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– Dieu merci! je puis expliquer ce grand mystère, dit Mme Georges en souriant: confortable, dans cette occasion, veut dire un appartement commode, bien arrangé, bien clos, bien chaud; une habitation, enfin, où rien ne manque de ce qui est nécessaire et même superflu…

– Ah! mon Dieu! je comprends; mais alors je suis encore plus embarrassée!

– Comment cela?

– Mme la duchesse parle de tapis, de meubles et de beaucoup d’et cætera, mais nous n’avons pas de tapis ici, nos meubles sont des plus communs; et puis enfin je ne sais pas si la personne que nous devons attendre est un monsieur ou une dame, et il faut que tout soit prêt demain soir… Comment faire? comment faire? Ici il n’y a aucune ressource. En vérité, madame Georges, c’est à en perdre la tête.

– Mais, maman, dit Clara, si tu prenais les meubles qui sont dans ma chambre, en attendant qu’elle soit remeublée j’irais passer trois ou quatre jours à Bouqueval avec Marie.

– Ta chambre! ta chambre! mon enfant, est-ce que c’est assez beau! dit Mme Dubreuil en haussant les épaules, est-ce que c’est assez… assez confortable? comme dit Mme la duchesse… Mon Dieu! mon Dieu! où va-t-on chercher des mots pareils!

– Ce pavillon est donc ordinairement inhabité? demanda Mme Georges.

– Sans doute; c’est cette petite maison blanche qui est toute seule au bout du verger. M. le prince l’a fait bâtir pour Mme la duchesse quand elle était demoiselle; lorsqu’elle venait à la ferme avec son père, c’est là qu’ils se reposaient. Il y a trois jolies chambres, et au bout du jardin une laiterie suisse, où Mme la duchesse, étant enfant, s’amusait à jouer à la laitière; depuis son mariage, nous ne l’avons vue à la ferme que deux fois, et chaque fois elle a passé quelques heures dans le petit pavillon. La première fois, il y a de cela six ans, elle est venue à cheval avec…

Puis, comme si la présence de Fleur-de-Marie et de Clara l’empêchait d’en dire davantage, Mme Dubreuil reprit:

– Mais je cause, je cause, et tout cela ne me sort pas d’embarras… Venez donc à mon secours, ma pauvre madame Georges, venez donc à mon secours!

– Voyons, dites-moi comment à cette heure est meublé ce pavillon?

– Il l’est à peine; dans la pièce principale, une natte de paille sur le carreau, un canapé de jonc, des fauteuils pareils, une table, quelques chaises, voilà tout. De là à être confortable il y a loin, comme vous le voyez.

– Eh bien! moi, à votre place, voici ce que je ferais: il est onze heures, j’enverrais à Paris un homme intelligent.

– Notre prend-garde-à-tout , il n’y en a pas de plus actif.

– À merveille… en deux heures au plus tard il est à Paris; il va chez un tapissier de la Chaussée-d ’Antin, peu importe lequel; il lui remet la liste que je vais vous faire, après avoir vu ce qui manque dans le pavillon, et il lui dira que, coûte que coûte…

– Oh! bien sûr… pourvu que Mme la duchesse soit contente, je ne regarderai à rien…

– Il lui dira donc que, coûte que coûte, il faut que ce qui est noté sur cette liste soit ici ce soir ou dans la nuit, ainsi que trois ou quatre garçons tapissiers pour tout mettre en place.

– Ils pourront venir par la voiture de Gonesse, elle part à huit heures du soir de Paris.

– Et comme il ne s’agit que de transporter des meubles, de clouer des tapis et de poser des rideaux, tout peut être facilement prêt demain soir.

– Ah! ma bonne madame Georges, de quel embarras vous me sauvez!… Je n’aurais jamais pensé à cela… Vous êtes ma providence… Vous allez avoir la bonté de me faire la liste de ce qu’il faut pour que le pavillon soit…

– Confortable?… oui, sans doute.

– Ah! mon Dieu… une autre difficulté!… Encore une fois, nous ne savons pas si c’est un monsieur ou une dame que nous attendons. Dans sa lettre, Mme la duchesse dit: «Une personne»; c’est bien embrouillé!…

– Agissez comme si vous attendiez une femme, ma chère madame Dubreuil; si c’est un homme, il ne s’en trouvera que mieux.

– Vous avez raison… toujours raison…

Une servante de ferme vint annoncer que le déjeuner était servi.

– Nous déjeunerons tout à l’heure, dit Mme Georges; mais, pendant que je vais écrire la liste de ce qui est nécessaire, faites prendre la mesure des trois pièces en hauteur et en étendue, afin qu’on puisse d’avance disposer les rideaux et les tapis.

– Bien, bien… je vais aller dire tout cela à mon prend-garde-à-tout.

– Madame, reprit la servante de ferme, il y a aussi là cette laitière de Stains: son ménage est dans une petite charrette traînée par un âne! Dame… il n’est pas lourd, son ménage!

– Pauvre femme!… dit Mme Dubreuil avec intérêt.

– Quelle est donc cette femme? demanda Mme Georges.

– Une paysanne de Stains, qui avait quatre vaches et qui faisait un petit commerce en allant vendre tous les matins son lait à Paris. Son mari était maréchal-ferrant; un jour, ayant besoin d’acheter du fer, il accompagne sa femme, convenant avec elle de venir la reprendre au coin de la rue où d’habitude elle vendait son lait. Malheureusement la laitière s’était établie dans un vilain quartier, à ce qu’il paraît; quand son mari revient, il la trouve aux prises avec des mauvais sujets ivres qui avaient eu la méchanceté de renverser son lait dans le ruisseau. Le forgeron tâche de leur faire entendre raison, ils le maltraitent; il se défend, et dans la rixe il reçoit un coup de couteau qui l’étend roide mort.

– Ah! quelle horreur!… s’écria Mme Georges. Et a-t-on arrêté l’assassin?

– Malheureusement non; dans le tumulte il s’est échappé; la pauvre veuve assure qu’elle le reconnaîtrait bien, car elle l’a vu plusieurs fois avec d’autres de ses camarades, habitués de ce quartier; mais jusqu’ici toutes les recherches ont été inutiles pour le découvrir. Bref, depuis la mort de son mari, la laitière a été obligée, pour payer diverses dettes, de vendre ses vaches et quelques morceaux de terre qu’elle avait; le fermier du château de Stains m’a recommandé cette brave femme comme une excellente créature, aussi honnête que malheureuse, car elle a trois enfants dont le plus âgé n’a que douze ans; j’avais justement une place vacante, je la lui ai donnée, et elle vient s’établir à la ferme.

– Cette bonté de votre part ne m’étonne pas, ma chère madame Dubreuil.

– Dis-moi, Clara, reprit la fermière, veux-tu aller installer cette brave femme dans son logement, pendant que je vais prévenir le prend-garde-à-tout de se préparer à partir pour Paris?