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Ce billet fut mis à la poste sur les cinq heures par Sarah, le jour de son entretien avec le notaire.

Ce même jour, après avoir recommandé à M. de Graün de hâter le plus possible l’arrivée de Cecily à Paris, Rodolphe sortit le soir pour aller faire une visite à Mme l’ambassadrice de ***; il devait ensuite se rendre chez Mme d’Harville pour lui annoncer qu’il avait trouvé une intrigue charitable digne d’elle.

Nous conduirons le lecteur chez Mme d’Harville. On verra, par l’entretien suivant, que cette jeune femme, en se montrant généreuse et compatissante envers son mari, qu’elle avait jusqu’alors traité avec une froideur extrême, suivait déjà les nobles conseils de Rodolphe.

Le marquis et sa femme sortaient de table; la scène se passait dans le petit salon dont nous avons parlé, l’expression des traits de Clémence était affectueuse et douce, M. d’Harville semblait moins triste que d’habitude.

Hâtons-nous de dire que le marquis n’avait pas encore reçu la nouvelle et infâme lettre anonyme de Sarah.

– Que faites-vous ce soir? dit-il machinalement à sa femme.

– Je ne sortirai pas… Et vous-même, que faites-vous?

– Je ne sais…, répondit-il avec un soupir; le monde m’est insupportable… je passerai cette soirée… comme tant d’autres soirées… seul.

– Pourquoi seul?… puisque je ne sors pas.

M. d’Harville regarda sa femme avec surprise.

– Sans doute… mais…

– Eh bien?

– Je sais que vous préférez souvent la solitude lorsque vous n’allez pas dans le monde…

– Oui, mais comme je suis très-capricieuse, dit Clémence en souriant, aujourd’hui j’aimerais beaucoup à partager ma solitude avec vous… si cela vous était agréable.

– Vraiment? s’écria M. d’Harville avec émotion. Que vous êtes aimable, d’aller ainsi au-devant d’un désir que je n’osais vous témoigner!

– Savez-vous, mon ami, que votre étonnement a presque l’air d’un reproche?

– Un reproche…? Oh! non, non; mais après mes injustes et cruels soupçons de l’autre jour, vous trouver si bienveillante, c’est, je l’avoue, une surprise pour moi, mais la plus douce des surprises.

– Oublions le passé, dit-elle à son mari avec un sourire d’une douceur angélique.

– Clémence, le pourrez-vous jamais! répondit-il tristement, n’ai-je pas osé vous soupçonner?… Vous dire à quelles extrémités m’aurait poussé une aveugle jalousie… mais qu’est-ce que cela, auprès d’autres torts plus grands, plus irréparables?

– Oublions le passé, vous dis-je, reprit Clémence en contenant une émotion pénible.

– Qu’entends-je?… Ce passé-là aussi, vous pourriez l’oublier?…

– Je l’espère…

– Il serait vrai! Clémence… vous seriez assez généreuse! Mais non, non, je ne puis croire à un pareil bonheur; j’y avais renoncé pour toujours.

– Vous aviez tort, vous le voyez.

– Quel changement, mon Dieu! Est-ce un rêve?… Oh dites-moi que je ne me trompe pas…

– Non… vous ne vous trompez pas…

– En effet, votre regard est moins froid… votre voix presque émue.

– Oh! dites! est-ce donc bien vrai?… Ne suis-je pas le jouet d’une illusion?

– Non… car moi aussi j’ai besoin de pardon…

– Vous?

– Souvent! N’ai-je pas été à votre égard dure, peut-être même cruelle? Ne devais-je pas songer qu’il vous aurait fallu un rare courage, une vertu plus qu’humaine, pour agir autrement que vous ne l’avez fait? Isolé, malheureux… comment résister au désir de chercher quelques consolations dans un mariage qui vous plaisait?… Hélas! quand on souffre, on est si disposé à croire à la générosité des autres… Votre tort a été jusqu’ici de compter sur la mienne… Eh bien! désormais, je tâcherai de vous donner raison.

– Oh! parlez… parlez encore, dit M. d’Harville les mains jointes, dans une sorte d’extase.

– Nos exigences sont à jamais liées l’une à l’autre… Je ferai tous mes efforts pour vous rendre la vie moins amère.

– Mon Dieu!… Mon Dieu!… Clémence, est-ce vous que j’entends?…

– Je vous en prie, ne vous étonnez pas ainsi… Cela me fait mal… c’est une censure amère de ma conduite passée… Qui donc vous plaindrait, qui donc vous tendrait une main amie et secourable… si ce n’est moi?… Une bonne inspiration m’est venue… J’ai réfléchi, bien réfléchi, sur le passé, sur l’avenir. J’ai reconnu mes torts, et j’ai trouvé, je crois, le moyen de les réparer…

– Vos torts, pauvre femme?

– Oui, je devais le lendemain de mon mariage en appeler à votre loyauté, et vous demander franchement de nous séparer…

– Ah! Clémence!… pitié!… pitié!…

– Sinon, puisque j’acceptais ma position, il me fallait l’agrandir par le dévouement, au lieu d’être pour vous un reproche incessant par ma froideur hautaine et silencieuse. Je devais tâcher de vous consoler d’un effroyable malheur, ne me souvenir que de votre infortune. Peu à peu je me serais attachée à mon œuvre de commisération; en raison même des soins, peut-être des sacrifices qu’elle m’eût coûtés, votre reconnaissance m’eût récompensée, et alors… Mais, mon Dieu! qu’avez-vous?… Vous pleurez!

– Oui, je pleure, je pleure avec délices: vous ne savez pas tout ce que vos paroles remuent en mois d’émotions nouvelles… Oh! Clémence! laissez-moi pleurer!… Jamais plus qu’en ce moment je n’ai compris à quel point j’ai été coupable en vous enchaînant à ma triste vie!

– Et jamais, moi, je ne me suis sentie plus décidée au pardon. Ces douces larmes que vous versez me font connaître un bonheur que j’ignorais. Courage donc, mon ami! courage! À défaut d’une vie radieuse et fortunée, cherchons notre satisfaction dans l’accomplissement des devoirs sérieux que le sort nous impose. Soyons-nous indulgents l’un à l’autre; si nous faiblissons, regardons le berceau de notre fille, concentrons sur elle toutes nos affections, et nous aurons encore quelques joies mélancoliques et saintes.

– Un ange… c’est un ange!… s’écria M. d’Harville en joignant les mains et en contemplant sa femme avec une admiration passionnée. Oh! vous ne savez pas le bien et le mal que vous me faites, Clémence! Vous ne savez pas que vos plus dures paroles d’autrefois, que vos reproches les plus amers, hélas! les plus mérités, ne m’ont jamais autant accablé que cette mansuétude adorable, que cette résignation généreuse… Et pourtant, malgré moi, vous me faites renaître à l’espérance. Vous ne savez pas l’avenir que j’ose entrevoir…

– Et vous pouvez avoir une foi aveugle et entière dans ce que je vous dis, Albert. Cette résolution, je la prends fermement; je n’y manquerai jamais, je vous le jure. Plus tard même je pourrai vous donner de nouvelles garanties de ma parole…