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– Quant à vous, ma brave femme, dit Mme Dubreuil à la laitière, loin de vous renvoyer, je reconnaîtrai le service que vous me rendez en dévoilant cette malheureuse.

– À la bonne heure! Notre maîtresse est juste, elle…, murmurèrent les laboureurs.

– Viens, Clara, reprit la fermière, Mme Georges va nous expliquer sa conduite, ou sinon je ne la revois de ma vie; car si elle n’a pas été trompée, elle se conduit envers nous d’une manière affreuse.

– Mais, ma mère, voyez donc cette pauvre Marie…

– Qu’elle crève de honte si elle veut, tant mieux! Méprise-la… Je ne veux pas que tu restes un moment auprès d’elle. C’est une de ces créatures auxquelles une jeune fille comme toi ne parle pas sans se déshonorer.

– Mon Dieu! mon Dieu! maman, dit Clara en résistant à sa mère qui voulait l’emmener, je ne sais pas ce que cela signifie… Marie peut bien être coupable, puisque vous le dites; mais, voyez, elle est défaillante; ayez pitié d’elle au moins.

– Oh! mademoiselle Clara, vous êtes bonne, vous me pardonnez. C’est bien malgré moi, croyez-moi, que je vous ai trompée. Je me le suis bien souvent reproché, dit Fleur-de-Marie en jetant sur sa protectrice un regard de reconnaissance ineffable.

– Mais, ma mère, vous êtes donc sans pitié? s’écria Clara d’une voix déchirante.

– De la pitié pour elle? Allons donc! Sans Mme Georges qui va nous en débarrasser, je ferais mettre cette misérable à la porte de la ferme comme une pestiférée, répondit durement Mme Dubreuil. Et elle entraîna sa fille, qui, se retournant une dernière fois vers la Goualeuse, s’écria:

– Marie, ma sœur! je ne sais pas de quoi l’on t’accuse, mais je suis sûre que tu n’es pas coupable, et je t’aime toujours.

– Tais-toi, tais-toi! dit Mme Dubreuil en mettant sa main sur la bouche de sa fille, tais-toi; heureusement que tout le monde est témoin qu’après cette odieuse révélation tu n’es pas restée un moment seule avec cette fille perdue. N’est-ce pas, mes amis?

– Oui, oui, madame, dit le laboureur, nous sommes témoins que Mlle Clara n’est pas restée un moment avec cette fille, qui est bien sûr une voleuse, puisqu’elle connaît des assassins.

Mme Dubreuil entraîna Clara.

La Goualeuse resta seule au milieu du groupe menaçant qui s’était formé autour d’elle.

Malgré les reproches dont l’accablait Mme Dubreuil, la présence de la fermière et de Clara avait quelque peu rassuré Fleur-de-Marie sur les suites de cette scène; mais, après le départ des deux femmes, se trouvant à la merci des paysans, les forces lui manquèrent; elle fut obligée de s’appuyer sur le parapet du profond abreuvoir des chevaux de la ferme.

Rien de plus touchant que la pose de cette infortunée.

Rien de plus menaçant que les paroles, que l’attitude des paysans qui l’entouraient.

Assise presque debout sur cette margelle de pierre, la tête baissée, cachée entre ses deux mains, son cou et son sein voilés par les bouts carrés du mouchoir d’indienne rouge qui entourait son petit bonnet rond, la Goualeuse, immobile, offrait l’expression la plus saisissante de la douleur et de la résignation.

À quelques pas d’elle, la veuve de l’assassiné, triomphante et encore exaspérée contre Fleur-de-Marie par les imprécations de Mme Dubreuil, montrait la jeune fille à ses enfants et aux laboureurs avec des gestes de haine et de mépris.

Les gens de la ferme, groupés en cercle, ne dissimulaient pas les sentiments hostiles qui les animaient; leurs rudes et grossières physionomies exprimaient à la fois l’indignation, le courroux, et une sorte de raillerie brutale et insultante; les femmes se montraient les plus furieuses, les plus révoltées. La beauté touchante de la Goualeuse n’était pas une des moindres causes de leur acharnement contre elle.

Hommes et femmes ne pouvaient pardonner à Fleur-de-Marie d’avoir été jusqu’alors traitée d’égal à égal par leurs maîtres.

Et puis encore quelques laboureurs d’Arnouville n’ayant pu justifier d’assez bons antécédents pour obtenir à la ferme de Bouqueval une de ces places si enviées dans le pays, il existait chez ceux-là, contre Mme Georges, un sourd mécontentement dont sa protégée devait se ressentir.

Les premiers mouvements des natures incultes sont toujours extrêmes…

Excellents ou détestables.

Mais ils deviennent horriblement dangereux lorsqu’une multitude croit ses brutalités autorisées par les torts réels ou apparents de ceux que poursuit sa haine ou sa colère.

Quoique la plupart des laboureurs de cette ferme n’eussent peut-être pas tous les droits possibles à afficher une susceptibilité farouche à l’endroit de la Goualeuse, ils semblaient contagieusement souillés par sa seule présence; leur pudeur se révoltait en songeant à quelle classe avait appartenu cette infortunée, qui de plus avouait qu’elle parlait souvent à des assassins. En fallait-il davantage pour exalter la colère de ces campagnards, encore excités par l’exemple de Mme Dubreuil?

– Il faut la conduire chez le maire, s’écria l’un.

– Oui, oui; et si elle ne veut pas marcher, on la poussera.

– Et ça ose s’habiller comme nous autres honnêtes filles de campagne, ajouta une des plus laides maritornes de la ferme.

– Avec son air de sainte-nitouche, reprit une autre, on lui aurait donné le bon Dieu sans confession.

– Est-ce qu’elle n’avait pas le front d’aller à la messe?

– L’effrontée!… Pourquoi ne pas communier tout de suite?

– Et il lui fallait frayer avec les maîtres encore!

– Comme si nous étions de trop petites gens pour elle!

– Heureusement chacun a son tour.

– Oh! il faudra bien que tu parles et que tu dénonces l’assassin! s’écria la veuve. Vous êtes tous de la même bande… Je ne suis pas même bien sûre de ne pas t’avoir vue ce jour-là avec eux. Allons, allons, il ne s’agit pas de pleurnicher, maintenant que tu es reconnue. Montre-nous ta face, elle est belle à voir!

Et la veuve abaissa brutalement les deux mains de la jeune fille, qui cachait son visage baigné de larmes.

La Goualeuse, d’abord écrasée de honte, commençait à trembler d’effroi en se trouvant seule à la merci de ces forcenés; elle joignit les mains, tourna vers la laitière ses yeux suppliants et craintifs et dit de sa voix douce:

– Mon Dieu, madame, il y a deux mois que je suis retirée à la ferme de Bouqueval… je n’ai donc pu être témoin du malheur dont vous parlez, et…

La timide voix de Fleur-de-Marie fut couverte par ces cris furieux: