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– Vous avez raison; nous serons de retour avant cinq heures, je vous le promets.

– Oh! merci, madame; je serai si contente de revoir Mlle Clara…

– Encore! dit Mme Georges d’un ton de doux reproche, Mlle Clara!… Est-ce qu’elle dit Mlle Marie en parlant de vous?

– Non, madame…, répondit la Goualeuse en baissant les yeux. C’est que moi… je…

– Vous! vous êtes une cruelle enfant qui ne songez qu’à vous tourmenter; vous oubliez déjà les promesses que vous m’avez faites tout à l’heure encore. Habillez-vous vite et bien chaudement. Nous pourrons arriver avant onze heures à Arnouville.

Puis, sortant avec Claudine, Mme Georges lui dit:

– Que Pierre attende un moment, nous serons prêtes dans quelques minutes.

X Reconnaissance

Une demi-heure après cette conversation, Mme Georges et Fleur-de-Marie montaient dans un de ces grands cabriolets dont se servent les riches fermiers des environs de Paris. Bientôt cette voiture, attelée d’un vigoureux cheval de trait conduit par Pierre, roula rapidement sur le chemin gazonné qui, de Bouqueval, conduit à Arnouville.

Les vastes bâtiments et les nombreuses dépendances de la ferme exploitée par M. Dubreuil témoignaient de l’importance de cette magnifique propriété que Mlle Césarine de Noirmont avait apportée en mariage à M. le duc de Lucenay.

Le bruit retentissant du fouet de Pierre avertit Mme Dubreuil de l’arrivée de Fleur-de-Marie et de Mme Georges. Celles-ci, en descendant de voiture, furent joyeusement accueillies par la fermière et par sa fille.

Mme Dubreuil avait cinquante ans environ; sa physionomie était douce et affable; les traits de sa fille, jolie brune aux yeux bleus, aux joues fraîches et vermeilles, respiraient la candeur et la bonté.

À son grand étonnement, lorsque Clara vint lui sauter au cou, la Goualeuse vit son amie vêtue comme elle en paysanne, au lieu d’être habillée en demoiselle.

– Comment, vous aussi, Clara, vous voici déguisée en campagnarde? dit Mme Georges en embrassant la jeune fille.

– Est-ce qu’il ne faut pas qu’elle imite en tout sa sœur Marie? dit Mme Dubreuil. Elle n’a pas eu de cesse qu’elle n’ait eu aussi son casaquin de drap, sa jupe de futaine, tout comme votre Marie… Mais il s’agit bien des caprices de ces petites filles, ma pauvre Mme Georges! dit Mme Dubreuil en soupirant; venez, que je vous conte tous mes embarras.

En arrivant dans le salon avec sa mère et Mme Georges, Clara s’assit auprès de Fleur-de-Marie, lui donna la meilleure place au coin du feu, l’entoura de mille soins, prit ses mains dans les siennes pour s’assurer si elles n’étaient plus froides, l’embrassa encore et l’appela sa méchante petite sœur, en lui faisant tout bas de doux reproches sur le long intervalle qu’elle mettait entre ses visites.

Si l’on se souvient de l’entretien de la pauvre Goualeuse et du curé, on comprendra qu’elle devait recevoir ces caresses tendres et ingénues avec un mélange d’humilité, de bonheur et de crainte.

– Et que vous arrive-t-il, donc, ma chère madame Dubreuil? dit Mme Georges, et à quoi pourrais-je vous être utile?

– Mon Dieu! à bien des choses. Je vais vous expliquer cela. Vous ne savez pas, je crois, que cette ferme appartient en propre à Mme la duchesse de Lucenay. C’est à elle que nous avons directement affaire… sans passer par les mains de l’intendant de M. le duc.

– En effet, j’ignorais cette circonstance.

– Vous allez savoir pourquoi je vous en instruis… C’est donc à Mme la duchesse ou à Mme Simon, sa première femme de chambre, que nous payons les fermages. Mme la duchesse est si bonne, si bonne, quoiqu’un peu vive, que c’est un vrai plaisir d’avoir des rapports avec elle; Dubreuil et moi nous nous mettrions dans le feu pour l’obliger… Dame! c’est tout simple: je l’ai vue petite fille, quand elle venait ici avec son père, feu M. le prince de Noirmont… Encore dernièrement elle nous a demandé six mois de fermage d’avance… Quarante mille francs, ça ne se trouve pas sous le pas d’un cheval, comme on dit… mais nous avions cette somme en réserve, la dot de notre Clara, et du jour au lendemain Mme la duchesse a eu son argent en beaux louis d’or. Ces grandes dames, ça a tant besoin de luxe! Pourtant il n’y a guère que depuis un an que Mme la duchesse est exacte à toucher ses fermages aux échéances; autrefois elle paraissait n’avoir jamais besoin d’argent… Mais maintenant c’est bien différent!

– Jusqu’à présent, ma chère madame Dubreuil, je ne vois pas encore à quoi je puis vous être bonne.

– M’y voici, m’y voici; je vous disais cela pour vous faire comprendre que Mme la duchesse a toute confiance en nous… Sans compter qu’à l’âge de douze ou treize ans elle a été, avec son père pour compère, marraine de Clara… qu’elle a toujours comblée… Hier soir donc, je reçois par un exprès cette lettre de Mme la duchesse:

«Il faut absolument, ma chère madame Dubreuil, que le petit pavillon du verger soit en état d’être occupé après-demain soir: faites-y transporter tous les meubles nécessaires, tapis, rideaux, etc. Enfin, que rien n’y manque, et qu’il soit surtout aussi confortable que possible…»

– Confortable! vous entendez, madame Georges: et c’est souligné encore! dit Mme Dubreuil, en regardant son amie d’un air à la fois méditatif et embarrassé; puis elle continua:

«Faites faire du feu jour et nuit dans le pavillon pour en chasser l’humidité, car il y a longtemps qu’on ne l’a habité. Vous traiterez la personne qui viendra s’y établir comme vous me traiteriez moi-même; une lettre que cette personne vous remettra vous instruira de ce que j’attends de votre zèle toujours si obligeant. J’y compte cette fois encore, sans crainte d’en abuser; je sais combien vous êtes bonne et dévouée. Adieu, ma chère madame Dubreuil. Embrassez ma jolie filleule, et croyez à mes sentiments bien affectionnés.

NOIRMONT DE LUCENAY.»

«P. S. La personne dont il s’agit arrivera après-demain dans la soirée. Surtout n’oubliez pas, je vous prie, de rendre le pavillon aussi confortable que possible.»

– Vous voyez; encore ce diable de mot souligné! dit Mme Dubreuil en remettant dans sa poche la lettre de la duchesse de Lucenay.

– Eh bien! rien de plus simple, reprit Mme Georges.

– Comment, rien de plus simple!… Vous n’avez donc pas entendu? Mme la duchesse veut surtout que le pavillon soit aussi confortable que possible; c’est pour ça que je vous ai priée de venir. Nous deux Clara, nous nous sommes tuées à chercher ce que voulait dire confortable, et nous n’avons pu y parvenir… Clara a pourtant été en pension à Villiers-le-Bel, et a remporté je ne sais combien de prix d’histoire et de géographie… eh bien! c’est égal, elle n’est pas plus avancée que moi au sujet de ce mot baroque; il faut que ce soit un mot de la cour ou du grand monde… Mais c’est égal, vous concevez combien c’est embarrassant: Mme la duchesse veut surtout que le pavillon soit confortable, elle souligne le mot, elle le répète deux fois, et nous ne savons pas ce que cela veut dire!