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Quand nous eûmes regagné la caverne, Mr. Trelawny aborda un autre thème:

– Il nous faut à présent fixer avec précision l'heure exacte à laquelle la Grande Expérience doit être tentée. Quand il ne s'agit que de science et de mécanique, à condition que les préparatifs soient complets, l'heure n'a pas d'importance. Mais nous avons à compter avec les préparatifs faits par une femme d'un esprit extraordinairement subtil, qui avait pleine croyance dans la magie, mettait dans toute chose une signification cachée et nous devons, avant de décider, nous mettre à sa place. Il est à présent manifeste que le coucher du soleil occupe une place importante dans les dispositions prises. Comme ces soleils, coupés si mathématiquement par le bord du sarcophage, ont été mis là avec une intention bien nette, nous devons nous en servir comme indices. De plus, nous avons trouvé sans cesse que le chiffre sept jouait un rôle primordial dans toutes les nuances de la pensée de la Reine, dans son raisonnement et sa manière d'agir. La conséquence logique, c'est que la septième heure après le coucher du soleil est le moment prescrit. Cela se confirme par le fait que chaque fois qu'une chose a été entreprise dans ma maison, cela fut l'heure choisie. Comme ce soir le soleil se couche en Cornouailles à huit heures, notre heure doit être trois heures du matin.

Il parlait de cela comme d'une chose toute naturelle, avec cependant une grande gravité; mais il n'y avait rien de mystérieux dans ses paroles ou ses manières. Nous étions toutefois impressionnés à un degré remarquable. Je pouvais le voir chez les autres hommes par la pâleur qui envahissait certains visages, par le calme, le silence et l'absence de questions qui accueillaient l'annonce de cette décision. La seule qui restait d'une certaine façon à son aise, c'était Margaret, qui avait sombré dans l'une de ses absences, mais qui parut se réveiller avec une sorte de gaieté. Son père, qui la surveillait attentivement, sourit, son humeur lui apportait une confirmation directe de l'exactitude de sa théorie.

À présent nous allons voir les lampes et achever nos préparatifs. En conséquence, nous nous mîmes au travail, et sous sa supervision, nous avons préparé les lampes égyptiennes, vérifié si elles étaient bien garnies d'huile de cèdre, si les mèches étaient réglées et en bon état. Nous les allumâmes et les vérifiâmes une par une et les laissâmes prêtes de sorte qu'elles puissent éclairer immédiatement et régulièrement. Lorsque cela fut fait, nous passâmes une inspection générale et nous avons tout tenu prêt pour notre travail de la nuit.

Tout cela nous avait pris du temps et nous fûmes, je crois, tous surpris quand, en sortant de la caverne, nous avons entendu la grande horloge de l'antichambre sonner quatre heures.

Nous prîmes un déjeuner tardif, chose possible sans difficultés dans l'état présent de notre intendance. Ensuite, sur le conseil de Mr. Trelawny, nous nous sommes séparés; chacun devait se préparer à sa manière aux épreuves de la nuit, Margaret était pâle et semblait assez fatiguée, si bien que je lui conseillai de s'étendre et d'essayer de dormir. Elle me le promit. Cet air absent qu'elle avait eu toute la journée s'était dissipé pour le moment. Avec toute sa gentillesse habituelle et son amoureuse délicatesse elle m'embrassa pour me dire au revoir. Le bonheur que j'en ressentis me poussa à aller me promener sur les falaises. Je ne voulais pas penser et j'avais le sentiment instinctif que l'air frais et le soleil de Dieu, les milliers de beautés dispensées par Sa main seraient pour moi la meilleure préparation à ce qui allait venir, et me donneraient le courage nécessaire.

Quand je rentrai, tout le monde se réunissait pour prendre un thé tardif. Je sortais à peine de l'exubérance de la nature, et une chose me frappa comme presque comique: alors que nous approchions du dénouement d'une entreprise tellement étrange – et presque monstrueuse – nous restions prisonniers des habitudes et des besoins contractés tout au long de nos existences.

Tous les hommes étaient graves; le temps pendant lequel ils étaient restés enfermés, même s'ils l'avaient consacré au repos, leur avait donné l'occasion de réfléchir.

Margaret était brillante, presque joyeuse; mais je regrettais l'absence en elle d'une certaine spontanéité. À mon égard elle avait un vague air de réserve qui fit revivre quelque chose de mes soupçons. Quand le thé fut desservi, elle sortit de la pièce; mais elle revint une minute après avec le rouleau de dessins qu'elle avait pris au début de la journée. Elle s'approcha de Mr. Trelawny et lui dit:

– Père, j'ai soigneusement examiné ce que vous disiez hier au sujet du sens caché de ces soleils et de ces cœurs et «Kas» et j'ai regardé de nouveau les dessins.

– Et avec quel résultat, mon enfant? demanda avec empressement Mr. Trelawny.

– Il est possible de les lire autrement.

– Et comment? Sa voix était à présent tremblante d'anxiété.

Margaret parlait avec une étrange résonance dans la voix; une résonance qui ne pouvait s'expliquer que par une conviction qui étayait ses dires:

– Cela veut dire qu'au coucher du soleil le «Ka» est sur le point d'entrer dans l' «Ab», et c'est seulement au lever du soleil qu'il le quittera!

– Continue! dit son père d'un ton rauque.

– Cela veut dire que pour cette nuit, le Double de la Reine, qui autrement est libre, restera dans son cœur, qui est mortel et ne peut quitter sa prison à l'intérieur du suaire de la momie. Cela veut dire que lorsque le soleil aura sombré dans la mer, la Reine Tera cessera d'exister comme puissance consciente, jusqu'au lever du soleil; à moins que la Grande Expérience ne puisse la rappeler à la vie éveillée. Cela veut dire qu'il n'y aura absolument rien pour vous ou pour d'autres à craindre d'elle d'une façon dont nous avons toutes les raisons de nous souvenir. Quel que soit le changement qui puisse résulter de la mise en œuvre de la Grande Expérience, il ne peut en venir aucun de la pauvre femme morte, sans recours, qui a attendu cette nuit depuis tant de siècles; qui a abandonné en faveur de l'heure qui vient toute la liberté de l'éternité, gagnée à la façon traditionnelle, dans l'espoir d'une vie nouvelle dans un monde nouveau tel que celui auquel elle aspirait…

Elle s'arrêta soudain. Tandis qu'elle parlait, ses paroles s'accompagnaient d'une intonation étrangement pathétique, presque suppliante, qui me toucha jusqu'à la moelle des os.

Après le départ de Mr. Trelawny, le silence s'établit. Je ne pense pas que personne ait eu envie de dire quelque chose. Puis, Margaret regagna sa chambre et je sortis sur la terrasse donnant sur la mer. L'air frais et la beauté du spectacle m'aidèrent à retrouver la bonne humeur que j'avais connue plus tôt dans la journée. Je ne tardai pas à éprouver une véritable joie grâce à la conviction que le danger que je craignais, et qui aurait résulté de la violence de la Reine pendant la nuit qui allait venir était évité. Je partageai la conviction de Margaret au point de ne pas mettre en doute la justesse de son raisonnement. J'avais un moral élevé, j'étais moins inquiet que je ne l'avais été depuis bien des jours, j'allai dans ma chambre pour m'étendre sur le sofa.