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Il lui semble entendre Angélique lui dire, à travers ses pleurs et ses prières: «Viens, viens à mon aide! Je te recommande ma virginité, qui m’est plus chère que mon âme, que ma vie. En présence de mon cher Roland, me sera-t-elle donc ravie par ce voleur? Donne-moi plutôt la mort de ta main, que de me laisser subir un sort si cruel.»

Ces paroles font revenir Roland, qui parcourt encore une ou deux fois chaque chambre, avec une nouvelle ardeur, et dont l’espoir allège la fatigue. Tantôt il s’arrête, croyant entendre une voix, qui ressemble à celle d’Angélique, réclamer son secours; mais il ne sait d’où elle vient, car tandis qu’il est d’un côté, elle se fait entendre d’un autre.

Mais revenons à Roger que j’ai laissé dans un sentier ombreux et obscur, au moment où, après avoir suivi le géant et sa dame, il a débouché du bois dans un grand pré. Il arriva à l’endroit où venait d’arriver Roland, si je reconnais bien le lieu. L’énorme géant disparut par la porte, et Roger, sans se lasser de le suivre, y entra après lui.

Dès qu’il a mis le pied sur le seuil, il regarde dans la grande cour et à travers les galeries. Il ne voit plus le géant ni sa dame, et c’est en vain qu’il tourne les yeux de tous côtés. En haut, en bas, il va et vient sans jamais rencontrer ce qu’il cherche. Il ne sait où le félon s’est caché avec la dame.

Après avoir passé quatre ou cinq fois en revue les galeries et les salles, il y revient encore et ne s’arrête pas avant d’avoir cherché jusque sous les escaliers. Espérant qu’il les trouvera dans les forêts voisines, il part, mais une voix pareille à celle qui a appelé Roland l’appelle aussi et le fait rentrer de nouveau dans le palais.

La même voix, la même apparition que Roland avait prise pour Angélique, semble être à Roger la dame de Dordogne, dont il est de même séparé. De même à Gradasse et à tous ceux qui, comme lui, allaient errant dans le palais, l’apparition semble être la chose que chacun d’eux désire le plus.

C’était un nouvel et étrange enchantement imaginé par Atlante de Carène pour occuper tellement Roger à cette fatigue, à cette douce peine, qu’il pût échapper au funeste destin qui devait le faire mourir jeune. Après le château d’acier, qui ne lui avait pas réussi, après Alcine, il a encore voulu faire cet essai.

Atlante a attiré et tient dans cet enchantement, non seulement Roger, mais tous les chevaliers qui ont le plus de renommée en France, afin que Roger ne meure pas de leur main. Et pendant qu’il les retenait dans cette demeure, il avait approvisionné abondamment le palais afin de ne laisser manquer de rien les dames et les chevaliers qui s’y trouvaient.

Mais revenons à Angélique. Ayant avec elle cet anneau si merveilleux qu’en le mettant dans sa bouche elle disparaît aux regards, elle porte à son doigt un préservatif assuré contre tout enchantement. Après avoir trouvé, dans la caverne de la montagne, de la nourriture, une haquenée et des vêtements autant qu’il lui en fallait, elle avait résolu de retourner dans son beau royaume de l’Inde.

Elle aurait voulu volontiers avoir pour escorte Roland ou Sacripant, non pas que l’un lui fût plus cher que l’autre, car elle s’était toujours montrée rebelle à leurs désirs; mais devant, pour regagner le Levant, passer par tant de villes, de châteaux, elle avait besoin d’un guide, d’une escorte, et elle ne pouvait avoir en d’autres une plus grande confiance.

