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«Je suivis Mme Séraphin; M. Ferrand était dans son cabinet. En le voyant, je frissonnai malgré moi; pourtant il avait l’air moins méchant que d’habitude; il me regarda longtemps fixement, comme s’il eût voulu lire au fond de ma pensée. Je baissai les yeux. «Vous paraissez très-souffrante? me dit-il. – Oui, monsieur, lui répondis-je, très-étonnée de ce qu’il ne me tutoyait pas comme d’habitude. – C’est tout simple, ajouta-t-il, c’est la suite de votre état et des efforts que vous avez faits pour le dissimuler; mais malgré vos mensonges, votre mauvaise conduite et votre indiscrétion d’hier, reprit-il d’un ton plus doux, j’ai pitié de vous; dans quelques jours il vous serait impossible de cacher votre grossesse. Quoique je vous aie traitée comme vous le méritez devant le curé de la paroisse, un tel événement aux yeux du public serait la honte d’une maison comme la mienne; de plus, votre famille serait au désespoir… Je consens, dans cette circonstance, à venir à votre secours. – Ah! monsieur, m’écriai-je, ces mots de bonté de votre part me font tout oublier. – Oublier quoi? me demanda-t-il durement. – Rien, rien… pardon monsieur, repris-je, de crainte de l’irriter et le croyant dans de meilleures dispositions, à mon égard. – Écoutez-moi donc reprit-il; vous irez voir votre père aujourd’hui; vous lui annoncerez que je vous envoie deux ou trois mois à la campagne pour garder une maison que je viens d’acheter; pendant votre absence je lui ferai parvenir vos gages. Demain vous quitterez Paris; je vous donnerai une lettre de recommandation pour Mme Martial, mère d’une honnête famille de pêcheurs qui demeure près d’Asnières. Vous aurez soin de dire que vous venez de province sans vous expliquer davantage. Vous saurez plus tard le but de cette recommandation, toute dans votre intérêt. La mère Martial vous traitera comme son enfant; un médecin de mes amis, le docteur Vincent, ira vous donner les soins que nécessite votre position… Vous voyez combien je suis bon pour vous!»

– Quelle horrible trame! s’écria Rodolphe. Je comprends tout maintenant. Croyant que la veille vous aviez surpris un secret terrible pour lui, il voulait se défaire de vous. Il avait probablement un intérêt à tromper son complice en vous désignant à lui comme une femme de province. Quelle dut être votre frayeur à cette proposition!

– Cela me porta un coup violent; j’en fus bouleversée. Je ne pouvais répondre; je regardais M. Ferrand avec effroi, ma tête s’égarait. J’allais peut-être risquer ma vie en lui disant que le matin j’avais entendu ses projets lorsque heureusement je me rappelai les nouveaux dangers auxquels cet aveu m’exposerait. «- Vous ne me comprenez donc pas? me demanda-t-il avec impatience. – Si… monsieur… Mais, lui dis-je en tremblant, je préférerais ne pas aller à la campagne. – Pourquoi cela? Vous serez parfaitement traitée là où je vous envoie. – Non! Non! je n’irai pas; j’aime mieux rester à Paris, ne pas m’éloigner de ma famille; j’aime mieux tout lui avouer, mourir de honte s’il le faut. – Tu me refuses? dit M. Ferrand, contenant encore sa colère et me regardant avec attention. Pourquoi as-tu si brusquement changé d’avis? Tu acceptais tout à l’heure…» Je vis que, s’il me devinait, j’étais perdue; je lui répondis que je ne croyais pas qu’il fût question de quitter Paris, ma famille. «- Mais tu la déshonores, ta famille, misérable! s’écria-t-il; et, ne se possédant plus, il me saisit par le bras et me poussa si violemment qu’il me fit tomber. Je te donne jusqu’à après-demain! s’écria-t-il, demain tu sortiras d’ici pour aller chez les Martial ou pour aller apprendre à ton père que je t’ai chassée, et qu’il ira le jour même en prison.»

