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– À la bonne heure, mais que le tonnerre l’emporte!… quelle chenille! quelle chenille!… Puis, s’adressant à voix basse à Morel: C’est convenu, nous vous attendons au quatrième… faites votre frime, et dépêchons.

– Je vous remercie, dit Morel.

– Eh bien! à la bonne heure, reprit Bourdin à voix haute, en regardant l’artisan d’un air d’intelligence, puisque c’est comme ça et que vous nous promettez de payer, nous vous laissons; nous reviendrons dans cinq ou six jours… Mais alors soyez exact!

– Oui, messieurs, j’espère alors pouvoir payer, répondit Morel.

Les recors sortirent.

Tortillard, de peur d’être surpris, avait disparu dans l’escalier au moment où les gardes du commerce sortaient de la mansarde.

– Madame Morel, entendez-vous? dit Rigolette en s’adressant à la femme du lapidaire pour l’arracher à sa lugubre contemplation, on laisse votre mari tranquille; ces deux hommes sont sortis.

– Maman, entends-tu? on n’emmène pas mon père, reprit l’aîné des garçons.

– Morel! écoute, écoute… Prends un des gros diamants, on ne le saura pas, et nous sommes sauvés, murmura Madeleine tout à fait en délire. Notre petite Adèle n’aura plus froid, elle ne sera plus morte…

Profitant d’un instant où aucun des siens ne le regardait, le lapidaire sortit avec précaution.

Le garde du commerce l’attendait en dehors, sur une espèce de petit palier aussi plafonné par le toit.

Sur ce palier s’ouvrait la porte d’un grenier qui prolongeait en partie la mansarde des Morel et dans lequel M. Pipelet serrait ses provisions de cuir. En outre (nous l’avons dit), le digne portier appelait ce réduit sa «loge de mélodrame», parce qu’au moyen d’un trou pratiqué à la cloison, entre deux lattes, il allait quelquefois assister aux tristes scènes qui se passaient chez les Morel.

Le recors remarqua la porte du grenier: un instant il pensa que peut-être son prisonnier avait compté sur cette issue pour fuir ou pour se cacher.

– Allons! en route, mauvaise troupe! dit-il en mettant le pied sur la première marche de l’escalier, et il fit signe au lapidaire de le suivre.

– Une minute encore, par grâce! dit Morel.

Il se mit à genoux sur le carreau; à travers une des fentes de la porte, il jeta un dernier regard sur sa famille, joignit les mains et dit tout bas d’une voix déchirante en pleurant à chaudes larmes:

– Adieu, mes pauvres enfants… adieu! ma pauvre femme… adieu!

– Ah çà! finirez-vous vos antiennes? dit brutalement Bourdin. Malicorne a bien raison, quelle chenille! quelle chenille!

Morel se releva; il allait suivre le recors, lorsque ces mots retentirent dans l’escalier:

– Mon père! Mon père!

– Louise! s’écria le lapidaire en levant les mains au ciel. Je pourrai donc l’embrasser avant de partir!

– Merci, mon Dieu! j’arrive à temps!… dit la voix en se rapprochant de plus en plus.

Et on entendit la jeune fille monter précipitamment l’escalier.

– Soyez tranquille, ma petite, dit une troisième voix aigre, poussive, essoufflée, partant d’une région plus inférieure, je m’embusquerai, s’il le faut, dans l’allée, nous deux mon balai et mon vieux chéri, et ils ne sortiront pas d’ici que vous ne leur ayez parlé, les gueusards.

On a sans doute reconnu Mme Pipelet, qui, moins ingambe que Louise, la suivait lentement.

Quelques minutes après, la fille du lapidaire était dans les bras de son père.

– C’est toi, Louise! ma bonne Louise! disait Morel en pleurant. Mais comme tu es pâle! Mon Dieu! qu’as-tu?

– Rien, rien…, répondit Louise en balbutiant. J’ai couru si vite!… Voici l’argent…

– Comment!…

– Tu es libre!

– Tu savais donc?…

– Oui, oui… Prenez, monsieur, voici l’argent, dit la jeune fille en donnant un rouleau d’or à Malicorne.

– Mais cet argent, Louise, cet argent?…

– Tu sauras tout… sois tranquille… Viens rassurer ma mère!

– Non, tout à l’heure! s’écria Morel en se plaçant devant la porte; il pensait à la mort de sa petite fille, que Louise ignorait encore. Attends, il faut que je te parle… Mais cet argent…

– Minute! dit Malicorne en finissant de compter les pièces d’or, qu’il empocha. Soixante-quatre, soixante-cinq; ça fait treize cents francs. Est-ce que vous n’avez que ça, la petite mère?

– Mais tu ne dois que treize cents francs? dit Louise stupéfaite, en s’adressant à son père.

– Oui, dit Morel.

– Minute, reprit le recors; le billet est de treize cents francs, bon; voilà le billet payé: mais les frais?… sans l’arrestation, il y en a déjà pour onze cent quarante francs.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! s’écria Louise, je croyais que ce n’était que treize cents francs. Mais, monsieur, plus tard on vous payera le reste… voilà un assez fort à-compte… n’est-ce pas, mon père?

– Plus tard… à la bonne heure!… apportez l’argent au greffe, et on lâchera votre père. Allons, marchons!…

– Vous l’emmenez?

– Et roide… C’est un à-compte… qu’il paie le reste, il sera libre… Passe, Bourdin, et en route!

– Grâce!… grâce! s’écria Louise.

– Ah! quelle scie! voilà les geigneries qui recommencent, c’est à vous faire suer en plein hiver, ma parole d’honneur! dit brutalement le recors. Puis, s’avançant vers Morel: – Si vous ne marchez pas tout de suite, je vous empoigne au collet et je vous fais descendre bon train: c’est embêtant, à la fin.

– Oh! mon pauvre père… moi qui le croyais sauvé au moins! dit Louise avec accablement.

– Non… non… Dieu n’est pas juste! s’écria le lapidaire d’une voix désespérée, en frappant du pied avec rage.

– Si, Dieu est juste… il a toujours pitié des honnêtes gens qui souffrent, dit une voix douce et vibrante.

Au même instant, Rodolphe parut à la porte du petit réduit, d’où il avait invisiblement assisté à plusieurs des scènes que nous venons de raconter.

Il était pâle et profondément ému.

À cette apparition subite, les recors reculèrent; Morel et sa fille regardèrent cet inconnu avec stupeur.

Tirant de la poche de son gilet un petit paquet de billets de banque pliés, Rodolphe en prit trois, et, les présentant à Malicorne, lui dit: