais comme nous étions tous endormis à ce moment-là nous n'en avons pas été dérangés. Nous ne l'avons appris que le lendemain matin par un employé bavard. Entre Dawlish et Teignmouth le train fut arrêté par quelqu'un qui agitait une torche sur la voie. En s'arrêtant, le mécanicien s'était aperçu qu'un petit éboulement s'était produit juste devant le train: de la terre rouge venant du talus. Cependant, cela n'était même pas arrivé jusqu'aux rails; le mécanicien était reparti, assez peu satisfait de ce retard.

Nous arrivâmes à Westerton vers neuf heures du soir. Des camions et des chevaux nous attendaient, et le travail de déchargement commença immédiatement.

Nous n'attendîmes pas pour voir faire le travail, qui était entre les mains d'hommes compétents. Nous prîmes la voiture qui nous attendait, et dans la nuit, nous nous dirigeâmes rapidement vers Kyllion.

Quand la maison apparut dans un brillant clair de lune, nous fûmes tous impressionnés. Un grand manoir de pierre grise de l'époque de Jacques Ier, vaste et spacieux dominant la mer sur le bord d'une falaise élevée.

Nous trouvâmes tout prêt à l'intérieur de la maison, et quand le dîner fut terminé, nous nous sommes tous transportés dans la pièce que Mr. Trelawny avait installée à côté de son bureau, à proximité immédiate de sa chambre. En entrant, la première chose qui me frappa fut un grand coffre-fort, assez semblable à celui qui se trouvait à Londres dans sa chambre. Une fois tous réunis, Mr. Trelawny s'approcha de la table, prit son portefeuille et l'y déposa. Ce faisant, il appuya dessus avec la paume de sa main, et pâlit étrangement. En tremblant, il ouvrit le portefeuille et dit aussitôt:

– La bosse ne paraît pas la même, j'espère qu'il n'est rien arrivé!

Les trois hommes se rassemblèrent autour de lui. Seule Margaret conserva son calme; elle restait debout et silencieuse, comme une statue. Elle avait un regard lointain, comme si elle n'avait pas su ce qui se passait autour d'elle ou ne s'en souciait pas.

D'un geste désespéré, Trelawny ouvrit la poche du portefeuille où il avait mis le Rubis aux Sept Étoiles. Il s'effondra dans un fauteuil en disant d'une voix rauque:

– Mon Dieu! Il a disparu. Sans lui la Grande Expérience est réduite à néant!

Ses paroles parurent réveiller Margaret de sa rêverie intérieure. Son visage se contracta dans un spasme d'angoisse, puis elle retrouva presque instantanément son calme, et c'est presque en souriant qu'elle dit:

– Vous l'avez peut-être laissé dans votre chambre, père. Il a pu tomber de votre portefeuille quand vous vous êtes changé.

Sans un mot, nous nous précipitâmes tous dans la pièce voisine en passant par la porte ouverte qui séparait le bureau de la chambre à coucher. Et soudain le calme se rétablit.

Là! sur la table, était posée la Pierre aux Sept Étoiles, brillante, étincelante de lumière, comme si chacune des sept pointes des sept étoiles avait lui à travers du sang!

Timidement, nous regardâmes tous derrière nous, et ensuite notre voisin. Margaret était à présent comme les autres. Elle avait abandonné son calme de statue. Toute cette rigidité accompagnant son attitude d'introspection avait disparu; et elle serra les mains avec une telle force que ses phalanges en devinrent blanches.

Sans un mot, Mr. Trelawny saisit la pierre, et se précipita, en l'emportant, dans la pièce voisine. Il ouvrit avec autant de calme qu'il put la porte du coffre au moyen de la clef suspendue à son bracelet et mit la pierre à l'intérieur. Quand les lourdes portes furent refermées et la clef tournée, il eut l'air de respirer plus librement.

D'une certaine façon cet épisode, bien que troublant à bien des égards, parut nous remettre d'aplomb. Depuis notre départ de Londres, nous avions été surmenés, et nous éprouvions une sorte de soulagement. Une autre étape de notre étrange entreprise était franchie.

Le changement était plus accentué chez Margaret que chez n'importe lequel d'entre nous. Peut-être parce qu'elle était une femme, et nous des hommes; peut-être parce qu'elle était la plus jeune. Ou pour ces deux raisons. En tout cas, le changement était là, et j'étais plus heureux que je ne l'avais été à aucun moment du voyage. Tout son entrain, sa tendresse, ses sentiments profonds apparaissaient de nouveau; de temps à autre, lorsque les yeux se posaient sur elle, son visage semblait s'éclairer.