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Parlons du frère de Jeanne Duport.

Ce réclusionnaire libéré sort d’un antre de corruption pour rentrer dans le monde; il a subi sa peine, payé sa dette par l’expiation.

Quelles précautions la société a-t-elle prises pour l’empêcher de retomber dans le crime?

Aucune…

Lui a-t-on avec une charitable prévoyance, rendu possible le retour au bien, afin de pouvoir sévir, ainsi que l’on sévit d’une manière terrible, s’il se montre incorrigible?

Non…

La perversité contagieuse de vos geôles est tellement connue, est si justement redoutée, que celui qui en sort est partout un sujet de mépris, d’aversion et d’épouvante: serait-il vingt fois homme de bien, il ne trouvera presque nulle part de l’occupation.

De plus, votre surveillance flétrissante l’exile dans de petites localités où ses antécédents doivent être immédiatement connus, et où il n’aura aucun moyen d’exercer les industries exceptionnelles souvent imposées aux détenus par les fermiers de travail des maisons centrales.

Si le libéré a eu le courage de résister aux tentations mauvaises, il se livrera donc à l’un de ces métiers homicides dont nous avons parlé, à la préparation de certains produits chimiques dont l’influence mortelle décime ceux qui exercent ces funestes professions [16], ou bien encore, s’il en a la force, il ira extraire du grès dans la forêt de Fontainebleau, métier auquel on résiste, terme moyen, six ans!!!

La condition d’un libéré est donc beaucoup plus fâcheuse, plus pénible, plus difficile qu’elle ne l’était avant sa première faute: il marche entouré d’entraves, d’écueils; il lui faut braver la répulsion, les dédains, souvent même la plus profonde misère…

Et s’il succombe à toutes ces chances, effrayantes de criminalité, et s’il commet un second crime, vous vous montrez mille fois plus sévères envers lui que pour sa première faute…

Cela est injuste… car c’est presque toujours la nécessité que vous lui faites qui le conduit à un second crime.

Oui, car il est démontré qu’au lieu de corriger, votre système pénitentiaire déprave.

Au lieu d’améliorer, il empire…

Au lieu de guérir de légères affections morales, il les rend incurables.

Votre aggravation de peine, impitoyablement appliquée à la récidive, est donc inique, barbare, puisque cette récidive est, pour ainsi dire, une conséquence forcée de vos institutions pénales.

Le terrible châtiment qui frappe les récidivistes serait juste et logique, si vos prisons moralisaient, épuraient les détenus, et si à l’expiration de leur peine une bonne conduite leur était, sinon facile, du moins généralement possible…

Si l’on s’étonne de ces contradictions de la loi, que sera-ce donc lorsque l’on comparera certains délits à certains crimes, soit à cause de leurs suites inévitables, soit à cause des disproportions exorbitantes qui existent entre les punitions dont ils sont atteints?

L’entretien du prisonnier que venait visiter le recors nous offrira un de ces affligeants contrastes.

III Maître Boulard

Le détenu qui entra dans le parloir au moment où Pique-Vinaigre en sortait était un homme de trente ans environ, aux cheveux d’un blond ardent, à la figure joviale, pleine et rubiconde; sa taille moyenne rendait plus remarquable encore son énorme embonpoint. Ce prisonnier, si vermeil et si obèse, s’enveloppait dans une longue et chaude redingote de molleton gris, pareille à son pantalon à pieds; une sorte de casquette chaperon en velours rouge, dite à la Périnet-Leclerc, complétait le costume de ce personnage, qui portait d’excellentes pantoufles fourrées. Quoique la mode des breloques fût passée depuis longtemps, la chaîne d’or de sa montre soutenait bon nombre de cachets montés en pierres fines; enfin plusieurs bagues enrichies d’assez belles pierreries brillaient aux grosses mains rouges de ce détenu nommé maître Boulard, huissier prévenu d’abus de confiance.

Son interlocuteur était, nous l’avons dit, Pierre Bourdin, l’un des gardes du commerce chargés d’opérer l’arrestation de Morel le lapidaire. Ce recors était ordinairement employé par maître Boulard, huissier de M. Petit-Jean, prête-nom de Jacques Ferrand.

Bourdin, plus petit et aussi replet que l’huissier, se modelait selon ses moyens sur son patron, dont il admirait la magnificence. Affectionnant comme lui les bijoux, il portait ce jour-là une superbe épingle de topaze, et un long jaseron d’or serpentait, paraissait et disparaissait entre les boutonnières de son gilet.

– Bonjour, fidèle Bourdin, j’étais bien sûr que vous ne manqueriez pas à l’appel, dit joyeusement maître Boulard d’une petite voix grêle qui contrastait singulièrement avec son gros corps et sa large figure fleurie.

– Manquer à l’appel! répondit le recors; j’en étais incapable, mon général.

C’est ainsi que Bourdin, par une plaisanterie à la fois familière et respectueuse, appelait l’huissier sous les ordres duquel il instrumentait, cette locution militaire étant d’ailleurs assez souvent usitée parmi certaines classes d’employés et de praticiens civils.

– Je vois avec plaisir que l’amitié reste fidèle à l’infortune, dit maître Boulard avec une gaieté cordiale; pourtant je commençais à m’inquiéter, voilà trois jours que je vous avais écrit, et pas de Bourdin…

– Figurez-vous, mon général, que c’est toute une histoire. Vous vous rappelez bien ce beau vicomte de la rue de Chaillot?

– Saint-Remy?

– Justement! Vous savez comme il se moquait de nos prises de corps?

– Il en était indécent…

– À qui le dites-vous? Nous deux Malicorne nous en étions comme abrutis, si c’est possible.

– C’est impossible, brave Bourdin.

– Heureusement, mon général; mais voici le fait: ce beau vicomte a monté en titre.

– Il est devenu comte?

– Non! d’escroc il est devenu voleur.

– Ah! bah!

– On est à ses trousses pour des diamants qu’il a effarouchés. Et, par parenthèse, ils appartenaient au joaillier qui employait cette vermine de Morel, le lapidaire, que nous allions pincer rue du Temple, lorsqu’un grand mince à moustaches noires a payé pour ce meurt-de-faim, et a manqué de nous jeter du haut en bas des escaliers, nous deux Malicorne.

– Ah! oui, je me souviens… vous m’avez raconté cela, mon pauvre Bourdin… c’était fort drôle. Le meilleur de la farce a été que la portière de la maison vous a vidé sur le dos une écuelle de soupe bouillante.

– Y compris l’écuelle, général, qui a éclaté comme une bombe à nos pieds. Vieille sorcière!