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– Des garanties! s’écria M. d’Harville de plus en plus exalté par un bonheur si peu prévu, des garanties! En ai-je besoin? Votre regard, votre accent, cette divine expression de bonté qui vous embellit encore, les battements, les ravissements de mon cœur, tout cela ne me prouve-t-il pas que vous dites vrai? Mais vous le savez, Clémence, l’homme est insatiable dans ses vœux, ajouta le marquis en se rapprochant du fauteuil de sa femme. Vos nobles et touchantes paroles me donnent le courage, l’audace d’espérer… d’espérer le ciel, oui, d’espérer ce qu’hier encore je regardais comme un rêve insensé!…

– Expliquez-vous, de grâce!… dit Clémence un peu inquiète de ces paroles passionnées de son mari.

– Eh bien! oui…, s’écria-t-il en saisissant la main de sa femme, oui, à force de tendresse, de soins, d’amour… entendez-vous, Clémence?… à force d’amour… j’espère me faire aimer de vous!… Non d’une affection pâle et tiède… mais d’une affection ardente, comme la mienne… Oh! vous ne la connaissez pas, cette passion!… Est-ce que j’osais vous en parler seulement?… Vous vous montriez toujours si glaciale envers moi… jamais un mot de bonté… jamais une de ces paroles… qui tout à l’heure m’ont fait pleurer… qui maintenant me rendent ivre de bonheur… Et ce bonheur, je le mérite… je vous ai toujours tant aimée! Et j’ai tant souffert… sans vous le dire! Ce chagrin qui me dévorait… c’était cela!… Oui, mon horreur du monde… mon caractère sombre, taciturne, c’était cela… Figurez-vous donc aussi… avoir dans sa maison une femme adorable et adorée, qui est la vôtre; une femme que l’on désire avec tous les emportements d’un amour contraint… et être à jamais condamné par elle à de solitaires et brûlantes insomnies… Oh non, vous ne savez pas mes larmes de désespoir, mes fureurs insensées! Je vous assure que cela vous eût touchée… Mais, que dis-je? Cela vous a touchée… vous avez deviné mes tortures, n’est-ce pas?… Vous en aurez pitié… La vue de votre ineffable beauté, de vos grâces enchanteresses, ne sera plus mon bonheur et mon supplice de chaque jour… Oui, ce trésor que je regarde comme mon bien le plus précieux… ce trésor qui m’appartient et que je ne possédais pas… ce trésor sera bientôt à moi… Oui, mon cœur, ma joie, mon ivresse, tout me le dit… n’est-ce pas, mon amie… ma tendre amie?

En disant ces mots, M. d’Harville couvrit la main de sa femme de baisers passionnés.

Clémence, désolée de la méprise de son mari, ne put s’empêcher, dans un premier mouvement de répugnance, presque d’effroi, de retirer brusquement sa main.

Sa physionomie exprima trop clairement ses ressentiments pour que M. d’Harville pût s’y tromper.

Ce coup fut pour lui terrible.

Ses traits prirent alors une expression déchirante: Mme d’Harville lui tendit vivement la main et s’écria:

– Albert, je vous le jure, je serai pour vous la plus dévouée des amies, la plus tendre des sœurs… mais rien de plus… Pardon, pardon… si malgré moi mes paroles vous ont donné des espérances que je ne puis jamais réaliser!

– Jamais?… s’écria M. d’Harville en attachant sur sa femme un regard suppliant, désespéré.

– Jamais!… répondit Clémence.

Ce seul mot, l’accent de la jeune femme, révélaient une résolution irrévocable.

Clémence, ramenée à de nobles résolutions par l’influence de Rodolphe, était fermement décidée à entourer M. d’Harville des soins les plus touchants; mais elle se sentait incapable d’éprouver jamais de l’amour pour lui.

Une impression plus inexorable encore que l’effroi, que le mépris, que la haine, éloignait pour toujours Clémence de son mari…

C’était une répugnance… invincible.

Après un moment de douloureux silence, M. d’Harville passa la main sur ses yeux humides et dit à sa femme, avec une amertume navrante:

– Pardon… de m’être trompé… pardon de m’être ainsi abandonné à une espérance insensée…

Puis, après un nouveau silence, il s’écria:

– Ah! je suis bien malheureux!…

– Mon ami, lui dit doucement Clémence, je ne voudrais pas vous faire de reproches; pourtant… comptez-vous donc pour rien ma promesse d’être pour vous la plus tendre des sœurs? Vous devrez à l’amitié dévouée des soins que l’amour ne pourrait vous donner… Espérez… espérez des jours meilleurs… Jusqu’ici vous m’avez trouvée presque indifférente à vos chagrins; vous verrez combien j’y saurai compatir, et quelles consolations vous trouverez dans mon affection.

Un valet de chambre entra et dit à Clémence:

– Son Altesse monseigneur le grand-duc de Gerolstein fait demander à Mme la marquise si elle peut le recevoir.

Clémence interrogea son mari du regard.

M. d’Harville, reprenant son sang-froid, dit à sa femme:

– Mais sans doute.

Le valet de chambre sortit.

– Pardon, mon ami, reprit Clémence, mais je n’avais pas défendu ma porte… il y a d’ailleurs longtemps que vous n’avez vu le prince; il sera heureux de vous trouver ici.

– J’aurai aussi beaucoup de plaisir à le voir, dit M. d’Harville. Pourtant, je vous l’avoue, en ce moment, je suis si troublé que j’aurais préféré recevoir sa visite un autre jour…

– Je le comprends… Mais que faire?… Le voici…

Au même instant on annonçait Rodolphe.

– Je suis mille fois heureux, madame, d’avoir l’honneur de vous rencontrer, dit Rodolphe; et je m’applaudis doublement de ma bonne fortune, puisqu’elle me procure aussi le plaisir de vous voir, mon cher Albert, ajouta-t-il en se retournant vers le marquis, dont il serra cordialement la main.

– Il y a en effet, bien longtemps, monseigneur, que je n’ai eu l’honneur de vous présenter mes hommages.

– Et à qui la faute, monsieur l’invisible? La dernière fois que je suis venu faire ma cour à Mme d’Harville, je vous ai demandé, vous étiez absent. Voilà plus de trois semaines que vous m’oubliez; c’est très-mal…

– Soyez sans pitié, monseigneur, dit Clémence en souriant; M. d’Harville est d’autant plus coupable qu’il a pour Votre Altesse le dévouement le plus profond, et qu’il pourrait en faire douter par sa négligence.

– Eh bien! voyez ma vanité, madame; quoi que puisse faire d’Harville, il me sera toujours impossible de douter de son affection mais je ne devrais pas dire cela… je vais l’encourager dans ses semblants d’indifférence.

– Croyez, monseigneur, que quelques circonstances imprévues m’ont seules empêché de profiter plus souvent de vos bontés pour moi…

– Entre nous, mon cher Albert, je vous crois un peu trop platonique en amitié; bien certain qu’on vous aime, vous ne tenez pas beaucoup à donner ou à recevoir des preuves d’attachement.

Par un manque d’étiquette dont Mme d’Harville ressentit une légère contrariété, un valet de chambre entra, apportant une lettre au marquis.