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Le premier clerc frappa à la porte.

– Qu’est-ce? demanda M. Ferrand.

– Mme la comtesse Mac-Gregor.

– Faites attendre un moment…

– Je vous laisse donc, mon cher monsieur Ferrand, dit Mme d’Orbigny, vous écrirez à mon mari… puisqu’il le désire, et il vous enverra ses pleins pouvoirs demain…

– J’écrirai…

– Adieu, mon digne et bon conseil.

– Ah! vous ne savez pas, vous autres gens du monde, combien il est désagréable de se charger de pareils dépôts… la responsabilité qui pèse sur nous. Je vous dis qu’il n’y a rien de plus détestable que cette belle réputation de probité, qui ne vous attire que des corvées!

– Et l’admiration des gens de bien!

– Dieu merci! je place ailleurs qu’ici-bas la récompense que j’ambitionne! dit M. Ferrand d’un ton béat.

À Mme d’Orbigny succéda Sarah Mac-Gregor.

XVII La comtesse Mac-Gregor

Sarah entra dans le cabinet du notaire avec son sang-froid et son assurance habituels. Jacques Ferrand ne la connaissait pas, il ignorait le but de sa visite; il s’observa plus encore que de coutume, dans l’espoir de faire une nouvelle dupe… Il regarda très-attentivement la comtesse et, malgré l’impassibilité de cette femme au front de marbre, il remarqua un léger tressaillement des sourcils, qui lui parut trahir un embarras contraint.

Le notaire se leva de son fauteuil, avança une chaise, la montra du geste à Sarah et lui dit:

– Vous m’avez demandé, madame, un rendez-vous pour aujourd’hui; j’ai été très-occupé hier, je n’ai pu vous répondre que ce matin; je vous en fais mille excuses.

– Je désirais vous voir, monsieur… pour une affaire de la plus haute importance… Votre réputation de probité, de bonté, d’obligeance, m’a fait espérer le succès de la démarche que je tente auprès de vous…

Le notaire s’inclina légèrement sur sa chaise.

– Je sais, monsieur, que votre discrétion est à toute épreuve…

– C’est mon devoir, madame.

– Vous êtes, monsieur, un homme rigide et incorruptible.

– Oui, madame.

– Pourtant, si l’on vous disait: «Monsieur, il dépend de vous de rendre la vie… plus que la vie… la raison, à une malheureuse mère», auriez-vous le courage de refuser?

– Précisez des faits, madame, je répondrai.

– Il y a quatorze ans environ, à la fin du mois de décembre 1824, un homme, jeune encore, vêtu de deuil… est venu vous proposer de prendre en viager la somme de cent cinquante mille francs, que l’on voulait placer à fonds perdus sur la tête d’une enfant de trois ans dont les parents désiraient rester inconnus.

– Ensuite, madame? dit le notaire, s’épargnant ainsi de répondre affirmativement.

– Vous avez consenti à vous charger de ce placement, et de faire assurer à cette enfant une rente viagère de huit mille francs; la moitié de ce revenu devait être capitalisée à son profit jusqu’à sa majorité; l’autre moitié devait être payée par vous à la personne qui prenait soin de cette petite fille?

– Ensuite, madame?

– Au bout de deux ans, dit Sarah sans pouvoir vaincre une légère émotion, le 28 novembre 1827, cette enfant est morte.

– Avant de continuer cet entretien, madame, je vous demanderai quel intérêt vous portez à cette affaire.

– La mère de cette petite fille est… ma sœur, monsieur [39]. J’ai là, pour preuve de ce que j’avance, l’acte de décès de cette pauvre petite, les lettres de la personne qui a pris soin d’elle, l’obligation d’un de vos clients, chez lequel vous aviez placé les cinquante mille écus.

– Voyons ces papiers, madame.

Assez étonnée de ne pas être crue sur parole, Sarah tira d’un portefeuille plusieurs papiers, que le notaire examina soigneusement.

– Eh bien! madame, que désirez-vous? L’acte de décès est parfaitement en règle, et les cinquante mille écus ont été acquis à M. Petit-Jean, mon client, par la mort de l’enfant; c’est une des chances des placements viagers, je l’ai fait observer à la personne qui m’a chargé de cette affaire. Quant aux revenus, ils ont été exactement payés par moi jusqu’à la mort de l’enfant.

– Rien de plus loyal que votre conduite en tout ceci, monsieur, je me plais à le reconnaître. La femme à qui l’enfant a été confiée a eu aussi des droits à notre gratitude, elle a eu les plus grands soins de ma pauvre petite nièce.

– Cela est vrai, madame; j’ai même été si satisfait de la conduite de cette femme que, la voyant sans place après la mort de cette enfant, je l’ai prise à mon service, et depuis ce temps elle y est encore.

– Mme Séraphin est à votre service, monsieur?

– Depuis quatorze ans, comme femme de charge. Et je n’ai qu’à me louer d’elle.

– Puisqu’il en est ainsi, monsieur, elle pourrait nous être d’un grand secours si… vous… vouliez bien accueillir une demande qui vous paraîtra étrange, peut-être même… coupable au premier abord; mais quand vous saurez dans quelle intention…

– Une demande coupable, madame! Je ne vous crois pas plus capable de la faire que moi de l’écouter.

– Je sais, monsieur, que vous êtes la dernière personne à qui on devrait adresser une pareille requête; mais je mets tout mon espoir… mon seul espoir, dans votre pitié. En tout cas, je puis compter sur votre discrétion?

– Oui, madame.

– Je continue donc. La mort de cette pauvre petite fille a jeté sa mère dans une désolation telle que sa douleur est aussi vive aujourd’hui qu’il y a quatorze ans, et qu’après avoir craint pour sa vie, aujourd’hui nous craignons pour sa raison.

– Pauvre mère! dit M. Ferrand avec un soupir.

– Oh! oui, bien malheureuse mère, monsieur; car elle ne pouvait que rougir de la naissance de sa fille à l’époque où elle l’a perdue, tandis qu’à cette heure les circonstances sont telles que ma sœur, si son enfant vivait encore, pourrait la légitimer, s’en enorgueillir, ne plus jamais la quitter. Aussi, ce regret incessant venant se joindre à ses autres chagrins, nous craignons à chaque instant de voir sa raison s’égarer.

– Il n’y a malheureusement rien à faire à cela.

– Si, monsieur.

– Comment, madame?

– Supposez qu’on vienne dire à la pauvre mère: «On a cru votre fille morte, elle ne l’est pas; la femme qui a pris soin d’elle étant toute petite pourrait l’affirmer.»