Elle les chercha longtemps l’un et l’autre, sans en découvrir la moindre trace, tantôt dans les cités, tantôt dans les villas, dans les forêts profondes et sur tous les chemins. Enfin la fortune la pousse vers le palais où Atlante avait réuni dans un étrange enchantement le comte Roland, Ferragus, Sacripant, Roger, Gradasse et tant d’autres;

Elle y entre, car le magicien ne peut la voir. Elle cherche partout, invisible grâce à son anneau. Elle trouve Roland et Sacripant qui la cherchent vainement dans cette demeure. Elle voit comment, en leur présentant son image, Atlante les trompe l’un et l’autre. Pendant longtemps, elle se demande lequel des deux elle doit prendre pour compagnon, et elle ne sait à quoi se résoudre.

Elle ne sait pas lequel des deux il lui vaudrait le mieux avoir avec elle, du comte Roland ou du fier roi de Circassie. Roland pourra la défendre plus vaillamment et plus efficacement dans les moments périlleux; mais si elle en fait son guide, elle risque d’en faire son maître, car elle ne voit pas comment elle pourrait s’en faire constamment obéir, ou même le renvoyer en France quand elle n’aura plus besoin de lui.

Quant au Circassien, elle pourra le renvoyer quand il lui plaira, l’eût-elle déjà fait monter au ciel. Cette seule raison la décide à le prendre pour escorte, à se fier à sa foi et à son zèle. Elle ôte l’anneau de sa bouche, et montre son visage sans voile aux regards de Sacripant. Elle croit s’être montrée à lui seul, mais soudain Roland et Ferragus surviennent.

Surviennent Roland et Ferragus. L’un et l’autre rôdaient en haut, en bas, au dedans et au dehors, cherchant dans l’immense palais celle qui était leur divinité. Ils coururent tous à la dame, car aucun enchantement ne les retenait plus, l’anneau qu’elle avait à sa main rendant vaines toutes les inventions d’Atlante.

Deux des guerriers que je chante avaient la cuirasse au dos et le casque en tête. Depuis qu’ils étaient entrés dans cette demeure, ils ne les avaient quittés ni le jour ni la nuit, car l’habitude qu’ils en avaient les leur rendait aussi faciles à porter que de simples vêtements. Le troisième, Ferragus, était aussi armé, mais il n’avait pas de casque et ne voulait pas en avoir,

Jusqu’à ce qu’il eût celui que le paladin Roland avait enlevé au frère du roi Trojan. Il l’avait juré lorsqu’il avait en vain cherché dans la rivière le casque fin de l’Argail. Bien qu’il ait eu Roland pour voisin dans ce palais, Ferragus n’en est pas venu aux mains avec lui, car ils ne se pouvaient reconnaître entre eux, tant qu’ils seraient dans cette enceinte.

Cette demeure était enchantée de telle sorte qu’ils ne pouvaient se reconnaître entre eux. Ni le jour ni la nuit, ils ne quittaient l’épée, le haubert ou l’écu. Leurs chevaux, la selle sur le dos, le mors suspendu à l’arçon, mangeaient dans une écurie, située près de l’entrée, et constamment fournie d’orge et de paille.

Atlante ne saurait et ne pourrait empêcher les guerriers de remonter en selle pour courir derrière les joues vermeilles, les cheveux d’or et les beaux yeux noirs de la donzelle qui fuit sur sa jument qu’elle talonne. Elle voit avec déplaisir les trois amants réunis, car elle les aurait peut-être choisis l’un après l’autre.

Quand elle les eut assez éloignés du palais pour ne plus craindre que l’enchanteur maudit pût exercer sur eux son pouvoir pernicieux, elle porta à ses lèvres de rose l’anneau qui lui avait fait éviter plus d’un danger. Soudain, elle disparut à leurs yeux, les laissant comme insensés et stupéfaits.

Son premier projet était de prendre avec elle Roland ou Sacripant qui l’aurait accompagnée dans son retour au royaume de Galafron, dans l’extrême Orient; mais soudain il lui vint un profond dédain pour tous les deux. Changeant en un instant de résolution, elle ne voulut rien devoir ni à l’autre, et pensa que son anneau lui suffirait pour les remplacer.