«Je restai seule, étendue par terre; je n’avais pas la force de me relever. Mme Séraphin était accourue en entendant son maître élever la voix; avec son aide, et faiblissant à chaque pas, je pus regagner ma chambre. En rentrant je me jetai sur mon, lit; j’y restai jusqu’à la nuit; tant de secousses m’avaient porté un coup terrible! Aux douleurs atroces qui me surprirent vers une heure du matin, je sentis que j’allais mettre au monde ce malheureux enfant bien avant terme.

– Pourquoi n’avez-vous pas appelé à votre secours?

– Oh! je n’ai pas osé. M. Ferrand voulait se défaire de moi; il aurait, bien sûr, envoyé chercher le docteur Vincent, qui m’aurait tuée chez mon maître, au lieu de me tuer chez les Martial… ou bien M. Ferrand m’aurait étouffée pour dire ensuite que j’étais morte en couches. Hélas! monsieur, ces terreurs étaient peut-être folles… mais dans ce moment elles m’ont assaillie, c’est ce qui a causé mon malheur; sans cela j’aurais bravé la honte, et je ne serais pas accusée d’avoir tué mon enfant. Au lieu d’appeler du secours, et de peur qu’on n’entendît mes souffrances horribles… seule au milieu de l’obscurité, je donnai le jour à cette malheureuse créature dont la mort fut sans doute causée par cette délivrance prématurée… car je ne l’ai pas tuée, mon Dieu… je ne l’ai pas tuée… oh! non! au milieu de cette nuit j’ai eu un moment de joie amère, c’est quand j’ai pressé mon enfant dans mes bras…

Et la voix de Louise s’éteignit dans les sanglots.

Morel avait écouté le récit de sa fille avec une apathie, une indifférence morne qui effrayèrent Rodolphe.

Pourtant, la voyant fondre en larmes, le lapidaire, qui, toujours accoudé sur son établi, tenait ses deux mains collées à ses tempes, regarda Louise fixement et dit:

– Elle pleure… elle pleure… pourquoi donc qu’elle pleure? Puis il reprit après un moment d’hésitation: Ah! oui… je sais, je sais… le notaire… Continue, ma pauvre Louise… tu es ma fille… je t’aime toujours… tout à l’heure… je ne te reconnaissais plus… mes larmes étaient comme obscures. Oh! mon Dieu! mon Dieu, ma tête… elle me fait bien du mal.

– Vous voyez que je ne suis pas coupable, n’est-ce pas, mon père?

– Oui… oui…

– C’est un grand malheur… mais j’avais si peur du notaire!

– Le notaire!… Oh! je te crois… il est si méchant, si méchant!…

– Vous me pardonnez maintenant?

– Oui…

– Bien vrai?

– Oui… bien vrai… Oh! je t’aime toujours… va… quoique… je ne puisse… pas dire… vois-tu… parce que… Oh! ma tête… ma tête…

Louise regarda Rodolphe avec frayeur.

– Il souffre, laissez-le un peu se calmer. Continuez.

Louise reprit, après avoir deux ou trois fois regardé Morel avec inquiétude:

– Je serrais mon enfant contre moi… j’étais étonnée de ne pas l’entendre respirer; mais je me disais: «La respiration d’un si petit enfant… ça s’entend à peine…» et puis aussi il me semblait bien froid… Je ne pouvais me procurer de lumière, on ne m’en laissait jamais… J’attendis qu’il fît clair, tâchant de le réchauffer comme je le pouvais; mais il me semblait de plus en plus glacé. Je me disais encore: «Il gèle si fort, que c’est le froid qui l’engourdit ainsi.»

«Au point du jour, j’approchai mon enfant de ma fenêtre… je le regardai… il était roide… glacé… Je collai ma bouche à sa bouche pour sentir son souffle… je mis ma main sur son cœur… il ne battait pas… il était mort!…

Et Louise fondit en larmes.