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– Mon général, vous m’humilieriez si vous ne me permettiez pas de vous offrir ces renseignements sur Mlle Alexandrine comme une faible preuve de ma reconnaissance.

– À la bonne heure! Je ne lutterai pas plus longtemps avec vous de générosité. Au reste, votre dévouement me sera une douce récompense du moelleux que j’ai toujours mis dans nos relations d’affaires.

– C’est bien comme cela que je l’entends, mon général; mais ne pourrai-je pas vous être bon à autre chose? Vous devez être horriblement mal ici, vous qui tenez tant à vos aises! Vous êtes à la pistole , j’espère?

– Certainement; et je suis arrivé à temps, car j’ai eu la dernière chambre vacante; les autres sont comprises dans les réparations qu’on fait à la prison. Je me suis installé le mieux possible dans ma cellule; je n’y suis pas trop mal: j’ai un poêle, j’ai fait venir un bon fauteuil, je fais trois longs repas, je digère, je me promène et je dors. Sauf les inquiétudes que me donne Alexandrine, vous voyez que je ne suis pas trop à plaindre.

– Mais pour vous qui étiez si gourmand, général, les ressources de la prison sont bien maigres.

– Et le marchand de comestibles qui est dans ma rue n’a-t-il pas été créé comme qui dirait à mon intention? Je suis en compte ouvert avec lui, et tous les deux jours il m’envoie une bourriche soignée; et à ce propos, puisque vous êtes en train de me rendre service, priez donc la marchande, cette brave petite Mme Michonneau, qui par parenthèse n’est pas piquée des vers…

– Ah! scélérat, scélératissime de général!…

– Voyons, mon cher camarade, pas de mauvaises pensées, dit l’huissier avec une nuance de fatuité, je suis seulement bonne pratique et bon voisin. Donc, priez la chère Mme Michonneau de mettre dans mon panier de demain un pâté de thon mariné… c’est la saison, ça me changera et ça fait boire.

– Excellente idée!…

– Et puis, que Mme Michonneau me renvoie un panier de vins composé de bourgogne, champagne et bordeaux, pareil au dernier, elle saura ce que ça veut dire, et qu’elle y ajoute deux bouteilles de son vieux cognac de 1817 et une livre de pur moka frais grillé et frais moulu.

– Je vais écrire la date de l’eau-de-vie pour ne rien oublier, dit Bourdin en tirant son carnet de sa poche.

– Puisque vous écrivez, mon cher camarade, ayez donc aussi la bonté de noter de demander chez moi mon édredon.

– Tout ceci sera exécuté à la lettre, mon général: soyez tranquille, me voilà un peu rassuré sur votre nourriture. Mais vos promenades, vous les faites pêle-mêle avec ces brigands de détenus?

– Oui, et c’est très-gai, très-animé; je descends de chez moi après déjeuner, je vais tantôt dans une cour, tantôt dans une autre, et, comme vous dites, je m’encanaille. C’est Régence, c’est Porcheron! Je vous assure qu’au fond ils paraissent très-braves gens; il y en a de fort amusants. Les plus féroces sont rassemblés dans ce qu’on appelle la Fosse-aux -lions. Ah! mon cher camarade, quelles figures patibulaires! Il y a entre autres un nommé le Squelette; je n’ai jamais rien vu de pareil.

– Quel drôle de nom!

– Il est si maigre, ou plutôt si décharné, que ça n’est pas un sobriquet, je vous dis qu’il est effrayant; par là-dessus il est prévôt de sa chambrée. C’est bien le plus grand scélérat… il sort du bagne, et il a encore volé et assassiné; mais son dernier meurtre est si horrible qu’il sait bien qu’il sera condamné à mort sans rémission, mais il s’en moque comme de colin-tampon.

– Quel bandit!

– Tous les détenus l’admirent et tremblent devant lui. Je me suis mis tout de suite dans ses bonnes grâces en lui donnant des cigares; aussi il m’a pris en amitié et il m’apprend l’argot. Je fais des progrès.

– Ah! ah! quelle bonne farce! Mon général qui apprend l’argot!

– Je vous dis que je m’amuse comme un bossu; ces gaillards-là m’adorent, il y en a même qui me tutoient… Je ne suis pas fier, moi, comme un petit monsieur nommé Germain, un va-nu-pieds qui n’a pas seulement le moyen d’être à la pistole, et qui se mêle de faire le dégoûté, le grand seigneur avec eux.

– Mais il doit être enchanté de trouver un homme aussi comme il faut que vous pour causer avec lui, s’il est si dégoûté des autres?

– Bah! il n’a pas eu l’air seulement de remarquer qui j’étais; mais, l’eût-il remarqué, que je me serais bien gardé de répondre à ses avances. C’est la bête noire de la prison… Ils lui joueront tôt ou tard un mauvais tour, et je n’ai pardieu pas envie de partager l’aversion dont il est l’objet.

– Vous avez bien raison.

– Ça me gâterait ma récréation; car ma promenade avec les détenus est une véritable récréation… Seulement, ces brigands-là n’ont pas grande opinion de moi, moralement… Vous comprenez, ma prévention de simple abus de confiance… c’est une misère pour des gaillards pareils… Aussi ils me regardent comme bien peu, ainsi que dit Arnal.

– En effet, auprès de ces matadors de crimes vous êtes…

– Un véritable agneau pascal, mon cher camarade… Ah çà! puisque vous êtes obligeant, n’oubliez pas mes commissions.

– Soyez tranquille, mon général:

1° Mlle Alexandrine;

2° le pâté de poisson et le panier de vins;

3° le vieux cognac de 1817, le café en poudre et l’édredon… vous aurez tout cela… Il n’y pas autre chose?

– Ah! si, j’oubliais… Vous savez bien où demeure M. Badinot?

– L’agent d’affaires? oui.

– Eh bien! veuillez lui dire que je compte toujours sur son obligeance pour me trouver un avocat comme il me le faut pour ma cause… que je ne regarderai pas à un billet de mille francs.

– Je verrai M. Badinot, soyez tranquille, mon général; ce soir toutes vos commissions seront faites, et demain vous recevrez ce que vous me demandez. À bientôt, et bon courage, mon général.

– Au revoir, mon cher camarade.

Et le détenu quitta le parloir d’un côté, le visiteur de l’autre.

Maintenant comparez le crime de Pique-Vinaigre, récidiviste, au délit de maître Boulard, huissier.

Comparez le point de départ de tous deux et les raisons, les nécessités qui ont pu les pousser au mal.

Comparez enfin le châtiment qui les attend.

Sortant de prison, inspirant partout l’éloignement et la crainte, le libéré n’a pu exercer, dans la résidence qu’on lui avait assignée, le métier qu’il savait; il espérait se livrer à une profession dangereuse pour sa vie, mais appropriée à ses forces; cette ressource lui a manqué.

Alors il rompt son ban, revient à Paris, comptant y cacher plus facilement ses antécédents et trouver du travail.