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– Approchez, madame, dit Remy.

Diane approcha.

Dans cette énorme quantité d'eau, il laissa tomber une seule goutte du liquide contenu dans la fiole de verre, et la masse entière de l'eau se teignit à l'instant même d'une couleur jaune; puis cette couleur s'évapora, et l'eau, au bout de dix minutes, était devenue transparente comme auparavant.

La fixité des yeux de Diane donnait seule une idée de l'attention profonde qu'elle donnait à cette opération.

Remy la regarda.

– Eh bien? demanda celle-ci.

– Eh bien! trempez maintenant, dit Remy, dans cette eau qui n'a ni saveur ni couleur, trempez une fleur, un gant, un mouchoir; pétrissez avec cette eau des savons de senteur, versez-en dans l'aiguière où l'on puisera pour se laver les dents, les mains et le visage, et vous verrez, comme on le vit naguère à la cour du roi Charles IX, la fleur étouffer par son parfum, le gant empoisonner par son contact, le savon tuer par son introduction dans les pores. Versez une seule goutte de cette huile pure sur la mèche d'une bougie ou d'une lampe, le coton s'en imprégnera jusqu'à un pouce à peu près, et pendant une heure, la bougie ou la lampe exhalera la mort, pour brûler ensuite aussi innocemment qu'une autre lampe ou une autre bougie.

– Vous êtes sûr de ce que vous dites là, Remy? demanda Diane.

– Toutes ces expériences, je les ai faites, madame; voyez ces oiseaux qui ne peuvent plus dormir et qui ne veulent plus manger, ils ont bu de l'eau pareille à cette eau. Voyez cette chèvre qui a brouté de l'herbe arrosée de cette même eau, elle mue, et ses yeux vacillent; nous aurons beau la rendre maintenant à la liberté, à la lumière, à la nature, sa vie est condamnée, à moins que cette nature à laquelle nous la rendrons ne révèle à son instinct quelques-uns de ces contre-poisons que les animaux devinent, et que les hommes ignorent.

– Peut-on voir cette fiole, Remy? demanda Diane.

– Oui, madame, car tout le liquide est précipité, à cette heure; mais attendez.

Remy la sépara de l'alambic avec des précautions infinies; puis, aussitôt, il la boucha d'un tampon de molle cire qu'il aplatit à la surface de son orifice, et, enveloppant cet orifice d'un morceau de laine, il présenta le flacon à sa compagne.

Diane le prit sans émotion aucune, le souleva à la hauteur de la lampe, et, après avoir regardé quelque temps la liqueur épaisse qu'il contenait:

– Il suffit, dit-elle; nous choisirons, lorsqu'il sera temps, du bouquet, des gants, de la lampe, du savon ou de l'aiguière. La liqueur tient-elle dans le métal?

– Elle le ronge.

– Mais alors ce flacon se brisera, peut-être.

– Je ne crois pas; voyez l'épaisseur du cristal; d'ailleurs nous pourrons l'enfermer ou plutôt l'emboîter dans une enveloppe d'or.

– Alors, Remy, reprit la dame, vous êtes content, n'est-ce pas?

Et quelque chose comme un pâle sourire effleura les lèvres de la dame, et leur donna ce reflet de vie qu'un rayon de la lune donne aux objets engourdis.

– Plus que je ne fus jamais, madame, répondit celui-ci; punir les méchants, c'est jouir de la sainte prérogative de Dieu.

– Écoutez, Remy, écoutez!

Et la dame prêta l'oreille.

– Vous avez entendu quelque bruit?

– Le piétinement des chevaux dans la rue, ce me semble; Remy, nos chevaux sont arrivés.

– C'est probable, madame, car il est à peu près l'heure à laquelle ils devaient venir; mais, maintenant, je vais les renvoyer.

– Pourquoi cela?

– Ne sont-ils plus inutiles?

– Au lieu d'aller à Méridor, Remy, nous allons en Flandre; gardez les chevaux.

– Ah! je comprends.

Et les yeux du serviteur, à leur tour, laissèrent échapper un éclair de joie qui ne pouvait se comparer qu'au sourire de Diane.

– Mais Grandchamp, ajouta-t-il, qu'allons-nous en faire?

– Grandchamp a besoin de se reposer, je vous l'ai dit. Il demeurera à Paris et vendra cette maison, dont nous n'avons plus besoin. Seulement vous rendrez la liberté à tous ces pauvres animaux innocents que nous avons fait souffrir par nécessité. Vous l'avez dit: Dieu pourvoira peut-être à leur salut.

– Mais tous ces fourneaux, ces cornues, ces alambics?

– Puisqu'ils étaient ici quand nous avons acheté la maison, qu'importe que d'autres les y trouvent après nous?

– Mais ces poudres, ces acides, ces essences?

– Au feu, Remy, au feu!

– Éloignez-vous alors.

– Moi?

– Oui, du moins mettez ce masque de verre.

Et Remy présenta à Diane un masque, qu'elle appliqua sur son visage.

Alors, appuyant lui-même sur sa bouche et sur son nez un large tampon de laine, il pressa le cordon du soufflet, aviva la flamme du charbon; puis, quand le feu fut bien embrasé, il y versa les poudres qui éclatèrent en pétillements joyeux, les unes lançant des feux verts, les autres se volatilisant en étincelles pâles comme le soufre; et les essences, qui, au lieu d'éteindre la flamme, montèrent comme des serpents de feu dans le conduit, avec des grondements pareils à ceux d'un tonnerre lointain.

Enfin, quand tout fut consumé:

– Vous avez raison, madame, dit Remy, si quelqu'un, maintenant, découvre le secret de cette cave, ce quelqu'un pensera qu'un alchimiste l'a habité; aujourd'hui, on brûle encore les sorciers, mais on respecte les alchimistes.

– Eh! d'ailleurs, dit la dame, quand on nous brûlerait, Remy, ce serait justice, ce me semble: ne sommes-nous point des empoisonneurs? Et pourvu qu'au jour où je monterai sur le bûcher, j'aie accompli ma tâche, je ne répugne pas plus à ce genre de mort qu'à un autre: la plupart des anciens martyrs sont morts ainsi.

Remy fit un geste d'assentiment, et, reprenant sa fiole des mains de sa maîtresse, il l'empaqueta soigneusement.

En ce moment on heurta à la porte de la rue.

– Ce sont vos gens, madame, vous ne vous trompiez pas. Vite, remontez et répondez, tandis que je vais fermer la trappe.

La dame obéit.

Une même pensée vivait tellement dans ces deux corps, qu'il eût été difficile de dire lequel des deux pliait l'autre sous sa domination.

Remy remonta derrière elle, et poussa le ressort.

Le caveau se referma.