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– Me voici, madame, répondit-il.

– Mon digne ami, mon frère, dit Diane, vous la seule créature qui me connaisse en ce monde, dites-moi adieu.

– Pourquoi cela, madame?

– Parce que l'heure est venue de nous séparer, Remy.

– Nous séparer! s'écria le jeune homme avec un accent qui fit tressaillir sa compagne. Que dites-vous, madame?

– Oui, Remy. Ce projet de vengeance me paraissait noble et pur, tant qu'il y avait un obstacle entre lui et moi, tant que je ne l'apercevais qu'à l'horizon; ainsi sont les choses de ce monde: grandes et belles de loin. Maintenant que je touche à l'exécution, maintenant que l'obstacle a disparu, je ne recule pas, Remy; mais je ne veux pas entraîner à ma suite, dans le chemin du crime, une âme généreuse et sans tache: ainsi, vous me quitterez, mon ami. Toute cette vie passée dans les larmes me comptera comme une expiation devant Dieu et devant vous, et elle vous comptera aussi à vous, je l'espère; et vous, qui n'avez jamais fait et qui ne ferez jamais de mal, vous serez deux fois sûr du ciel.

Remy avait écouté les paroles de la dame de Monsoreau d'un air sombre et presque hautain.

– Madame, répondit-il, croyez-vous donc parler à un vieillard trembleur et usé par l'abus de la vie? Madame, j'ai vingt-six ans, c'est-à-dire toute la sève de la jeunesse qui paraît tarie en moi. Cadavre arraché de la tombe, si je vis encore, c'est pour l'accomplissement de quelque action terrible, c'est pour jouer un rôle actif dans l'œuvre de la Providence. Ne séparez donc jamais ma pensée de la vôtre, madame, puisque ces deux pensées sinistres ont si longtemps habité sous le même toit: où vous irez, j'irai; ce que vous ferez, je vous y aiderai; sinon, madame, et si, malgré mes prières, vous persistez dans cette résolution de me chasser…

– Oh! murmura la jeune femme, vous chasser! quel mot avez-vous dit là, Remy?

– Si vous persistez dans cette résolution, continua le jeune homme, comme si elle n'avait point parlé, je sais ce que j'ai à faire, moi, et toutes nos études devenues inutiles aboutiront pour moi à deux coups de poignard: l'un, que je donnerai dans le cœur de celui que vous connaissez, l'autre dans le mien.

– Remy, Remy! s'écria Diane en faisant un pas vers le jeune homme et en étendant impérativement sa main au-dessus de sa tête, Remy, ne dites pas cela. La vie de celui que vous menacez ne vous appartient pas: elle est à moi, je l'ai payée assez cher pour la lui prendre moi-même quand le moment où il doit la perdre sera venu. Vous savez ce qui est arrivé, Remy, et ce n'est point un rêve, je vous le jure, le jour où j'allai m'agenouiller devant le corps déjà froid de celui-ci…

Et elle montra le portrait.

– Ce jour, dis-je, j'approchai mes lèvres des lèvres de cette blessure que vous voyez ouverte, et ces lèvres tremblèrent et me dirent:

– Venge-moi, Diane, venge-moi!

– Madame!

– Remy, je te le répète, ce n'était pas une illusion, ce n'était pas un bourdonnement de mon délire: la blessure a parlé, elle a parlé, te dis-je, et je l'entends encore murmurer:

«Venge-moi, Diane, venge-moi.»

Le serviteur baissa la tête.

– C'est donc à moi et non pas à vous la vengeance, continua Diane; d'ailleurs, pour qui et par qui est-il mort? Pour moi et par moi.

– Je dois vous obéir, madame, répondit Remy, car j'étais aussi mort que lui. Qui m'a fait enlever du milieu des cadavres dont cette chambre était jonchée? vous. Qui m'a guéri de mes blessures? vous. Qui m'a caché? vous, vous, c'est-à-dire la moitié de l'âme de celui pour lequel j'étais mort si joyeusement; ordonnez donc, j'obéirai, pourvu que vous n'ordonniez pas que je vous quitte.

– Soit, Remy, suivez donc ma fortune; vous avez raison, rien ne doit plus nous séparer.

Remy montra le portrait.

– Maintenant, madame, dit-il avec énergie, il a été tué par trahison; c'est par trahison qu'il doit être vengé. Ah! vous ne savez pas une chose, vous avez raison, la main de Dieu est avec nous; vous ne savez pas que, cette nuit, j'ai trouvé le secret de l'aqua tofana, ce poison des Médicis, ce poison de René, le Florentin.

– Oh! dis-tu vrai?

– Venez voir, madame, venez voir.

– Mais Grandchamp, qui attend, que dira-t-il de ne plus nous voir revenir, de ne plus nous entendre? car c'est en bas, n'est-ce pas, que tu veux me conduire?

– Le pauvre vieillard a fait à cheval soixante lieues, madame; il est brisé de fatigue, et vient de s'endormir sur mon lit.

– Venez.

Diane suivit Remy.

LXII Le laboratoire

Remy emmena la dame inconnue dans la chambre voisine, et, poussant un ressort caché sous une lame du parquet, il fit jouer une trappe qui glissait dans la largeur de la chambre jusqu'au mur.

Cette trappe, en s'ouvrant, laissait apercevoir un escalier sombre, raide et étroit. Remy s'y engagea le premier et tendit son poing à Diane, qui s'y appuya et descendit après lui.

Vingt marches de cet escalier, ou, pour mieux dire, de cette échelle, conduisaient dans un caveau circulaire noir et humide, qui pour tout meuble renfermait un fourneau avec son âtre immense, une table carrée, deux chaises de jonc, quantité de fioles et de boîtes de fer.

Et pour tous habitants, une chèvre sans bêlements et des oiseaux sans voix, qui semblaient dans ce lieu obscur et souterrain les spectres des animaux dont ils avaient la ressemblance, et non plus ces animaux eux-mêmes.

Dans le fourneau, un reste de feu s'en allait mourant, tandis qu'une fumée épaisse et noire fuyait silencieuse par un conduit engagé dans la muraille.

Un alambic posé sur l'âtre laissait filtrer lentement, et goutte à goutte, une liqueur jaune comme l'or.

Ces gouttes tombaient dans une fiole de verre blanc, épais de deux doigts, mais en même temps de la plus parfaite transparence, et qui était fermée par le tube de l'alambic qui communiquait avec elle.

Diane descendit et s'arrêta au milieu de tous ces objets à l'existence et aux formes étranges sans étonnement et sans terreur; on eût dit que les impressions ordinaires de la vie ne pouvaient plus avoir aucune influence sur cette femme, qui vivait déjà hors de la vie.

Remy lui fit signe de s'arrêter au pied de l'escalier; elle s'arrêta où lui disait Remy.

Le jeune homme alla allumer une lampe qui jeta un jour livide sur tous les objets que nous venons de détailler et qui, jusque-là, dormaient ou s'agitaient dans l'ombre.

Puis il s'approcha d'un puits creusé dans le caveau touchant aux parois d'une des murailles, et qui n'avait ni parapet, ni margelle, attacha un seau à une longue corde et laissa glisser la corde sans poulie dans l'eau, qui sommeillait sinistrement au fond de cet entonnoir, et qui fit entendre un sourd clapotement; enfin il ramena le seau plein d'une eau glacée et pure comme le cristal.