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– Ça comptera sur vos états de service et blessures. Mais ce beau vicomte?

– Je vous disais donc que Saint-Remy était poursuivi pour vol… après avoir fait croire à son bon enfant de père qu’il avait voulu se brûler la cervelle. Un agent de police de mes amis, sachant que j’avais longuement traqué ce vicomte, m’a demandé si je ne pourrais pas le renseigner, le mettre sur la trace de ce mirliflore. Justement j’avais su trop tard, lors de la dernière contrainte par corps à laquelle il avait échappé, qu’il s’était terré dans une ferme à Arnouville, à cinq lieues de Paris… Mais quand nous y étions arrivés… il n’était plus temps… l’oiseau avait déniché!

– D’ailleurs, il a, le surlendemain, payé cette lettre de change, grâce à certaine grande dame, dit-on.

– Oui, général… mais, c’est égal, je connaissais le nid, il s’était déjà une fois caché là… il pouvait bien s’y être caché une seconde… c’est ce que j’ai dit à mon ami l’agent de police. Celui-ci m’a proposé de lui donner un coup de main… en amateur… et de le conduire à la ferme… Je n’avais pas d’occupation… ça me faisait une partie de campagne… j’ai accepté.

– Eh bien! le vicomte?…

– Introuvable! Après avoir d’abord rôdé autour de la ferme et nous y être ensuite introduits, nous sommes revenus, Gros-Jean comme devant… c’est ce qui fait que je n’ai pas pu me rendre plus tôt à vos ordres, mon général.

– J’étais bien sûr qu’il y avait impossibilité de votre part, mon brave.

– Mais, sans indiscrétion, comment diable vous trouvez-vous ici?

– Des canailles, mon cher… une nuée de canailles, qui, pour une misère d’une soixantaine de mille francs dont ils se prétendent dépouillés, ont porté plainte contre moi en abus de confiance et me forcent de me défaire de ma charge…

– Vraiment! général? Ah! bien… en voilà un malheur! Comment, nous ne travaillerons plus pour vous?

– Je suis à la demi-solde, mon brave Bourdin… me voici sous la remise.

– Mais qui est-ce donc que ces acharnés-là?

– Figurez-vous qu’un des plus forcenés contre moi est un voleur libéré, qui m’avait donné à recouvrer le montant d’un billet de sept cents mauvais francs, pour lequel il fallait poursuivre. J’ai poursuivi, j’ai été payé, j’ai encaissé l’argent… et parce que, par suite d’opérations qui ne m’ont pas réussi, j’ai fricassé cette somme ainsi que beaucoup d’autres, toute cette canaille a tant piaillé qu’on a lancé contre moi un mandat d’amener, et que vous me voyez ici, mon brave, ni plus ni moins qu’un malfaiteur…

– Si ça ne fait pas suer, mon général… vous!

– Mon Dieu, oui; mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est que ce libéré m’a écrit, il y a quelques jours, que cet argent étant sa seule ressource pour les jours mauvais, et que ces jours mauvais étant arrivés… (je ne sais pas ce qu’il entend par là), j’étais responsable des crimes qu’il pourrait commettre pour échapper à la misère.

– C’est charmant, parole d’honneur!

– N’est-ce pas? rien de plus commode… le drôle est capable de dire cela pour son excuse… Heureusement la loi ne connaît pas ces complicités-là.

– Après tout, vous n’êtes prévenu que d’abus de confiance, n’est-ce pas, mon général?

– Certainement! est-ce que vous me prendriez pour un voleur, maître Bourdin?

– Ah! par exemple, général! Je voulais vous dire qu’il n’y avait rien de grave là-dedans; après tout, il n’y a pas de quoi fouetter un chat.

– Est-ce que j’ai l’air désespéré, mon brave?

– Pas du tout; je ne vous ai jamais trouvé meilleure mine. Au fait, si vous êtes condamné, vous en aurez pour deux ou trois mois de prison et vingt-cinq francs d’amende. Je connais mon code.

– Et ces deux ou trois mois de prison… j’obtiendrai, j’en suis sûr, de les passer bien à mon aise dans une maison de santé. J’ai un député dans ma manche.

– Oh! alors… votre affaire est sûre.

– Tenez, Bourdin, aussi je ne peux m’empêcher de rire; ces imbéciles qui m’ont fait mettre ici seront bien avancés, ils ne verront pas davantage un sou de l’argent qu’ils réclament. Ils me forcent de vendre ma charge, ça m’est égal, je suis censé la devoir à mon prédécesseur, comme vous dites. Vous voyez, c’est encore ces gogos-là qui seront les dindons de la farce, comme dit Robert-Macaire.

– Mais ça me fait cet effet-là, général; tant pis pour eux.

– Ah çà! mon brave, venons au sujet qui m’a fait vous prier de venir me voir: il s’agit d’une mission délicate, d’une affaire de femme, dit maître Boulard avec une fausseté mystérieuse.

– Ah! scélérat de général, je vous reconnais bien là! De quoi s’agit-il? Comptez, sur moi.

– Je m’intéresse particulièrement à une jeune artiste des Folies-Dramatiques; je paye son terme, et, en échange, elle me paie de retour, du moins je le crois; car, mon brave, vous le savez, souvent les absents ont tort. Or je tiendrais d’autant plus à savoir si j’ai tort qu’Alexandrine (elle s’appelle Alexandrine) m’a fait demander quelques fonds. Je n’ai jamais été chiche avec les femmes; mais, écoutez donc, je n’aime pas à être dindonné. Ainsi, avant de faire le libéral avec cette chère amie, je voudrais savoir si elle le mérite par sa fidélité. Je sais qu’il n’y a rien de plus rococo, de plus perruque, que la fidélité, mais c’est un faible que j’ai comme ça. Vous me rendriez donc un service d’ami, mon cher camarade, si vous pouviez pendant quelques jours surveiller mes amours et me mettre à même de savoir à quoi m’en tenir, soit en faisant jaser la portière d’Alexandrine, soit…

– Suffit, mon général, répondit Bourdin en interrompant l’huissier; ceci n’est pas plus malin que de surveiller, épier et dépister un débiteur. Reposez-vous sur moi; je saurai si Mlle Alexandrine donne des coups de canif dans le contrat, ce qui ne me paraît guère probable; car, sans vous commander, mon général, vous êtes trop bel homme et trop généreux pour qu’on ne vous adore pas.

– J’ai beau être bel homme, je suis absent, mon cher camarade, et c’est un grand tort; enfin je compte sur vous pour savoir la vérité.

– Vous la saurez, je vous en réponds.

– Ah! mon cher camarade, comment vous exprimer ma reconnaissance?

– Allons donc, mon général!

– Il est bien entendu, mon brave Bourdin, que dans cette circonstance-là vos honoraires seront ce qu’ils seraient pour une prise de corps.

– Mon général, je ne le souffrirai pas: tant que j’ai exercé sous vos ordres, ne m’avez-vous pas toujours laissé tondre le débiteur jusqu’au vif, doubler, tripler les frais d’arrestation, frais dont vous poursuiviez ensuite le paiement avec autant d’activité que s’ils vous eussent été dus à vous-même?

– Mais, mon cher camarade, ceci est différent, et à mon tour je ne souffrirai pas…