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– Dis donc qui avance; car c’est ce moineau-là qui payera les violons… puisque c’est lui qui va la danser.

– Quand celui-là aura de quoi payer à son créancier deux mille cinq cents francs pour capital, intérêts, frais et tout… il fera chaud…

– Ça ne sera pas comme ici, car on gèle…, dit le recors en soufflant dans ses doigts. Finissons-en, emballons-le, il pleurnichera en chemin… Est-ce que c’est notre faute, à nous, si sa petite est crevée?…

– Quand on est aussi gueux que ça on ne fait pas d’enfants.

– Ça lui apprendra! ajouta Malicorne; puis, frappant sur l’épaule de Morel: Allons, allons, camarade, nous n’avons pas le temps d’attendre; puisque vous ne pouvez pas payer, en prison!

– En prison, M. Morel! s’écria une voix jeune et pure. Et une jeune fille brune, fraîche, rose et coiffée en cheveux, entra vivement dans la mansarde.

– Ah! Mlle Rigolette, dit un des enfants en pleurant, vous êtes si bonne! Sauvez papa, on veut l’emmener en prison, et notre petite sœur est morte…

– Adèle est morte! s’écria la jeune fille, dont les grands yeux noirs et brillants se voilèrent de larmes. Votre père en prison! Ça ne se peut pas…

Et, immobile, elle regardait tour à tour le lapidaire, sa femme et les recors.

Bourdin s’approcha de Rigolette.

– Voyons, ma belle enfant, vous qui avez votre sang-froid, faites entendre raison à ce brave homme; sa petite fille est morte, à la bonne heure! Mais il faut qu’il nous suive à Clichy… à la prison pour dettes: nous sommes gardes du commerce…

– C’est donc vrai? s’écria la jeune fille.

– Très-vrai! La mère a la petite dans son lit, on ne peut pas la lui ôter; ça l’occupe… Le père devrait profiter de ça pour filer.

– Mon Dieu! mon Dieu, quel malheur! s’écria Rigolette, quel malheur! Comment faire?

– Payer ou aller en prison, il n’y a pas de milieu; avez-vous deux ou trois billets de mille à leur prêter? demanda Malicorne d’un air goguenard; si vous les avez, passez à votre caisse, et aboulez les noyaux, nous ne demandons pas mieux.

– Ah! c’est affreux! dit Rigolette avec indignation. Oser plaisanter devant un pareil malheur!

– Eh bien! sans plaisanterie, reprit l’autre recors, puisque vous voulez être bonne à quelque chose, tâchez que la femme ne nous voie pas emmener le mari. Vous leur éviterez à tous les deux un mauvais quart d’heure.

Quoique brutal, le conseil était bon; Rigolette le suivit et s’approcha de Madeleine. Celle-ci, égarée par le désespoir, n’eut pas l’air de voir la jeune fille, qui s’agenouilla auprès du grabat avec les autres enfants.

Morel n’était revenu de son égarement passager que pour retomber sous le coup des réflexions les plus accablantes; plus calme, il put contempler l’horreur de sa position. Décidé à cette extrémité, le notaire devait être impitoyable, les recors faisaient leur métier.

L’artisan se résigna.

– Ah çà! marchons-nous à la fin? lui dit Bourdin.

– Je ne peux pas laisser ces diamants ici; ma femme est à moitié folle, dit Morel en montrant les diamants épars sur son établi. La courtière pour qui je travaille doit venir les chercher ce matin ou dans la journée; il y en a pour une somme considérable.

– Bon, dit Tortillard, qui était toujours resté auprès de la porte entrebâillée, bon, bon, la Chouette saura ça.

– Accordez-moi seulement jusqu’à demain, reprit Morel, afin que je puisse remettre ces diamants à la courtière.

– Impossible! Finissons tout de suite!

– Mais je ne veux pas, en laissant ces diamants ici, les exposer à être perdus.

– Emportez-les avec vous, notre fiacre est en bas, vous le payerez avec les frais. Nous irons chez votre courtière: si elle n’y est pas, vous déposerez ces pierreries au greffe de Clichy; ils seront aussi en sûreté là qu’à la banque… Voyons, dépêchons-nous; nous filerons sans que votre femme et vos enfants vous aperçoivent.

– Accordez-moi jusqu’à demain, que je puisse faire enterrer mon enfant! demanda Morel d’une voix suppliante et altérée par les larmes qu’il contraignait.

– Non!… voilà plus d’une heure que nous perdons ici…

– Cet enterrement vous attristerait encore, ajouta Malicorne.

– Ah! oui… cela m’attristerait, dit Morel avec amertume. Vous craignez tant d’attrister les gens!… Alors un dernier mot.

– Voyons, sacrebleu! dépêchez-vous!… dit Malicorne avec une impatience brutale.

– Depuis quand avez-vous l’ordre de m’arrêter?

– Le jugement a été rendu il y a quatre mois, mais c’est hier que notre huissier a reçu l’ordre du notaire de le mettre à exécution…

– Hier seulement?… pourquoi si tard?…

– Est-ce que je le sais, moi?… Allons, votre paquet!

– Hier!… et Louise n’a pas paru ici: où est-elle? Qu’est-elle devenue? dit le lapidaire en tirant de l’établi une boîte de carton remplie de coton, dans laquelle il rangea les pierres. Mais ne pensons pas à cela… En prison j’aurai le temps d’y songer.

– Voyons, faites vite votre paquet et habillez-vous.

– Je n’ai pas de paquet à faire, je n’ai que ces diamants à emporter pour les consigner au greffe.

– Habillez-vous alors!…

– Je n’ai pas d’autres vêtements que ceux-là.

– Vous allez sortir avec ces guenilles! dit Bourdin.

– Je vous ferai honte, sans doute? dit le lapidaire avec amertume.

– Non, puisque nous allons dans votre fiacre, répondit Malicorne.

– Papa, maman t’appelle, dit un des enfants.

– Écoutez, murmura rapidement Morel en s’adressant à un des recors, ne soyez pas inhumain… accordez-moi une dernière grâce… Je n’ai pas le courage de dire adieu à ma femme, à mes enfants… mon cœur se briserait… S’ils vous voient m’emmener, ils accourront auprès de moi… Je voudrais éviter cela. Je vous en supplie, dites-moi tout haut que vous reviendrez dans trois ou quatre jours, et feignez de vous en aller… vous m’attendrez à l’étage au-dessous… je sortirai cinq minutes après… ça m’épargnera les adieux, je n’y résisterais pas, je vous assure… je deviendrais fou… j’ai manqué le devenir tout à l’heure.

– Connu!… vous voulez me faire voir le tour!… dit Malicorne, vous voulez filer, vieux farceur.

– Oh! mon Dieu!… mon Dieu! s’écria Morel avec une douloureuse indignation.

– Je ne crois pas qu’il blague, dit tout bas Bourdin à son compagnon; faisons ce qu’il demande, sans ça nous ne sortirons jamais d’ici; je vais d’ailleurs rester là en dehors de la porte… Il n’y a pas d’autre sortie à la mansarde, il ne peut pas nous échapper.